Pierre Lascoumes applique l'approche par les instruments aux
« transformations de la lutte contre la pollution atmosphérique en
France» de 1961 à 2003. (2007: 73-90) Son postulat est qu' «
En une dizaine d'années (du début des années 90 au
début des années 2000) l'enjeu de la pollution
atmosphérique a ainsi été radicalement reconfiguré
par la prise en compte de son impact sanitaire. Les dimensions de l'enjeu, les
instruments de sa mesure, le champ des acteurs concernés et le type
de
67 «La notion a souvent été
entendue négativement (faire du neuf avec du vieux...) alors qu'il faut
l'entendre positivement dans un sens économique comme « la
création de nouvelle valeur ». (Lascoumes 2008 : 2)
68 Cette tendance s'exprime également aux
niveaux de l'Europe et de l'OCDE.
décision publique ont connu des déplacements
majeurs.» Précisons synthétiquement ces
déplacements:
· les dimensions de l'enjeu:
des risques industriels et de la recherche de technologie propre
santé publique
· les instruments de sa mesure:
loi sur l'air (1961) taxe fiscale (1985) directives information
et valeurs limites ou guides
+ indices de qualité de l'air (début 90)
évaluations d'impact sanitaire (mi 90)
· le champ des acteurs concernés:
coalition bureaucratico-économique (années 60)
réseaux de surveillance constitués
d'environnementalistes et de scientifiques
(épidémiologistes) (1973) inter-réseau, puis
fédération
· le type de décision publique: hiérarchie
concertation
Nous proposons de nuancer les conclusions de cette analyse au
travers de quelques remarques: Premièrement, notons que le
ministère de la Santé Publique était chargé de la
pollution atmosphérique depuis la loi de 1961. Ce lien institutionnel
entre problème et niveau d'impact signifie que l'enjeu sanitaire de la
pollution de l'air existait bien avant la reconfiguration des années 90.
L'action restreinte, pour ne pas dire inopérante, du ministère de
la Santé Publique a permis au ME de conquérir cette
compétence entre 1971 et 1972. (Bazin 1973: 349-352) Dès lors,
l'appropriation de l'enjeu par la société civile n'est-elle pas
plutôt liée à des facteurs contextuels, tels que la
mutation de la perception de la problématique et la montée des
préoccupations environnementales (voir supra)? Deuxièmement, il
nous semble intéressant d'observer un renversement de tendances au
niveau des types de risques sanitaires. Depuis les années 70, les
risques à court terme sont en régression tandis que les impacts
à long terme ont aujourd'hui pris le devant de la scène. (Ifen
2006: 393-394) Cette constatation conduit à se pencher sur la cause des
améliorations: la réduction des pics de pollution. Mais cette
réduction de la pollution est-elle liée aux mesures
environnementales ou à d'autres évolutions
socio-économiques? Analyser cet aspect permettrait d'évaluer
l'efficacité de tel ou tel instrument. Subséquemment, quels sont
les blocages à la résolution des impacts sanitaires à long
terme? L'approche sectorielle - pour mettre en lumière l'impact des
transports - nous parait
primordiale, ou tout au moins complémentaire, par rapport
à l'approche par les instruments. Troisièmement, si
l'acteur-réseau - ou association de groupes distincts
partageant un intérêt en commun - agit certes sur la
définition des instruments, inversement, la mutation des instruments
fait également intervenir de nouveaux acteurs. Notons que la place de
chaque acteur - proche du centre de décision ou en
périphérie - dépend notamment des dimensions
économique et sociale de l'enjeu. Le rôle de l'Etat, quant
à lui, demeure central.