3. Influence de la réglementation
internationale et européenne
L'influence internationale, et plus particulièrement
européenne, sur les politiques environnementales françaises est
édifiante. De nos jours, environ 80 % des textes émanant du ME
sont la retranscription en droit français des directives
européennes et des traités régionaux ou internationaux
(Hulot 2007 : 199), et environ 70 % sont d'origine européenne (OCDE
2005: 136).
Illustrons ce double phénomène au travers du
cas de la pollution de l'air par les émissions acides, entamé
dans le dernier chapitre. L'AEE cite les principales réglementations
extérieures qui ont eu un impact décisif sur les politiques
intérieures en Europe:
69 L'expression est notamment employée par Pascal
Gauchon dans son ouvrage Le modèle français depuis 1945
(2006) pour décrire le fonctionnement du modèle
économique dans lequel l'État joue un rôle très
important. (Wikipédia)
· Au niveau international:
o la Convention CEE/NU sur la pollution atmosphérique
transfrontière à longue distance (1979) et ses Protocoles;
· Au niveau européen:
o la directive sur les grandes installations de combustion
(1988, révisée en 2001);
o le Protocole relatif à la réduction de
l'acidification, de l'eutrophisation et de l'ozone troposphérique
(1999);
o la directive concernant les plafonds d'émission
nationaux (2001). (AEE 2005 : 94)
Sans rentrer dans le détail des limites du droit
international, nous nous devons de souligner l'influence
prééminente du droit européen sur l'élaboration, la
modification et la mise en oeuvre des politiques environnementales
françaises. Les réglementations européennes se distinguent
en effet des réglementations internationales par leur caractère
plus contraignant, notamment au travers de deux facteurs: le transfert de la
souveraineté70 des Etats membres de l'UE en ce qui concerne
certaines politiques et le recours en sanction pécuniaire71
pour non-exécution, exécution incorrecte ou incomplète
d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés
européennes (CJCE). De plus, les engagements internationaux concernent
en général des problèmes mondiaux ou transfrontaliers
(Ifen 1996-97: 11), laissant les problèmes locaux au droit national et
européen.
Rappelons brièvement les épisodes clés de
la construction européenne en rapport à l'environnement, de la
naissance d'une préoccupation au Sommet de Paris (1972), à celle
d'une véritable politique avec l'Acte Unique (1987), à
l'inscription du principe de précaution avec le Traité de
Maastricht (1993), à l'instauration d'une approche horizontale de la
politique de l'environnement avec le processus de Cardiff (1998), à
celle du développement durable avec le Traité d'Amsterdam
(1999).
En poussant la rétrospective jusqu'à la
création de la première instance supranationale
européenne, à savoir la Communauté économique du
charbon et de l'acier en 1952, nous observons que les préoccupations
glissent de l'instauration d'un marché commun pour la ressource (le
charbon) à l'intégration d'un marché commun pour les
émissions polluantes provenant notamment de cette même ressource
(le dioxyde de carbone).
Après ces considérations générales,
penchons-nous sur l'influence des réglementations européennes sur
la politique française de l'environnement, et vice-versa.
3.1. Influence de l'Europe sur la politique
française de l'environnement
Corrine Larrue (1999: 187-188) démontre que la
politique européenne de l'environnement affecte la mise sur l'agenda
politique des problèmes et le contenu des politiques, contribue à
définir les moyens spécifiques pour protéger
l'environnement et modifie profondément le jeu institutionnel interne et
la place des acteurs dans la décision publique. Reprenons ces
différents niveaux d'influence:
Dans le cas de la pollution acide, c'est la Conférence
de Stockholm qui a placé le problème sur l'agenda politique
européen. Ultérieurement, le passage du niveau supranational au
niveau national a modifié le contenu des politiques en fixant des
valeurs limites d'immission. « A ce titre, c'est sans
70 Notons que le Conseil constitutionnel français
réaffirme que la France est pleinement souveraine, distinguant
transferts de compétences et transferts de souveraineté.
(Wikipédia)
71 À l'origine, existait seulement la constatation en
manquement mais sans sanction. Du fait de la multiplication des manquements sur
manquement, la CJCE a appelé à une réforme du recours en
manquement; réforme qu'elle a obtenu lors de l'adoption du Traité
de Maastricht (1993) qui a institué cette procédure de l'article
228§2. (Wikipédia)
aucun doute dans le domaine de la pollution de l'air que la
politique de la CEE a le plus bouleversé la politique
française. En effet, l'introduction de ces valeurs limites s'opposait
à la philosophie d'intervention développée jusque
là par l'administration française. »72
La fixation de normes au niveau européen ne lie
généralement pas les Etats membres à l'usage d'un type
d'instrument spécifique. Notons cependant que la France a
été le premier Etat à imposer une taxe directe sur la
pollution en mai 1990, au travers de la taxe sur le SO2. (WRI 1992-93 : 201) Au
niveau des moyens, «L'introduction de la voiture propre,
c'est-à-dire l'imposition de normes sévères
d'émission pour les véhicules automobiles, conduisant à
équiper ces véhicules de pots catalytiques (...), constitue
l'exemple même de la politique française qui n'aurait pas eu lieu
(ou plus tardivement) sans l'intervention du niveau européen. »
(Larrue 1999: 188-189)
Nous observons que le thème de la voiture propre
illustre bien la théorie sur les reconversions- adaptations
d'instruments. (Lascoumes et Le Galès 2004: 359) En effet, si le
«Programme voiture propre» du début des années 90
était censé résoudre le problème des
émissions de NOx, le « Plan véhicule propre»
de 2003 doit pourvoir la France avec la technologie adaptée pour
réduire les émissions de CO2. Rappelons que l'augmentation du
trafic routier a largement compensé la réduction des
émissions de NOx résultant des progrès technologiques.
Face à cet échec, on est en droit de se demander si les 40
millions d'euros, octroyés par le plan de 2003 aux programmes de R&D
des constructeurs automobiles français73, n'auraient pas
mieux servi à l'essai d'autres types d'instruments, intégrant la
dimension d'aménagement durable du territoire. (ME 1991-1992: 164 et
Ifen 2006: 149)
Enfin, « les directives européennes apportent un
soutien à l'administration de l'Environnement, tant vis-à-vis des
acteurs extérieurs représentant les intérêts
touchés, que vis-à-vis des autres ministères
concernés. (...) Les ministres français successifs de
l'Environnement ont d'ailleurs bien compris cet enjeu, et ont
généralement intégré cet échelon
international, comptant sur ce niveau pour renforcer leurs propres positions.
(...) A ce titre, la politique de Brice Lalonde à la tête du ME
fut exemplaire. » (Larrue 1999, 189)
Notons enfin que la transposition des directives
européennes met souvent la France en situation de manquement, voir
exposée à des sanctions financières, notamment en ce qui
concerne les directives nitrates, eaux usées urbaines, habitats et
oiseaux. (OCDE 2005: 136) Il s'agit souvent de domaines où des groupes
traditionnels influents (agriculteurs, chasseurs) émettent de la
résistance au changement (voir infra).
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