En définitive, le glissement des types d'instruments
provoque un glissement de mode de gouvernance: «L'Etat dirigiste est
dès lors censé faire place à un Etat animateur ou
coordonnateur, non- interventionniste et menant principalement des actions de
mobilisation, d'intégration et de mise en cohérence. »
(Lascoumes et Le Galès 2004 : 362-363)
Un dossier sur la politique industrielle entre 1945 et 2006
décrit l'évolution de «l'Etat entrepreneur» vers «
l'Etat facilitateur » au travers de quatre phases:
· 1945-1973 : mise en place d'instruments
d'intervention active de l'Etat;
· 1974-1985 : inflexion de l'action de l'Etat;
· 1985-2000 : adoption de mesures pour le respect du
fonctionnement du marché
· 2000-2006 : actions ciblées en faveur de
l'innovation (R&D, haute technologie) (La Documentation française
2006)
Cependant, le glissement du rôle de l'Etat ne signifie pas
la disparition, mais plutôt la complexification de l'action publique.
(Bauler 2008)
Ainsi, le modèle français69
de l'Etat-providence semble toujours d'actualité. Si le processus de
décentralisation du début des années 80 accroît
certes les compétences environnementales des régions et des
collectivités locales, elle a surtout pour effet de réorganiser
le mode de pouvoir en intégrant ces nouveaux stakeholders. Et
si les mutations des enjeux modifient les types d'instruments utilisés
et uniformisent la politique nationale, force est de constater que les
technocrates maintiennent les rênes du pouvoir (voir supra).
Ainsi, «le corps des Mines et le corps des Ponts -
surtout le corps des Mines, avaient, au départ, comme priorité de
protéger et de développer l'industrie. Et, lorsqu'ils se sont mis
à aborder les problèmes d'environnement, c'est notamment à
travers l'industrie et la Recherche. Ils l'ont fait toujours dans des
conditions qui ne puissent pas gêner l'Industrie. Par exemple, la
politique de l'air, qu'ils étaient les seuls à maîtriser, a
été très adaptée. On s'est gardé de pousser
les industries à aller ailleurs. On a plutôt travaillé par
zones spéciales, en agglomération et sur des interdictions
temporaires d'utiliser tel ou tel produit, tel ou tel procédé, au
lieu de fixer des normes catégoriques générales sur les
émissions comme cela a été fait davantage en Allemagne et
aux Pays-Bas. Il y a eu, pendant des années, une politique très
respectueuse de l'industrie. Cette politique est restée valable tant que
les phénomènes de pollution atmosphérique restaient des
phénomènes de proximité. Dans ce cas, la cheminée
permet de régler la question. Mais quand on dérive vers des
problèmes tels que ceux de l'ozone, des pluies acides, du
réchauffement de l'atmosphère, ou autres, on ne peut plus
combattre la pollution par des interdictions temporaires. On est obligé
de prendre des mesures plus énergétiques, de fixer des normes, de
supprimer des produits. Il y a eu un tournant dans la politique gouvernementale
en matière d'air avec la globalisation et l'internalisation de cette
politique. » (Chambolle 1994-95 : 8)
En définitive, la spécificité
étatique de la France influe sur la façon d'appliquer les normes
environnementales: «le style français est toujours
dominé par le rôle prégnant de l'administration et plus
précisément de ses découpages, ses tensions internes et
ses grands corps. Ce poids institutionnel filtre et reformate de façon
décisive les impulsions extérieures.» (Szarka 2001, repris
par Lascoumes 2008 : 9-10)