Section II. Le dépassement
des exigences communautaires dans le traitement de
l'irrégularité
Une fois parvenue à la connaissance du juge,
l'irrégularité doit être traitée. Il est certain que
le droit communautaire impose un traitement différencié de
l'irrégularité selon que le requérant exerce un recours
avant ou après la signature du contrat. Il en va d'un besoin de
stabilité des relations contractuelles car un contrat déployant
ses effets juridiques ne saurait être annulé avec plus de
facilité qu'un simple acte préparatoire. Mais cette
différence de traitement demeure raisonnable et adaptée au besoin
inaltérable de sécurité juridique. C'est pourtant ici que
le contentieux contractuel interne revêt un paradoxe, tout au moins une
dissonance flagrante source d'étonnement. Le référé
précontractuel cohabite en effet avec un recours à l'encontre du
contrat, mais là où le premier affiche une rigueur devenue
constante (§ 1), le second témoigne d'une
volonté opposée et contemporaine de pragmatisme (§
2).
§ 1. La rigueur constante
du juge des référés précontractuels
La recherche d'efficacité imposée par le droit
communautaire déteint sur les sanctions prononcées par le juge
des référés à l'encontre des procédures de
passation. Ces dernières sont classiquement censurées, une fois
encore au détriment d'une action publique pérenne, alors
même que l'irrégularité qui les affecte est vénielle
et sans incidence sur les objectifs de la commande publique. C'est la raison
pour laquelle l'application de la théorie des
irrégularités non substantielles est d'autant plus
nécessaire (A). Sa mise en oeuvre est néanmoins
délicate (B).
A. Une
nécessaire application de la théorie des
irrégularités non substantielles
Appliquer la théorie des irrégularités
non substantielles consiste à éviter la censure de
procédures de passation entachées d'erreurs ou de vices mineurs.
Pour l'heure, le juge des référés n'en fait pas usage, lui
préférant une rigueur démesurée
(1). Le droit communautaire offre pourtant un cadre
juridique favorable à son application (2).
1. Une rigueur
démesurée
La censure systématique de procédures
d'attribution quelque soit la gravité du vice fait l'objet de vives
critiques et dévoile « le revers de la
médaille »137(*) du référé
précontractuel. La rigueur du juge ne peut en effet que surprendre au
regard de ses conséquences pratiques. Elle rend pourtant compte de
l'état du droit en vigueur.
L'obligation d'assurer une publicité et une mise en
concurrence pour certains contrats implique la publication d'un avis d'appel
public à la concurrence. Ce dernier représente un terrain propice
au développement d'irrégularités, liées notamment
aux mentions des délais et voies de recours. C'est ainsi qu'une simple
erreur matérielle bénigne et non imputable à la personne
publique est jugée substantielle138(*), justifiant que la procédure d'attribution
soit relancée. Peu importe donc que l'administration ne soit directement
à l'origine d'une erreur superficielle, peu importe également que
l'irrégularité n'ait aucunement préjudicié à
l'entreprise qui l'invoque139(*), celle-ci n'ayant pas été
empêchée d'exercer un recours. Par conséquent, le juge
apprécie objectivement l'irrégularité et ignore la
distinction entre substantielle et non substantielle à l'exception de
quelques décisions isolées140(*).
Le référé précontractuel est
pourtant un recours de plein contentieux. Il eut donc été
possible d'inciter le juge à l'indulgence. Il n'en est rien puisque la
finalité du recours précontractuel consiste à
éradiquer toute irrégularité de la procédure
d'attribution, sans aucune distinction. Il est certain que cette
sévérité est engendrée par le droit communautaire.
Sans la contrainte qu'il exerce, le juge des référés
aurait fait preuve d'une compréhension plus grande, notamment à
l'image du juge de l'expropriation lorsqu'il est question de l'accomplissement
des mesures de publicité dans le contentieux des déclarations
d'utilité publique. S'il a indirectement porté à la
démesure la rigueur du contentieux contractuel interne, le droit
communautaire pourrait néanmoins conduire à l'interrogation,
à l'instar de celle posée par les sénateurs lors de
l'examen de la proposition de la nouvelle directive
« recours » : « Peut-on concevoir une
annulation automatique du fait d'une erreur mineure constatée au cours
de la procédure ? »141(*). La question est d'autant
plus pertinente que le droit communautaire offre un cadre juridique favorable
à l'application en droit interne de la théorie des
irrégularités non substantielles.
* 137 F. LLORENS et P.
SOLER-COUTEAUX : « Référé
précontractuel : le revers de la médaille », in
Contrats et Marchés Publ., janvier 2007, n° 1,
repère 1.
* 138 CE, 30 juin
2004 : Sté Nationale des Chemines de Fer, n° 263402,
in Contrats et Marchés Publ., octobre 2004, n° 10,
comm. 194, note W. ZIMMER.
* 139 Voir CE, 8
février 2008 : Département de L'Essonne, Juris-Data
n° 2008-073132, in JCPA, n° 2080, note C. CABANES et B.
NEVEU. En l'espèce, le Conseil d'Etat sanctionne également
l'insuffisance d'informations figurant dans une rubrique d'un avis d'appel
public à la concurrence que l'administration n'était pas tenue de
remplir.
* 140 Voir par exemple TA,
Orléans, 28 mars 2003 : Atelier d'architecture Arène et
Edeikins, n° 03-593, in Contrats et Marchés Publ.,
juin 2003, n° 6, comm. 96, note Ph. DELELIS. Le président du
Tribunal Administratif d'Orléans refuse de censurer une procédure
de passation alors que l'avis d'appel public à la concurrence ne
contenait pas de nombreux éléments prévus par les textes.
* 141 Sénat,
Actualité de la délégation pour l'Union
Européenne, 12 février - 5 mars 2007, p. 71.
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