I.3.2. Livraison « sur-mesure »
Où chercher les propagules?
La collecte s'effectue dans les zones qui ont beaucoup de
Rhizophora. Le repiquage s'effectue dans des zones où il y a
suffisamment de Rhizophora vivantes pour penser que les nouvelles
plantules vont survivre, mais où il n'y a pas assez de reproducteurs
pour une régénération naturelle non assistée. La
partie occidentale de la Casamance est la partie qui présente le plus
vaste réseau de « bolons » et le grand
développement de la mangrove (BADIANE, 1987). C'est sur cette zone que
le projet intervient. La carte ci-après localise la mangrove en
Basse-Casamance.
Carte 3 : Localisation de la mangrove le long des deux
premiers tronçons (aval vers amont) du fleuve Casamance en 1997
(ISME, 1997). Légende : La zone en gris foncé est la
zone recouverte par la mangrove.
Le fleuve Casamance peut être découpé en
cinq zones écologiques principales (SAMBA, 1987) dont les bornes sont
situées approximativement aux kilomètres 50, 85, 175 et 220 de
l'embouchure. Cet auteur admet que chacune de ces cinq zones écologiques
fonctionne d'une manière particulière et répondant d'une
façon différente aux variations climatiques.
FAUGERE N. 2009. Étude du projet de reboisement de
palétuviers Rhizophora en Basse-Casamance (Sénégal) par
l'ONG Océanium de Dakar. Mémoire de fin d'étude
d'ingénieur en Agro-Développement International (ISTOM). 96p.
Le mode opératoire
Le schéma suivant illustre le trajet qu'empreinte une
propagule (graine de Rhizophora) depuis sa collecte jusqu'à son
repiquage.
|
Schéma 7 : Illustration du parcours d'une
propagule depuis sa collecte jusqu'à son repiquage (FAUGERE,
2009).
(1) La collecte se fait à marée haute depuis
une embarcation pour atteindre la cime des palétuviers sans risquer de
s'écorcher sur les huîtres des racines échasses. Il faut
éviter de ramasser les propagules à terre ou de les mettre en
contact avec le sol, car elles risquent d'être attaquées par des
insectes ou des crabes. Il ne faut pas récolter les propagules avec des
points noirs parce que c'est le signe d'une infestation par Poecilips
fallax (SAN VALENTIN, 1980) et elles pourraient infester les autres. On
estime qu'il faut en moyenne 30 minutes pour collecter 2 sacs à
marée haute. Au moment de la collecte il faut garder le péricarpe
(marron) qui sert à protéger la propagule des chocs durant le
transport. Les propagules sont mises dans des sacs de riz. Chaque sac de riz
est rempli d'environ 1.000 propagules pour faciliter le comptage et le
transport.
(2) Il faut maintenir les sacs de propagules à l'abri
de la lumière (sous un arbre par exemple) pour empêcher la
poursuite de la germination, et les humidifier pour éviter qu'elles
sèchent. Il est possible de les garder ainsi 1 à 4 mois en les
conservant à température ambiante, tout en gardant un taux de
survie de 60 à 90 % à la germination (Banque Mondiale et
al., 2003). Les propagules sont collectées localement pour assurer
une adaptation et une survie des jeunes plants, pour minimiser les
déplacements, et pour collecter uniquement les propagules matures.
(3) Les sacs sont transportés en camions jusqu'au lieu
de repiquage. La photographie de l'annexe 11 illustre le chargement à
Diakène Wolof. Le camion utilisé est un camion tout- terrain qui
peut contenir jusqu'à 400 sacs. Les sites de repiquage sont
définis par les villageois, en suivant les indications du guide
technique de repiquage fourni par OCEANIUM (des extraits du guide technique
sont en annexe 4). Les zones de mangrove Rhizophora, tels
FAUGERE N. 2009. Étude du projet de reboisement de
palétuviers Rhizophora en Basse-Casamance (Sénégal) par
l'ONG Océanium de Dakar. Mémoire de fin d'étude
d'ingénieur en Agro-Développement International (ISTOM). 96p.
que définies dans ce guide, sont à la fois des
zones inondées chaque jour par les marées même au plus fort
de la saison sèche (c'est-à-dire les berges et les zones les plus
proches des bolons et des vasières). Il faut éviter les endroits
où les vagues ou les courants sont forts. Il faut choisir en
priorité les zones où il reste des rhizophora en bonne
santé. Il faut un sol de « potopoto »22 et
éviter le sable. Le repiquage s'effectue en zone intertidale.
