C'est également autour de ces deux niveaux d'influence
- privé et public - que l'on retrouve les racines de la perception de la
ressource eau: l'hygiénisme du milieu du XIX° siècle et la
planification des Trente glorieuses.
Edifiées à l'époque de Pasteur, la
Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux répondent aux
nouvelles attentes en termes de santé publique: la distribution et
l'assainissement de l'eau. (voir supra)
Synonyme de reconstruction et de rattrapage industriel (voir
supra), la période d'après-guerre est orchestrée par un
Etat gaullien central et dirigiste (voir supra). Dès 1946, le
Commissariat Général au Plan (CGP), organe rattaché au
chef du gouvernement, élabore des plans quinquennaux80 au
sein desquels sont notamment tracées les grandes orientations de la
gestion nationale de l'eau. Vingt ans plus tard, «le lancement du
programme nucléaire symbolisait une industrialisation qui
nécessitait une gestion plus poussée de l'eau, et de grands
investissements dans les barrages et dans les stations d'épuration
» (Barraqué 2007 : 77).
80 L'intégration des concepts d'environnement
et de développement durable devra attendre le plan quinquennal de
1993-1997!
Ces perceptions anthropocentriques de la ressource se
vérifient par la nature des premiers investissements consentis:
«les communes et les industriels non raccordés aux réseaux
publics ont obtenu des aides pour s'équiper en réseaux
d'assainissement, et ainsi protéger les conditions de santé
publique sur place, mais ce faisant ils ont multiplié les points de
rejets de pollution concentrée dans les rivières, avec des
conséquences de plus en plus graves pour l'aval. Mais ils ne voulaient
pas réaliser des investissements qui bénéficieraient
à l'aval. » (Barraqué 1999: 110)
Même si la loi-cadre sur l'eau de 1964 définira
des objectifs de qualité par tronçon de rivière, le
problème se pose davantage en termes de solidarité des usagers
qu'en termes de viabilité écologique - si ce n'est pour les
pêcheurs, parmi les premiers usagers à alerter la
société concernant les problèmes de dégradation des
milieux aquatiques. Il faut cependant attendre la loi sur l'eau de 1992 pour
que soit affirmée la priorité à accorder à la
protection écologique des milieux aquatiques au même titre
qu'à la satisfaction des usagers. (OCDE 1997: 63) A ce titre, la
directive-cadre sur l'eau (2000/60/CE) fixe un objectif ambitieux de bon
état de l'ensemble des eaux de l'UE en 2015.
Notons que les structures institutionnelles des usagers de
l'eau, à savoir les Agences de bassin, sont elles-mêmes
portées par les deux particularités françaises
exprimées ci-dessus: le modèle de l'Etat centralisateur (voir
supra) et la gestion technique privée de l'eau. Ainsi, «la
dichotomie public/privé tend à faire place à un jeu
triangulaire dans lequel intervient un tiers qui n'est ni public, ni
privé, mais quelques chose de l'ordre du communitas
(plutôt que du societas), c'est-à-dire de la
communauté d'usages de l'eau organisée localement autour d'une
même ressource. » (Barraqué 2007 : 77)