III.4. Le projet doit tenir compte des problèmes
fonciers
On retrouve souvent les explications du conflit actuel en
Casamance dans l'« accroissement de population » (BROWN et
al., 1977). « Un texte de 1862 (Archives Nationales du
Sénégal 13 G366) montre comment les villageois ont fait appel aux
autorités coloniales pour faire respecter la coutume, les gens de Mlomp
se plaignant des habitants de Pointe Saint Georges qui "ont pris du poisson
dans leurs pêcheries" » (CHAVEAU et al., 2000). A l'origine
des conflits armés, il y aurait donc un conflit sur la
délimitation des zones de pêches. En 1987 la pêche
était dominée par 3 ethnies de migrants (Guet-Ndariens, Niominka
et Lébou) (SAMBA, 1987). « Tant qu'il y avait dans l'océan
plus de poissons que l'on ne pouvait espérer pêcher, les conflits
d'intérêt portant sur les pêcheries étaient rares
» (BROWN, et al. 1977)62. Nous pensons que cette vision est
trop simpliste pour expliquer les origines du conflit en Casamance. Le conflit
a plusieurs catalyseurs. Parmi ces catalyseurs on peut citer la
délimitation non concertée de l'augmentation des surfaces pour la
riziculture. « On remarque que les conflits sont souvent à
l'occasion de la délimitation des terres rizicultivables de la mangrove,
comme en témoignent les tensions entre communautés villageoises
d'Affiniam et de Diatok à propos de l'appropriation des 30.000 ha de
rizières de mangrove à la construction du barrage
d'Affiniam63 » (CHAVEAU, et al., 2000).
L'augmentation des surfaces de riz n'a pas
résulté d'un compromis entre la législation officielle et
la juridiction coutumière, pouvant mener à des conflits entre
allochtones et autochtones64. « La réaffirmation et
la création, voire l'extension, des droits d'usages territoriaux se
heurtent à la fois à la législation officielle, qui ne
reconnaît pas les juridictions coutumières locales, et aux
stratégies spatiales des communautés allochtones »
(CHAVEAU, et al., 2000).
Le schéma suivant illustre la place que tient la mangrove
dans la zone de parcours et dans la zone de terroir villageois.
61 On appelle partie maritime d'un fleuve celle qui
s'étend de l'embouchure jusqu'au point où les plus fortes
marées, pendant les Périodes d'étiage du débit
fluvial, cessent de se faire sentir (BRUNET-MORET, 1970). La partie maritime du
fleuve Casamance s'étend de son embouchure à Diana-Malari sur le
fleuve lui-même soit sur 217 km et sur son affluent principal le
Soungrougrou jusqu'à Diaroumé (à 86 km du confluent et 184
km de l'embouchure) (BRUNET-MORET, 1970).
62 Pages 98 à 104.
63 Le barrage d'Affiniam est réalisé
entre 1985 et 1987 avec la coopération chinoise
64 Ces conflits participent aux revendications
indépendantistes.
Schéma 15 : La mangrove se situe à
l'interface entre les terroirs et les parcours en Basse-Casamance
(CORMIER- SALEM, 1995).
Le terme de terroir aquatique est utilisé en
priorité pour désigner les plans d'eaux susceptibles d'être
enclos telles les eaux intérieures et lagunaires, les zones de mangrove
et les récifs coralliens. Le terme de parcours de pêche
désigne davantage les espaces halieutiques maritimes, dont les limites
sont mobiles, les frontières plus ou moins perméables, les
ressources instables (CORMIER-SALEM, 1995).
On note que la mangrove se situe entre le terroir des
paysans-pêcheurs et le parcours des marins-pêcheurs.
La mangrove comme terroir aquatique
Les modalités d'appropriation et d'accès au
terroir aquatique sont variables selon les acteurs, les formes d'exploitation
et la saison. Certaines zones sont mises en défens une partie de
l'année ou même plusieurs années consécutives. Les
bas-fonds inondables sont les zones du terroir les plus proches du
village. Elles sont appropriées individuellement par les chefs de
ménage (CHAVEAU et al., 2000). Les bassins piscicoles
gagnés sur des zones de mangrove incomplètement
défrichées sont, en fonction de leur taille et de leur site,
appropriés collectivement par le lignage ou le clan. Les bolons,
qui donnent accès au village, et leurs rives colonisées par
la mangrove sont gérés collectivement par la communauté
villageoise qui en a l'usufruit (CHAVEAU et al., 2000). Seuls les
hauts-fonds, exploités de façon plus ou moins permanente
au moyen de barrages-palissades, considérés à ce titre
comme une parcelle d'eau, au statut équivalent à celui d'une
rizière, sont appropriés par le pêcheur ou son lignage. Au
total, les eaux intérieures, qui font partie du terroir
villageois, sont déterminées par la législation
coutumière (CHAVEAU et al., 2000). En revanche, la
mer, perçue comme un milieu dangereux, peu exploitée par les
paysans-pêcheurs locaux -les Diola- jusqu'à une date
récente, n'est soumise à aucun droit d'usage territorial
traditionnel bien établi (CHAVEAU et al., 2000). A la gestion
des espaces aquatiques comme des terroirs par les populations diola de
Casamance, s'oppose la gestion des espaces maritimes comme des parcours par les
pêcheurs migrants originaires des autres régions du
Sénégal. Si, en principe, le littoral et la mer
sont considérés comme des espaces ouverts et accessibles à
tous, dans les faits, tous les pêcheurs
ne sont pas égaux, du fait même de leur
compétence et de leurs moyens techniques mais aussi de leur appartenance
à une communauté qui s'identifie à un territoire de
pêche et en contrôle les droits d'usage. Les meilleurs fonds de
pêche tendent à être transmis au sein de la
communauté, considérés comme une chasse gardée,
dont sont exclues les autres communautés (CHAVEAU, et al.,
2000).
Dans ce contexte, il est essentiel de définir le mode
de protection des parcelles. En effet, « les espaces aquatiques non
aménagés du terroir villageois ne sont pas appropriés mais
tous les membres de la communauté villageoise peuvent en exploiter les
ressources » (CORMIER- SALEM, 199 1b). Ainsi, rien n'empêche
les pêcheurs de jeter leurs filets sur les espaces où les
propagules viennent d'être plantées. Un règlement moral est
plus susceptible de garantir la protection qu'un règlement légal
(CORMIER-SALEM, 1991b). N'étant pas avertis, les pêcheurs peuvent
jetter leurs filets sur les propagules sans le savoir car celles-ci sont
recouvertes par la marée. Il faudrait alors baliser, mettre une pancarte
ou tout autre indice indiquant la présence d'un « champ de
propagules de palétuviers ».
Il est d'autant plus important de définir le mode de
protection que les terroirs de pêches s'étendent. La carte
suivante illustre le déplacement de l'aire de pêche des villages
entre 1940 et aujourd'hui.
Carte 7 : Extension des terroirs65 de
pêche de Tionk-Essyl (CORMIER-SALEM, 1994c).
L'estuaire, encore largement sous-développé au
début du XXème siècle est dans les années 1980 un
lieu où la compétition pour la ressource met en rapport des
technologies variées, des communautés diverses et des populations
de plus en plus nombreuses (158.370 habitants à Ziguinchor en 2007)
(DIAW, 1986).
|