L'étude de la propagation des marées sur une échelle
limnimétrique révèle que l'onde de la marée remonte
dans le fleuve Casamance jusqu'à plus de 200 km de son embouchure
(BRUNET-MORET, 1970)23. Le graphique suivant illustre que
l'amplitude maximale de la marée à Ziguinchor est de l'ordre de 1
mètre et que les marées sont en décalage suivant la
proximité de l'embouchure.
Schéma 8 : Évolution de l'amplitude des
marées diurnes et semi-diurnes en Basse-Casamance
(BRUNET-MORET, 1970).
La photographie satellite suivante est issue du logiciel Google
EarthTM et a été prise le 20 avril 2004. Elle permet
d'illustrer l'étendue de la zone intertidale au niveau de Ziguinchor.
Carte 4 : Illustration de l'étendue de la zone
intertidale sur la rive nord du fleuve Casamance au niveau de
Ziguinchor (FAUGERE, 2009, modifié de
Google EarthTM, 2004).
22 Terme empreinté à (CORMIER-SALEM,
1991) pour désigner la vase molle autour des mangroves.
23 Ingénieur hydrologue de l'ORSTOM
FAUGERE N. 2009. Étude du projet de reboisement de
palétuviers Rhizophora en Basse-Casamance (Sénégal) par
l'ONG Océanium de Dakar. Mémoire de fin d'étude
d'ingénieur en Agro-Développement International (ISTOM). 96p.
On note que la zone intertidale, comprise entre le niveau des
hautes mers et le niveau des basses mers s'étend sur environ 4 km
à partir de la rive nord du fleuve Casamance, au niveau de Ziguinchor.
Cette zone est traversée par un axe routier qui débute par le
pont Émile Badiane au sud et qui termine à Tobor au nord.
Dans cette zone intertidale et le long de l'axe routier,
Océanium a permis de reboiser 65.000 propagules le 30 Septembre 2006 (13
hectares avec un taux de reprise après un an de 85%, d'après
OCEANIUM 2008), 120.000 propagules en 2007 (sur 24 hectares) et 147.000
propagules en 2008 (sur 29,4 hectares). C'est donc au total 69,9 hectares qui
ont été reboisés dans cette zone en 3 ans.
(4) Au moment de repiquer les propagules, il faut retirer le
péricarpe et placer le bout de l'hypocotyle verticalement dans la boue.
Une équipe de personnes retire le péricarpe des propagules et les
met dans des seaux en plastique. Pendant ce temps une seconde équipe
plante l'hypocotyle dans la vase. Il est plus facile de planter à
marée basse car on s'enfonce moins dans le « poto-poto
», on prend donc moins de temps à planter, et on évite de
marcher sur les propagules plantées qui dépassent d'une vingtaine
de centimètre du sol et qui sont rapidement sous l'eau. Les
photographies de l'affiche de communication durant le reboisement, en annexe 9,
permet de se rendre compte de la situation. Au moment de planter il faut
veiller à respecter un espacement entre les propagules plantées.
L'espacement choisi par OCEANIUM est de 2 m entre les lignes et 1m entre les
plants, soit 5.000 propagules/ha.
Le calendrier des repiquages et celui des collectes doivent
être gérés ensemble. Les propagules ne doivent pas
être collectées sans qu'un site soit prêt à
être reboisé, et on ne peut pas prévoir de reboiser un site
sans être sûr d'avoir les quantités suffisantes en
propagules mâtures et collectées.
Les sacs de propagules sont parfois laissés aux
villageois pour qu'ils reboisent sans que l'équipe d'Océanium ait
besoin d'être là. Nous ne pouvons pas assister à tous les
repiquages (il y en a parfois plus d'un par village). Nous faisons
aléatoirement des visites de contrôle pour les repiquages auxquels
nous n'avons pas assisté. Il arrive que les préconisations du
guide technique de repiquage (en annexe 4) ne soient pas respectées. Le
plus souvent ce sont les espacements qui ne sont pas respectés. Nous
avons considéré que cette non-conformité n'empêche
pas les propagules de prendre racine et qu'à l'état naturel la
distance est aléatoire. Nous avons considérer que les 5 millions
de propagules ont bien été repiquées car nous avons
distribué 6.302 sacs, soit 26% en plus que ce qui a été
prévu. Nous pouvons ainsi couvrir une marge d'erreur de 260 propagules
par sac. Il nous semble raisonnable de considérer qu'au total au moins
les 3/4 des sacs ont été replantés correctement. Nous
avons donc bien planté 10 fois plus de propagules en 2008 qu'en
200724.
