Les rapports juridiques entre les droits interne et communautaire dans le contentieux des contrats de la commande publiquepar Steeve BATOT Université Robert Schuman Strasbourg 3 - Master 2 "droit public fondamental" 2008 |
2. Une mise en oeuvre au service de l'efficacitéL'ensemble des affaires parvenues au prétoire de la Cour du Luxembourg met en évidence les arguments dont ont fait usage les administrations nationales afin d'entraver l'application effective de l'article 1er § 1er de la directive « recours ». Les argumentations développées étaient d'abord fondées sur l'absence de réglementation de l'acte du pouvoir adjudicateur par les directives matérielles, puis sur sa localisation dans la procédure de passation. Les considérants des directives « recours » justifient leur existence. Ces textes ont pour fonction de garantir une application effective des directives matérielles qui sont par elles-mêmes dépourvues de tout moyen de contrainte à cet égard. Offrir un droit à un justiciable sans lui en garantir le respect atteste en effet de l'insuffisance d'une réglementation. Mais ces précisions étant données, la sanction juridique des seules directives matérielles porterait incontestablement atteinte à l'effet utile du Traité communautaire qu'elles concrétisent ainsi qu'à l'effet utile attaché à la directive « recours ». C'est la raison pour laquelle la Cour de Justice a admis, à plusieurs reprises, que les actes non réglementés par les directives matérielles sont susceptibles de recours. Dans l'affaire Hospital Ingenieure23(*), la question lui a été posée de savoir si la décision de retrait d'un appel d'offres devait faire l'objet d'un recours efficace et rapide au sens de la directive. La difficulté juridique venait de ce que la directive matérielle applicable au cas d'espèce ne précisait en rien les conditions de retrait d'un appel d'offres, si ce n'est de manière sommaire et laconique. La Cour a logiquement considéré, eu égard à l'objectif de renforcement des voies de recours, que « dès lors que la décision du pouvoir adjudicateur de retirer un appel d'offres pour un marché public de services est soumise aux règles matérielles pertinentes du droit communautaire, il y a lieu de conclure qu'elle relève également des règles prévues par la directive 89/665 afin de garantir le respect des prescriptions du droit communautaire en matière de marchés publics »24(*). Cette solution a été confirmée, notamment dans une affaire Makedoniko Metro25(*), au sujet des groupements d'entreprises. La question posée par la juridiction de renvoi était de savoir si, compte tenu du fait que la modification de ces groupements ne fait l'objet d'aucune précision par les directives matérielles, les décisions du pouvoir adjudicateur qui s'y rapportent demeurent susceptibles de recours. La Cour a logiquement répondu par l'affirmative en considérant que même si la modification d'un groupement n'est pas réglementée par les directives matérielles, les principes des traités, notamment le principe d'égalité de traitement, régissent également les procédures de passation des marchés publics. Il apparaît donc que l'absence de réglementation par les directives matérielles d'un acte pris par le pouvoir adjudicateur est indifférent à la possibilité dont disposent les entreprise lésées d'exercer un recours à son encontre. Un libéralisme identique inspire la jurisprudence communautaire lorsqu'il est question de soumettre aux directives « recours » un acte pris par le pouvoir adjudicateur en amont et en dehors d'une procédure formelle de passation. Du point de vue de l'effectivité des recours, le moment de la prise d'un acte importe peu. La Cour de Justice a d'ailleurs jugé lors d'un recours en manquement à l'encontre de l'Espagne26(*) qu'il n'était pas exclu que des actes de procédure, telles que de simples mesures préparatoires ou études préliminaires, soient attaquables. Mais considérer comme susceptibles de recours des actes sans véritable rapport avec une procédure de passation aurait pour désavantage d'encourager les actions dilatoires et contreviendrait assurément au principe de sécurité juridique implicitement consacré par les directives « recours ». C'est pourquoi la Cour a précisé que pour être justiciables, il est nécessaire que les actes en question « tranchent, directement ou indirectement, le fond de l'affaire ; qu'ils entraînent l'impossibilité de poursuivre la procédure ; ou qu'ils causent des préjudices irréparables à des droits ou intérêts légitimes »27(*). La solution dégagée a été confirmée par l'arrêt Stadt Halle28(*) dans lequel la Cour a précisé que le refus du pouvoir adjudicateur d'engager une procédure formelle de passation est une décision au sens des directives. Par conséquent, peu importe que l'acte soit pris en dehors et en amont d'une procédure formelle de passation. Le refus d'enfermer la logique contentieuse dans le formalisme aboutit à ce que les silences de l'article 1er § 1er deviennent en réalité la source de son efficacité. Cette disposition doit alors être interprétée en ce sens qu'il ne ressort « aucune indication restrictive ni aucun autre indice permettant une quelconque restriction du champ des décisions [susceptibles de recours] en fonction de leur contenu »29(*). Conçue de manière aussi extensive et illimitée, la notion de « décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs » contraint assurément les Etats membres dans les conditions d'ouverture des recours tenant aux actes attaquables. Ils ne peuvent en effet difficilement restreindre les actes susceptibles de recours sans méconnaître le droit communautaire. Le poids de cette contrainte s'avère néanmoins relatif sur le droit français. * 23 CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure Krankenhaustechnik - Planungs Gesellschaft GmbH, aff. C-92/00, Rec. CJCE, p. I-5553, in Contrats et Marchés Publ., septembre 2002, n° 8, comm. 196, note F. LLORENS. * 24 CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff. C-92/00, préc., point 43. * 25 CJCE, 23 janvier 2003 : Makedoniko Metro et autres, aff. C-57/01, Rec. CJCE, p. I-1091, in contrats et marchés publ., mars 2003, n° 3, comm. 50, note F. LLORENS. * 26 CJCE, 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. 214/00, Rec. CJCE, p. I-4667. * 27 CJCE, 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. 214/00, préc., point 79. * 28 CJCE, 11 janvier
2005 : Stadt Halle, aff. C-26/03, Rec., CJCE, p. I-1, in
Europe, mars 2005, n° 3, comm. 89, note E. MEISSE ;
confirmé par CJCE, 3 mars 2004 : Fabricom SA, aff. Jtes
C-21/03 et C-34/03, rec. CJCE, p. I-1559, * 29 Concl. A. TIZZANO, point 24, sur CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff. C-92/00, préc. |
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