III.6.2. Comment doit se faire la sensibilisation
Une sensibilisation particulière doit être
adressée aux pêcheurs migrants pour le respect des règles
coutumières d'exploitation de la mangrove (définies
précédemment, cf. partie page 52). L'objectif est de
réduire la probabilité du risque de coupe, c'est-à-dire de
prévenir le risque de coupe.
La sensibilisation à la gestion durable des ressources
halieutiques doit aborder son rôle essentiel dans la nutrition des
casamançais. La plus grande partie des débarquements en
68 On peut distinguer les circuits courts et circuits longs de
commercialisation du poisson frais. Les circuits courts s'inscrivent
essentiellement dans l'espace économique régional
casamançais, voir sous-régional : approvisionnement des
hôtels et des petits marchés (Oussouye, Bignona). Les circuits
longs sont le fait d'agents plus spécialisés qui disposent
de moyens techniques plus élaborés (véhicules, pirogues
glacières). Ils approvisionnent les marchés de Ziguinchor et de
Moyenne et Haute Casamance (Kolda, Vélingara) ainsi que les
marchés d'autres régions (Kaolack, Dakar) où ils
écoulent des produits de haute valeur commerciale (brochets, capitaines)
(La gestion de l'espace aquatique en Casamance, 1986). Les acteurs de
la commercialisation en frais sont les mareyeurs, les «
bana-bana » et les détaillants (présents
sur les marchés). Les mareyeurs sont des commerçants
spécialisés qui disposent le plus souvent de leur propre
véhicule et opèrent sur les circuits longs. Les « bana-bana
» sont des semi-grossistes qui travaillent pour les mareyeurs sur les
points de débarquements. Ils collectent le poisson auprès des
piroguiers.
Casamance est destinée à la satisfaction des
besoins alimentaires locaux (CHABOUD, 1987). Le plat principal des Diola est le
niankatang et se compose de riz blanc agrémenté d'une
sauce à l'huile de palme et de petits poissons. Une enquête
réalisée par l'ORANA69 en 1979 indique une
consommation moyenne quotidienne par tête de 66 g de poisson dont 62 g de
poisson frais. Les produits d'origine halieutique représentent 15% du
total des protéines consommées et 67% des protéines
d'origine animale. On observe, cependant, une importante variabilité de
la consommation selon la situation géographique. La consommation
s'élève à 132 g en zone maritime pour chuter à 31 g
dans les zones éloignées des points de débarquement
(CHABOUD, 1987). Les utilisateurs des techniques de pêche qui ciblent les
alevins doivent être sensibilisés au problème de
renouvellement de la ressource.
Il est cependant important de différencier la
sensibilisation suivant les techniques de pêche et les espèces
pêchées. L'outil de pêche le plus utilisé en
Casamance est le filet maillant : le filet maillant
dérivant70 est utilisé par 54% des organisations de
pêcheurs, le filet maillant dormant par 16 % et le filet mailant
encerclant par 6% (IDEE Casamance, 2008). Les espèces
pêchées dépendent de la technique utilisée. Les
espèces principalement ciblées par le filet maillant sont les
ethmaloses et les mulets. Le filet maillant est la technique de pêche la
plus destructrice car c'est celle qui rapporte le plus avec le moins de
moyens71 (IDEE Casamance, 2008). La pêche continentale ne doit
pas être exclue. Deux types d'aménagement sont utilisés en
Basse-Casamance: les barrages-palissades et les bassins piscicoles72
(CORMIER-SALEM, 1986).
La sensibilisation doit aborder l'ensemble des
intérêts qu'ont les villageois à reboiser. Pour cela, nous
dressons la participation de la mangrove à Rhizophora aux
valeurs économiques.
La mangrove est une valeur commerciale
Du point de vue commercial pour la Basse-Casamance,
Rhizophora sert surtout à la culture des huîtres. On
estime la quantité variable d'huîtres prélevées dans
la mangrove entre 1.000 tonnes et 15.000 tonnes/an ou encore entre 2 et 30
millions de douzaines d'huîtres en coques (CORMIER-SALEM, 1989b).
Rhizophora mangle est aussi une plante mellifère (FAO,
2005).
La quantité de crevettes pêchées dans les
mangroves a beaucoup diminué en Basse- Casamance, au point que l'usine
de transformation de Ziguinchor a fermé. Cependant l'amélioration
des conditions environnementales, notamment des mangroves, permet le retour des
crevettes (LE RESTE, 1987).
L'ensemble de la chaine d'utilisation des productions de
l'écosystème de mangrove en Casamance est repris dans l'annexe 5,
page 90. Le projet peut envisager de valoriser ses utilisations, ou d'inciter
les villageois au reboisement en présentant les productions de la
mangrove comme une source de sécurisation des revenus.
La mangrove est une protection
69 Organisme de Recherche sur l'Alimentation et la
Nutrition Africaine, créé en 1953
70 Deux types de filets maillants dérivants
sont utilisés en Casamance : celui de surface et celui de fond.
71 La pêche au filet dormant ne nécessite
pas beaucoup de carburant, car les lieux de pêche sont situés
près de la côte.
72 Les bassins piscicoles sont des aménagements
hydrauliques situés en aval des rizières et sont utilisés
pour une pêche extensive.
La mangrove offre de protection pour les villages à sa
proximité (SAENGER, 1983). Elle protège les habitations contre
les embruns et les vents. Le schéma ci-après illustre qu'ils sont
très présents en Basse-Casamance.