(5) A la fin de chaque journée le chauffeur remplit
une feuille de « suivi de parcours » faisant état des
endroits où il a chargé et déchargé les sacs de
propagule. Une fois rentré à la base, le chauffeur me remet cette
fiche. Les données de la fiche sont immédiatement rentrées
dans un tableur Excel permettant d'indiquer le trajet de chaque propagule :
« tel village a collecté tant de propagules ce jour là,
elles ont été distribuées à ce village ce jour-ci
» ou « tel village a reçu tant de propagules ce jour
là, ces propagules ont été récoltées tel
jour par tel village ». Ce suivi a permis d'indiquer au jour le jour
à chacun des villages le nombre de propagules
collectées/replantées ainsi que leur provenance/destination (cf
annexe 2, page 86). Les
24 En 2007, 500.000 propagules ont été
plantées (OCEANIUM, 2008). Nous avons donc bien planté 10 fois
plus de propagules en 2008 qu'en 2007. Le premier objectif spécifique
est satisfait.
FAUGERE N. 2009. Étude du projet de reboisement de
palétuviers Rhizophora en Basse-Casamance (Sénégal) par
l'ONG Océanium de Dakar. Mémoire de fin d'étude
d'ingénieur en Agro-Développement International (ISTOM). 96p.
données sont affichées à la
base25, à Bignona, de manière à ce que les
visiteurs (journalistes, villageois ou voisinage) et les équipes de
terrain puissent avoir très rapidement un bilan de la situation. A la
fin de la campagne de reboisement, le chiffre total de propagules
plantées par village est reporté dans un fichier «
Google EarthTM». Avec un suivi par image satellite
depuis Google EarthTM il est alors possible d'estimer le taux de
survie, sachant qu'on estime que 1 hectare représente 5.000 propagules
plantées.
Une fois que les équipes sont en place il faut
s'assurer qu'elles sont approvisionnées en sacs de propagules au moment
où elles sont disponibles pour reboiser. Le repiquage de
Rhizophora doit se faire peu de temps après la cueillette des
propagules, pour éviter qu'elles meurent. Les propagules sont
mûres aux alentours de juillet. Le repiquage doit donc se faire en saison
des pluies (entre juillet et octobre). Cette période coïncide avec
beaucoup d'activités villageoises. C'est en effet la période de
travail du riz.
etat de la saison des pluies
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début
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|
|
milieu-fin
|
période habituelle du calendrier
|
de fin juin à début juillet
|
de début juillet à mi Aout
|
de début juillet à mi Aout
|
entre le 15 Aout et le 15 Octobre
|
travail
|
aménagement des
pépinières:
|
préparation du sol:
|
restauration des
|
repiquage: extraire les plantes du sol sans
blesser les racines, detacher le sable, transport jusqu'au rizières dans
des paniers, placer les plantules dans des trous sur la diguette et les
aligner
|
enrichissement du sol par des apports d'engrais organisques
(extraits de la fosse domestique)*, semi à la volée, recouvrement
du semi par une fine couche de terre prélevée dans les sillons,
surveiller la semi contre les oiseaux granivores, eventuellement proteger les
surfaces ensemencées (par des feuilles de palmier)
|
digues et des
|
elimination des plantes les plus robustes au "coupe- coupe",
laboure au kayendo**
|
diguettes: sarclage à la hachette et
à la main des plantes semi- ligneuses de grande taille***
|
main d'oeuvre
|
les femmes
|
hommes, jeunes hommes
|
jeunes
|
femmes
|
Tableau 2 : Calendrier des travaux de
riziculture (VANDEN BERGHEN et al., 1999
modifié par FAUGERE, 2009) *parfois le sommet d'une termitière
est décapé et la terre argileuse est répandue sur la
rizière pour améliorer la texture du sol **le kayendo est une
pelle à long manche
***elles sont ensuite séchées et
brûlées, les cendres sont étalées sur le sol des
rizières.
On note que le travail du riz se fait en fonction de la
pluviométrie et demande beaucoup de travail.
