2. Mutations de la problématique de l'eau
Nous adapterons certaines des mutations constatées
dans le domaine de l'environnement (voir ch. 2) au cas de l'eau:
l'évolution du niveau géographique des enjeux, le rapport entre
eau et économie, et les origines de la perception de l'eau.
2.1. Primauté de l'enjeu géographique
Au tournant des années 70, l'avance de la
thématique de l'eau sur celle de l'environnement peut être
justifiée par sa primauté en tant qu'enjeu à dimension
régionale. «Considéré comme une découverte en
1968, au moment de l'adoption de la Charte européenne de l'eau,
aujourd'hui, le fait que, comme l'eau, l'environnement ne connait pas de
frontière est une banalité. » (Kiss 1999: 57) La
géographie des fleuves, charriant les polluants ou exposant des niveaux
d'eau bas résultant de prélèvements extra- frontaliers,
n'est pas absente de ce phénomène. Notons que la
thématique de l'eau partage cette particularité avec celle de la
pollution atmosphérique. De nos jours, l'eau est souvent perçue
comme un enjeu mondial au regard de la pénurie de la ressource - cf.
références à «l'or bleu ». Notons
79 Le système ne devient opérationnel qu'à
partir de 1970 car, dix ans après le vote de la loi, un certain nombre
de décrets d'application n'ont pas vu le jour. (Poujade 1975 : 74 ;
Vallet 1975: 197-198 ; Prieur 1991 : 463)
cependant que le thème de l'environnement, par la
multiplication des enjeux internationaux qu'il renferme, dépasse
aujourd'hui largement le thème de l'eau en tant qu'enjeu mondial.
2.2. Rapports entre eau et économie
De manière schématique, avant les années
90, environnement et économie sont antinomiques, l'environnement
représentant une contrainte pour l'économie et l'économie
constituant une menace pour l'environnement. Les années 90 voient
émerger une double prise de conscience: d'un côté, les
répercussions négatives d'une croissance sans limite sur les
ressources, et finalement sur l'économie, sont pointées du doigt;
de l'autre, le bénéfice économique de la gestion des
problèmes environnementaux est apprécié. (voir supra)
L'eau s'intègre-t-elle dans ce cadre d'analyse? La réponse nous
parait contrastée, en raison de l'historicité de la gestion
privée de l'eau.
Ainsi, l'eau représente une source de revenus
dès le XIX° siècle, époque où la
Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux débutent leur
implantation sur les marchés de la distribution et de l'assainissement
des eaux. Leur expertise technique et gestionnaire en feront de
véritables empires mondiaux (dénomination courante: Veolia et
Suez), leaders dans le domaine de l'eau, mais aussi globalement dans
le domaine de l'environnement - ce qui est révélateur de
l'influence de la problématique eau sur celle de l'environnement dans le
domaine de l'économie en France. Au niveau national en l'an 2000, le
secteur privé dessert en eau environ 77 % de la population ! (Science
& Vie: 56) Notons que les contrats signés avec les
collectivités locales - concession, affermage, gérance -
représentent des outils particulièrement puissants.
Par contre, en dehors du secteur économique
spécifique de l'eau, la prise de conscience du bénéfice
lié à une gestion propre de la ressource s'installe
conjointement à celle du bénéfice lié à la
gestion de l'environnement. Le facteur décisif de perception semble
davantage s'axer autour des acteurs/secteurs. (voir supra) Pionnière en
la matière, l'industrie est suivie par les collectivités locales,
et en dernier lieu par l'agriculture - dont la mutation de la perception est
toujours en cours. (voir infra)
Ainsi, selon le témoignage d'un cadre d'une grande
industrie, «les industriels qui avaient envisagé le recyclage [de
l'eau] d'un point de vue environnemental, l'adoptent pour les économies
qu'il génère ». «Tout à la fois des
économies d'eau, de peinture et de redevance à la pollution. Le
recyclage s'avère très rentable dès lors que la
molécule à récupérer est chère. C'est le cas
pour les solvants en chimie, les teintures dans le textile, les métaux
lourds de l'industrie électrique ou encore le lactosérum produit
dans l'industrie laitière. » (Science & Vie 2000 : 74)
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