Schéma 16 : Anémographes de
fréquence et de directions des vents au sol entre 1971 et 1982 à
Ziguinchor (DIOP, 1990).
Légende : Les chiffres au centre du cercle indiquent
les vitesses maximum et minimum enregistrées en m/s. La longueur des
segments calculée à partir du cercle est proportionnelle à
la fréquence.
Les mangroves servent surtout à protéger les
maisons contre l'action dévastatrice des tempêtes. Les mangroves
permettent aussi de protéger les terres contre la déflation
éolienne et la formation des dunes argileuses (BARBIREO et al.,
1998). Les mangroves participent aussi à la diminution de
l'intensité du flot et du jusant (BRUNET-MORET, 1970). Elles
protègent aussi contre le risque d'inondation lors des grandes
marées. La mangrove joue aussi un rôle dans la protection contre
les tsunamis. « Après le passage d'un tsunami, on remarque
qu'il y a plus d'habitations sur pied à l'arrière de la
végétation de mangrove que dans la zone non abritée
» (LATIEF et al., 2006).
La mortalité des mangroves serait l'une des causes de
l'érosion côtière, peut-être même une des cause
principales. « Dans de nombreux pays intertropicaux, on utilise les
palétuviers pour fixer durablement les sédiments et gagner ainsi
de nouvelles terres sur la mer. Le Bangladesh fait figure de pionnier, avec un
gain de plus de 100.000 hectares au cours des années 1980. [...] Ces
remarques nous conduisent à formuler l'hypothèse suivante :
l'érosion se déclenche et s'intensifie sur les littoraux lorsque
la mangrove meurt » (BLASCO, 1991). Après la coupe de mangrove, le
couvert végétal n'est plus là pour fixer les
sédiments qui s'en vont vers l'embouchure. Ce phénomène
est accentué avec les pluies violentes et de plus en plus
concentrées (beaucoup de millimètres d'eau tombent en peu de
temps, les sols saturent vite et l'eau ruisselle). Les graphiques de la page
suivante illustrent la répartition quotidienne des pluies et le bilan de
l'eau au cours d'une année à Ziguinchor.
Graphique 3 : Répartition quotidienne des pluies
et le bilan de l'eau au cours de l'année 1961 à
Ziguinchor (DIOP, 1990).
On note que les pluies tombent violemment (la moitié
des pluies tombées en 1961 fait plus de 50 mm) quelques jours de
l'année (43 jours). Il en résulte une grande part d'eau
disponible pour l'écoulement.
L'accentuation de ce phénomène, par la
déforestation accrue de ces dernières décennies, favorise
l'accumulation des sédiments à l'embouchure. Ceci pourrait avoir
pour effet à long terme de boucher l'écoulement et
d'empêcher le balancement des marées. Ce processus de
sédimentation peut transformer la ria13 de l'estuaire de Casamance en un
funnel73 (BLESGRAAF, 2006). Il pourrait alors y avoir une
disparition de la mangrove à certains endroits de la Basse-Casamance
(VIEILLEFON, 1977). Malheureusement, l'évolution de la
sédimentologie du littoral de Casamance est la formation
côtière la moins bien suivie du Sénégal, compte tenu
de la situation d'insécurité qui y règne depuis plusieurs
années (PELISSIER, 1989). Une étude mériterait
d'être menée notamment pour raisonner l'aménagement des
plages des hôtels de Karabane (une île de l'embouchure du fleuve)
de manière à éviter l'accumulation des sédiments
(CSE, 2005).
La mangrove est un écosystème riche
Les productions secondaires de la mangrove en Casamance sont
le zooplancton, la microfaune benthique et les macrobenthos. La
diversité spécifique en zooplancton diminue de l'aval vers
l'amont. La composition spécifique permet de distinguer une zone «
maritime », une zone d'estuaire, et une portion «
anti-estuarienne » (PAGES, 1986a) correspondant
grossièrement au découpage précédemment
présenté. Il semble qu'on puisse distinguer les variations
suivantes en zooplancton (PAGES, 1 986b) : une diminution
générale nette des effectifs en décembre, une chute
d'abondance plus prononcée en aval en début d'hivernage, un
maximum peu prononcé pendant l'hivernage. Concernant la microfaune
benthique, les thanatocoenoses semblent la règle (PAGES, 1 986b). La
diversité spécifique est maximale (35 espèces) dans
l'extrême aval, caractérisée par une abondance d'ostracodes
et de nombreux foraminifères à test calcaire (PAGES, 1986b). On
signale en zone « estuarienne » une prolifération
d'espèces macrobenthiques classiquement estuariennes (dont
Modiolus elegans et scoloples
chevalieri). L'abondance des mollusques augmente en
début d'hivernage dans cette zone et les densités et les
diversités diminuent en fin d'hivernage (entre aout et décembre)
(PAGES, 1 986a). La partie aérienne des arbres : branches, feuilles,
fleurs et fruits est colonisée par des animaux terrestres (insectes,
oiseaux et autres vertébrés). En ce qui concerne les insectes on
sait que certains sont entièrement terrestres, ce sont les «
visiteurs » comme les abeilles, les fourmis, les insectes du
tanne herbacé et les xylophages des palétuviers, assez peu
étudiés (DOYEN, 1985). D'autres ont des formes larvaires qui
dépendent du sol de la mangrove (moucherons de genre
Ceratopogonidae appelés localement « mout-mout
», et de nombreux moustiques). L'espèce de termite présente
semble être Microcerotermes fuscotibialis Sjöstedt
(DOYEN, 1985).
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