La période de reboisement coïncide aussi avec
beaucoup d'activités culturelles et religieuses (mariages,
décès, fête de circoncision, jeun). Nous avons
été confrontés à des imprévus, notamment des
décès qui mobilisent des villages entiers.
Carte 5 : Illustration de la diversité des
religions en Basse-Casamance (LE FUR, 1988).
25 La base est une petite maison de Bignona. Tous les
frais liés à la base (location sur 6 mois, équipement,
entretien) équivalent à 1% du budget (275.000FCFA, soit 420
€).
FAUGERE N. 2009. Étude du projet de reboisement de
palétuviers Rhizophora en Basse-Casamance (Sénégal) par
l'ONG Océanium de Dakar. Mémoire de fin d'étude
d'ingénieur en Agro-Développement International (ISTOM). 96p.
On note que plusieurs religions coexistent en Casamance, avec
une prépondérance pour l'ISLAM. Bien que cette carte date de 1988
on note encore aujourd'hui un patchwork des religions en Basse-Casamance. Il
n'est pas rare que le reboisement se fasse en présence de l'imam. On
retrouve dans le reboisement certains principes évoqués par des
versets du Coran sur la gestion durable des ressources naturelles de leur
territoire (anonyme, 2007). 277 versets coraniques et 27 hadiths concernent la
sauvegarde de l'environnement (AHOUANSOU SOVI, 1998)26. Le
reboisement a été réalisé sur la même
période que le ramadan (du 2 septembre au 2 octobre). Étant
donné que le ramadan est suivi par la plupart des personnes qui
reboisent, il a fallu adapter les horaires de reboisement pour éviter de
faire des travaux physiques quand le soleil est au zénith.
D'autre part, la coordinatrice du projet, Élise Kabo,
est issu d'une famille très respectée, notamment parce que sa
mère, Baynouk27, était gardienne des bois
sacrés. A ce titre elle est conviée à de nombreuses
cérémonies religieuses. Son absence n'a pas empêché
les activités mais les a parfois rendues plus compliquées.
De plus, la plupart des villageois qui viennent reboiser sont
des jeunes. Les jeunes organisent pendant l'été des tournois
sportifs, de lutte et de football. Nous avons pris en compte le calendrier
sportif pour planifier les interventions. Les véhicules sont mis
à rude épreuve et les pluies ne facilitent pas l'accès aux
villages enclavés. Les imprévus les plus pénalisants sont
les « embourbages » à répétition
pouvant immobiliser le camion durant plusieurs jours. Nous avons dû faire
face à de nombreux autres imprévus, parmi lesquels des pannes
mécaniques à répétition, quelques contrôles
militaires prolongés, un contentieux sérieux avec un camion que
nous avions loué et des vols de sacs de propagules (sacs vides et sacs
pleins).
Pour s'assurer que toutes les zones de reboisement soient
prêtent au bon moment, j 'ai mis en place une procédure de suivi
des disponibilités. Il a fallu joindre par téléphone tous
les responsables de zones pour convenir avec eux des impératifs et des
dates auxquels ils ne seraient pas disponibles. Il a été
demandé aux responsables de zone de contacter tous les villages
disponibles dans leur secteur pour établir des listes. Un appui
financier de 1.000 FCFA en crédit de téléphone leur a
été envoyé par texto et un appel régulier a
été effectué. Le total des frais de coordination est de 1
million de FCFA (4% du budget total du reboisement, au 15 novembre 2008). La
chaine des résultats obtenus par le mode opératoire
présenté ci- dessus est la suivante.
Résultat
|
Apport d'OCEANIUM
|
Produit
|
Effet
|
organisation d'une équipe de planteur ou de collecteur par
village
|
guide technique; fonds pour la coordination entre les villages
d'une même zone; sacs pour les propagules;
|
responsable de zone formé
|
encadrement assuré
|
Fonctionnement d'une logistique pour l'approvisionnement et la
plantation
|
coordination par téléphone; location d'un second
camion
|
suivi des disponibilités
|
grande réactivité
|
récuperati on de 5 millions de propagules et faire
participer les 130 villages
|
planning adapté; vérification aléatoire des
sacs (sur la qualité et la quantité)
|
suivi au jour le jour
|
interventions précises et personnalisées
|
Tableau 3 : Chaine des effets pour les résultats
de l'objectif spécifique « planter 10 fois plus qu'en 2007
»
(FAUGERE, 2009, modifié de PNUD, 2002).
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