Les rapports juridiques entre les droits interne et communautaire dans le contentieux des contrats de la commande publiquepar Steeve BATOT Université Robert Schuman Strasbourg 3 - Master 2 "droit public fondamental" 2008 |
B. Le poids relatif de la contrainte communautaire sur le droit interneSans méconnaître l'intensité de la contrainte, l'intégration des exigences communautaires relatives aux actes susceptibles de recours n'a pas révolutionné le droit français. Si leur réception est largement restée indifférente à la pratique contentieuse (1), elle ne doit toutefois pas masquer la présence de résistances internes ponctuelles (2). 1. Une réception largement indifférente des exigences communautairesEn vertu de l'article L 551-1 CJA, le juge des référés précontractuels peut être saisi de toute décision relative à une procédure de passation. La formulation retenue par cette disposition étant des plus larges, il appartient au juge d'en délimiter les contours et de définir les actes qui lui sont soumis, tout en respectant l'interprétation des directives donnée par la Cour de Justice. Avant l'avènement des référés
précontractuels en droit interne, les décisions des personnes
publiques préalables à la conclusion du contrat étaient
seulement susceptibles d'un recours pour excès de pouvoir en leur
qualité d'actes détachables. La détachabilité
était d'ailleurs largement reconnue30(*), car élaborée il y a plus d'un
siècle, elle participait à une politique classique de lutte
contre l'arbitraire ayant pour corollaire une justiciabilité accrue des
actes émanant de l'Administration. C'est aujourd'hui avec cette fiction
de l'acte détachable que cohabitent les référés
précontractuels. Il paraissait donc évident de considérer
comme attaquable au sens de l'article Il apparaît néanmoins que les actes justiciables des référés précontractuels possèdent une acception plus large encore que ceux attaquables au titre du recours pour excès de pouvoir. Pour illustration, le Conseil d'Etat admet le recours d'un opérateur à l'encontre d'une décision lui refusant l'ouverture des négociations et n'ayant fait l'objet d'aucune formalisation puisqu'elle découlait implicitement de l'engagement des pourparlers avec les candidats retenus31(*). Il en va de même pour les avis d'appel public à la concurrence qui, attaquables au titre de l'article L 551-1 CJA32(*), demeurent insusceptibles de recours pour excès de pouvoir. Ils sont en effet assimilés à des mesures préparatoires prenant place dans la réflexion interne de l'Administration. Les solutions ainsi dégagées par le juge ont le mérite de se conformer avec évidence aux exigences communautaires, notamment celles émanant des arrêts Commission contre Royaume d'Espagne et Stadt Halle. Toutefois, il semble que la contestabilité d'actes simplement préparatoires n'ait en rien bouleversé la pratique contentieuse française. En effet, dès lors qu'un acte est insusceptible de recours pour excès de pouvoir, car dénué de portée décisoire, l'irrégularité qui l'affecte peut être invoquée à l'appui d'un recours exercé à l'encontre d'un acte ultérieur et directement attaquable. L'acte insusceptible de recours pour excès de pouvoir ne peut donc se soustraire à la sanction du principe de légalité. Par conséquent, les solutions retenues par le juge des référés précontractuels n'ont aucunement altéré la pratique contentieuse interne car elles s'inscrivent directement dans la continuité de celles admises au titre du recours pour excès de pouvoir. Elles consistent à faciliter l'accès au prétoire en considérant comme susceptibles de recours un nombre d'actes toujours plus important. Le poids de la contrainte communautaire se réduit donc à ce que le juge ne se distancie outre mesure des solutions dégagées au titre du contentieux de l'acte détachable. Mais le référé précontractuel est imposé par le droit communautaire. Cela signifie que dans une politique de résistance, la jurisprudence aurait parfaitement pu se départir des solutions dégagées par le juge de l'excès de pouvoir pour contenir une conception plus restrictive des décisions susceptibles de recours. Ces résistances existent mais demeurent fort heureusement ponctuelles. * 30 R. CHAPUS : Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12ème éd., 2006, p.708 : la détermination des décisions détachables « est simple, puisqu'on peut dire qu'elles sont toutes détachables, depuis celles qui acheminent vers la conclusion [...] du contrat [...] jusque, le cas échéant, à celles qui en approuvent la conclusion ». * 31 CE, 15 décembre 2006 : Sté Corsica Ferries, Rec., p. 566, in AJDA, 2007, p. 185, note J-D DREYFUS, au sujet de la passation d'un contrat de délégation de service public. * 32 TA, Clermont-Ferrand, 13 février 1995 : Préfet du Puy-de-Dôme /c. OPAC du Puy-de-Döme et du Massif central, Rec., p. 926. |
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