Avec un programme politique pourtant peu centré sur
les enjeux environnementaux, le Président Nicolas Sarkozy émet un
signal fort en annonçant le Grenelle de l'Environnement et en convoquant
les associations à l'Elisée au tout début son mandat, en
mai 2007.
L'avant-projet de loi relatif a la mise en oeuvre du Grenelle
est présenté par le ME le 30 avril 2008. Grenelle 1 est
un texte d'orientation, qui décline en 47 articles les conclusions
arrêtées fin octobre 2007. Dépassant les oppositions
gauche-droite, il est adopté par le Parlement à une
majorité écrasante (526 voix pour, 4 contre et 17 abstentions) en
octobre 2008. Les modalités techniques d'application seront
détaillées dans deux autres textes (Grenelle 2 et 3).
S'il est encore trop tôt pour juger de
l'efficacité du processus, nous pouvons d'ores et déjà
souligner que le Grenelle est novateur:
· en intégrant l'environnement au coeur de la
décision publique, notamment au travers de deux principes forts :
l'intégration des coûts pour le climat et la biodiversité,
et l'inversion de la charge de la preuve pour l'aménagement du
territoire6;
· en instaurant une procédure
participative7 incluant cinq collèges: Etat,
collectivités territoriales, patronat, syndicats et associations
écologistes (notons qu'en 1970, le Programme des cent mesures pour
l'environnement, quoique d'ampleur bien plus restreinte que le Grenelle,
avait été élaboré en large concertation avec la
société civile); à ce sujet, le PNUE insiste sur «la
nécessité d'obtenir le concours de toutes les parties
concernées» (2002: XXIX); cependant, certains acteurs-clé
n'ont pas été conviés: les parlementaires et certains
hauts fonctionnaires (Lascoumes 2007 : 56-57);
· en instaurant en avance un dispositif de suivi
(évaluation ex-post) (Lascoumes 2007 : 52);
· en traitant les questions environnementales de
façon systémique;
· et en avançant certaines mesures structurantes,
par exemple la taxe carbone ou la trame verte et bleue (Bourg 2007 :
59-60).8
Précédant le processus du Grenelle, la
création du MEEDDAT est en soi une nouveauté. Le
mégaministère d'Etat crée un terrain propice à la
coordination (position élevée dans la structure gouvernementale)
et à l'intégration de l'environnement dans d'autres politiques
(couplage avec plusieurs grandes administrations) (voir infra). Notons à
ce sujet que le rapport GEO4 (PNUE 2007) préconise de
déplacer l'environnement depuis la périphérie vers le
centre du processus de prise de décision.
Ces trois phases ont été enclenchées par un
engrenage de pressions externes fortes, que nous tenterons maintenant
d'identifier.
6 «Premier principe : tous les grands projets publics,
toutes les décisions publiques seront désormais arbitrées
en intégrant leur coût pour le climat, leur coût en
carbone. Toutes les décisions publiques seront arbitrées en
intégrant leur coût pour la biodiversité. Très
clairement, un projet dont le coût environnemental est trop lourd sera
refusé.
Deuxième principe, nous allons renverser la charge de la
preuve. Ce ne sera plus aux solutions écologiques de prouver leur
intérêt. Ce sera aux projets non écologiques de prouver
qu'il n'était pas possible de faire autrement. Les décisions
dites non écologiques devront être motivées et
justifiées comme ultime et dernier recours.» (Discours du
Président de la République à l'issue des premières
conclusions du Grenelle, 25 octobre 2007)
7 La référence aux Accords de Grenelle
de mai 1968 souligne cette intention d'ouverture aux différents
acteurs.
8 A son adoption en octobre 2008, la loi
d'orientation Grenelle 1 comprend la mise en place d'une trame verte
et bleue mais retarde par contre l'instauration de la taxe carbone, qui demeure
à l'étude.
En étudiant les circonstances de l'émergence
des grandes phases d'impulsion, nous avons perçu des similitudes au
niveau des leviers d'action. Le tableau 1 représente une tentative de
déboucher sur une trame commune aux trois temps et sert de fil
conducteur à la lecture de ce chapitre.
Nous proposons la métaphore mathématique pour
décrire la logique de construction de notre cadre d'analyse:
· L'équation du tableau se compose des phases
d'impulsion relevées au point 1 et des contextes sociétaux
liés à l'émergence de ces phases, subdivisés en
niveaux d'influence.
· Les niveaux représentent les hypothèses
de l'équation, basées sur une première recherche
historique qui permet d'instaurer un lien avec les phases d'impulsion au
travers d'au moins une composante dans le temps.
· Les cases à remplir représentent les
inconnues, définies suite à une seconde recherche historique.
Certains niveaux d'influence recoupent différents
contextes. Afin de structurer l'analyse, nous avons opté d'assembler les
niveaux multidimensionnels en fonction des acteurs (militants versus
gouvernement) et du mode de sensibilisation du public (media versus
manifestation associative).
La vérification de l'adéquation d'un niveau
d'influence dans les trois phases d'impulsion s'établit lorsque les
trois composantes ou leur typologie commune s'égalisent. Ces niveaux
sont signalés en vert dans le tableau. Ainsi, cette équation nous
conduit à percevoir un noyau d'influence, constitué des
hypothèses confirmées (contexte socio-économique, opinion
publique, influence mondiale et discours d'orientation du gouvernement),
entouré de niveaux périphériques (contexte des militants,
médiatique) dont le pouvoir d'impulsion n'est pas
systématique.
Notons que ce genre d'exercice multicritère a
déjà été entrepris au niveau de l'évolution
de la préoccupation environnementale en France. Daniel Boy dégage
en effets deux pics de sensibilité au travers de l'analyse de divers
indices du début des années 70 à la moitié des
années 90 (mesures d'opinion, degré d'activisme environnemental,
résultats électoraux des écologistes politiques) :
«une naissance et un début de croissance au cours des années
1970, un freinage au début des années 1980 suivi d'une sorte de
traversée du désert au milieu des années 1980, enfin un
nouveau décollage à la fin des années 1980» (Boy
1999: 212, 217) (voir infra). Ces pics de sensibilité correspondent
grosso modo aux temps des deux premières phases d'impulsion que nous
avons délimitées.
Notre approche rétrospective a été
principalement guidée par les ouvrages suivants:
· Lascoumes (dir.) (1999), Instituer l'environnement;
Vingt-cinq ans d'administration de l'environnement,
· Bess (2003), The Light-Green Society: Ecology and
Technological Modernity in France, 1960-2000.
Tableau 1