III.6.3. La sensibilisation doit connaitre l'historique de
la pêche en Casamance
La Casamance est dans la situation paradoxale où la
pêche se développe alors qu'en zone fluviale les espèces
deviennent moins diversifiées et les poissons moins nombreux et plus
petits (CHAVEAU, et al., 2000). Les centres de pêche sont
devenus permanents depuis le début des années 80. « Ce
développement semble dû à la fois à une
volonté politique de l'époque d'étendre la pêche
vers la mer, et à un intérêt personnel évident des
pêcheurs migrants de se sédentariser74 »
(SAMBA, 1987). La carte suivante localise les centres de pêche le long du
fleuve Casamance.
Carte 8 : Répartition des pêcheurs de
Casamance selon leur origine d'après CORMIER-SALEM,
1989a.
74 Le revenu brut moyen mensuel des pêcheurs migrants de
Casamance serait, à l'époque, environ le double de celui du
pêcheur resté à Saint-Louis, pour une même technique
de pêche : au filet dormant (SAMBA, 1987).
On remarque que l'extrême
hétérogénéité ethnique du tissu social
casamançais constitue une des données essentielles de la
structuration sociologique du secteur de la pêche en Casamance
(CORMIER-SALEM, 1992). L'arrivée successive de vague de peuplement a
augmenté la pression de pêche, notamment en apportant de nouvelles
techniques de pêche (DIAW, 1986). L'évolution des conditions
historiques du développement de la pêche en Casamance a
été la suivante :
Des années 1930 à 1950 les
pêcheurs somono arrivent dans les villages de Moyenne et de
Basse Casamance, où ils forment des unités familiales distinctes
de celles déjà présentes (DIAW, 1986). Ils introduisent la
version malienne du filet dérivant, le filet maillant
félé-félé (DIAW, 1986). Les
années 50 voient l'arrivée des pêcheurs
tukulër75 puis waalo-waalo originaires de la
vallée du Fleuve Sénégal (DIAW, 1986). On observe
conjointement le développement actif mais bref d'une économie du
poisson fumé, tournée vers la Guinée, basée entre
Fanda (à l'Est de Ziguinchor) et Niafor (dans le Balantakunda). Ils
jouent aussi un rôle décisif dans la diffusion d'un nouveau
modèle de félé-félé et de la senne
de plage en estuaire ainsi que dans l'expansion fantastique de la pêche
crevettière faisant suite à l'implantation d'usines de traitement
de ce produit. Cette période marque également le
développement d'une pêche maritime saisonnière
animée par les pêcheurs get-ndariens et lébu
(DIAW, 1986). L'industrie du poisson fumé va susciter des
activités intenses de pêche et d'échange, jusqu'à la
fermeture de la frontière sénégalo-guinéenne en
1958 (DIAW, 1986). Elle encourage le développement de l'immigration de
pêche, mais aussi l'insertion de nouvelles catégories sociales
(transformateurs Susu et commerçants Pël,
Malinke et Julo ou Jaxanke) dans une économie
estuarienne en expansion (DIAW, 1986). Entre 1971 et 1973,
l'usage du fil de nylon est introduit et la pêche à la senne
devient techniquement possible tout le long de l'année et une nette
tendance à la sédentarisation des waalo-waalo se
développe. Ziguinchor, qui passe d'une petit bourg Baynouk de
800 habitants au début du XXème siècle à 32.000
habitants en 1960 et 700.000 habitant en 1975, est le centre de gravité
de la pêche crevettière et de la pêche tout court (DIAW,
1986). L'économie crevettière est alors un facteur puissant de
déstructuration de l'environnement et de restructuration de la
pêche. Elle attire un nombre croissant de pêcheurs de poissons et
accentue les conflits entre pêcheurs (DIAW, 1986). Entre 1974 et
1985, par un effet d'entraînement du désenclavement de
CapSkiring (pour des activités touristiques76), un nombre
croissant de pêcheurs du Nord migrent vers le littoral casamançais
: des Lébou de la Presqu'île du Cap-Vert, des
Sérèr de la Petite Côte, des Waalo- Waalo
du Gandiole et du quartier de Guet-Ndar à Saint-Louis sur la Grande
Côte et des Niominka du Saloum (CHAVEAU et al., 2000).
Ces pêcheurs trouvent dans les complexes hôteliers un
débouché à leurs captures de poissons (soles) et
crustacés (langoustes) et fuyent, par ailleurs, la situation de plus en
plus difficile de leurs régions d'origine. C'est ainsi plus de douze
concessions de familles de pêcheurs, (soit environ 600 personnes
originaires des autres régions littorales sénégalaises),
et enfin, un campement de migrants saisonniers guinéens qui s'installent
(CHAVEAU et al., 2000). L'hivernage catastrophique de
1983, la chute brutale de la production et la fermeture
temporaire des usines l'année suivante (puis la fermeture permanente
quelques années plus tard), entrainent la dislocation de familles
entières qui vont « tenter leur chance » ailleurs,
notamment en Gambie, en Guinée-Bissau, à Dakar, et aussi en
France, au Gabon et en Cote d'Ivoire (DIAW, 1986).
75 Les premiers migrants tukulër
viennent d'abord en Casamance pour s'y procurer des pirogues faites
d'espèces abondantes en Casamance comme le caïcedrat. Le premier
type de pêche pratiqué par les Subalbes (caste des
pêcheurs tukulër) en Casamance est la pêche au harpon
utilisé pour chasser le crocodile (pour sa peau) et le lamantin (pour sa
chair).
76 Un aéroport est construit dès 1971, qui relie
de nos jours quotidiennement le Cap-Skiring à l'aéroport
international de Dakar. Le village de vacances du Club
Méditerranée est ouvert en 1974, jouxtant le campement de
pêcheurs migrants. La "Route du Sud", bitumée et donc praticable
toute l'année, est achevée en 1981 et permet d'atteindre
Cap-Skiring en moins d'une heure depuis Ziguinchor, capitale régionale.
En une dizaine d'années, la plage, autrefois inoccupée, devient
le lieu d'occupation de plus de 10 hôtels et campements touristiques
d'une capacité totale de 1190 lits (CHAVEAU, et al., 2000).
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