De nouveau, les rapports sur l'état de l'environnement ont
guidé nos recherches. Concernant la pollution de l'air, deux articles
d'experts ont été consultés:
· Knoepfel (1998), Remarques d'un observateur
étranger sur la lutte contre la pollution atmosphérique en
France;
· Larrue (1998), La lutte contre la pollution de l'air
en France. 3.1. Forces motrices
Trois forces motrices majeures nous semblent avoir
progressivement motivé le secteur privé à investir dans la
recherche de solutions viables aux problèmes d'environnement:
· De nouvelles législations, notamment suite
à la retranscription de directives européennes, ont
favorisé une hausse des normes de santé. Ainsi, au début
des années 90, l'UE a instauré des normes concernant l'essence
sans plomb, résultant à des améliorations
conséquentes au niveau de la santé. De façon
générale, «Une voiture commercialisée aujourd'hui
émet dix fois moins de polluants qu'une voiture commercialisée
dans les années 70.» (Ifen 1999: 369)
· L'augmentation des prix des matières
premières et de l'énergie primaire a également
motivé les entreprises à diminuer l'intensité de leur
consommation. «À la fin de la décennie 80, la notion
d'éco-efficacité a été introduite dans l'industrie,
comme moyen de réduire l'impact sur l'environnement tout en accroissant
la rentabilité. » (PNUE 2002)
· L'investissement de l'Etat dans les
procédés de dépollution (eau, déchets)
représentait - et représente toujours - une manne
économique susceptible de mener à de nouvelles techniques. Ainsi,
une évaluation sur 20 ans d'environnement en France constate que
«c'est
essentiellement dans les domaines où l'environnement
réussira à acquérir un certain poids économique que
les progrès réalisés seront les plus rapides ».
(Theys 1998 : 29)
Le fruit de cette évolution sur 20 ans - au niveau
technologique ainsi qu'au niveau de la perception - et l'inclusion de
l'économie dans la notion de développement durable par le rapport
Brundtland mènent à l'acceptation publique de la sphère
environnement par le secteur privé.62 Cependant,
malgré la disponibilité de technologies propres, celles-ci
prennent parfois des années à outrepasser les multiples obstacles
économiques, politiques ou sociaux63. Par exemple, les
petites et moyennes entreprises mettront globalement plus de temps que les
grandes entreprises à moderniser leurs installations du fait des
coûts élevés et/ou de législations moins
contraignantes à leur égard.
Autre exemple: «Les technologies disponibles permettent
d'envisager la construction de voitures consommant entre un quart et un tiers
de carburant en moins. Ces voitures pourraient coûter moins cher à
l'automobiliste sur la durée de vie complète du véhicule
(frais de carburant compris), mais seraient un peu plus chères à
l'achat, si bien que les constructeurs y voient un risque excessif. »
(Ifen 1999 : 21)
Nous tenterons de déterminer le rôle des
avancées technologiques dans la diminution des émissions
atmosphériques de SO2 et de NOx, principaux composés
acidifiants. Décelé vers la fin des années 60 par
l'acidification des lacs scandinaves, le problème des pluies acides est
intéressant en cela qu'il représente le premier cas de pollution
transfrontalière et qu'il a abouti à une gestion globalement
efficace.
Nous avons choisi de mettre à profit les graphiques 13
a et 13 b (en annexe) émis par le Centre Interprofessionnel Technique
d'Etudes de la Pollution Atmosphérique (CITEPA) car ils mettent en
lumière le poids marqué de certains secteurs sur les
émissions, à savoir l'énergie et l'industrie pour le SO2
et le transport pour le NOx.
En France, les émissions de SO2 croissent jusque vers
le milieu des années 70; se stabilisent et se découplent du PIB
entre 1975 et 1980; plongent de manière spectaculaire entre 1980 et 1985
et continuent à baisser par après. Les émissions ont ainsi
diminué de 60 % entre 1980 et 1990 et de 65 % entre 1990 et 2005.
Les émissions de NOx diminuent et se
découplent temporairement du PIB vers le milieu des années 80,
mais la baisse prononcée débute véritablement vers le
milieu des années 90. La réduction se chiffre à 38 % entre
1980 et 2005 (dont 35 % entre 1990 et 2005), soit environ quatre fois moins que
la réduction des émissions de SO2 sur la même
période.
En Europe de l'ouest comme en France, les émissions de
SO2 et de NOx présentent aujourd'hui un
net
découplage par rapport à la croissance du PIB. Les
progrès technologiques ont joué un rôle majeur
62A titre d'exemples:
- la création du Conseil mondial des entreprises pour le
développement durable en 1995
- la création d'ISO 14000, norme volontaire pour les
systèmes de gestion environnementale dans l'industrie, en 1996
- la tendance auprès des grandes entreprises de
présenter des rapports sur leur action environnementale (PNUE 2002)
63 «L'Union européenne adopte un plan d'action
pour promouvoir les écotechnologies (technologies ayant moins d'effets
négatifs sur l'environnement que d'autres techniques appropriées)
afin de réduire la pression sur les ressources naturelles,
d'améliorer la qualité de vie des européens et de
favoriser la croissance économique. Ce plan d'action cherche à
éliminer les obstacles à l'exploitation de tout le potentiel des
écotechnologies, à faire en sorte que l'Union joue un rôle
dominant dans leur application et à mobiliser toutes les parties
concernées dans la poursuite de ces objectifs. » (UE)
dans cette évolution. La mise en place
d'équipements de désulfuration des gaz de combustion et le
recours à des combustibles à teneur en soufre moindre
représentent les principales améliorations technologiques qui ont
permis de réduire les émissions de SO2. Concernant la baisse des
émissions de NOx, l'équipement progressif du pot
d'échappement à convertisseur catalytique a éliminé
près de 90 % des rejets de NOx par véhicule. De
manière générale, le développement des
économies d'énergie a également largement contribué
à la réduction des émissions des secteurs
énergétique et industriel.
La France se distingue de la moyenne européenne
principalement au niveau de l'évolution des émissions de SO2.
Débutant avec un léger retard par rapport à plusieurs pays
qui affichaient une baisse des émissions dès le milieu des
années 70 (OCDE 1991: 21), la France s'est rapidement rattrapée
par la combinaison de trois facteurs primordiaux:
· les économies d'énergie
· le développement rapide du programme
électronucléaire
· la mise en place d'équipements de
désulfuration des gaz de combustion au sein des centrales thermiques
maintenues
Entre 1974 et 1985, les économies de combustibles
liquides ont en effet contribué pour environ 25 % aux réductions
totales de SO2 (ME 1990: 145).
Quant à la substitution énergétique, le
graphique 3 témoigne d'une multiplication par trois du pourcentage
d'énergie nucléaire en parallèle à une division par
deux du pourcentage d'énergie thermique entre 1980 et 1990. Ainsi, en
1994, les centrales thermiques ne contribuaient plus qu'à 19
% des émissions nationales de SO2 comparé à
55 % pour l'UE-12 en 1993 (Ifen 1997 : 25).
Propres à l'Europe en général, «les
progrès les plus récents résultent des actions
développées par les exploitants industriels favorisant l'usage de
combustibles moins soufrés.» Il est intéressant de noter que
le PNE appréhendait une stabilisation des émissions de SO2 autour
de 1 ,4MT au cours des années 1990-95. (ME 1990: 27) Or le
développement de la technologie a permis à la France de maintenir
la baisse des émissions et de continuer à figurer parmi les
bons élèves. En 2000, les émissions de SO2 de la
France étaient ainsi de 0,4 kg/1000 unités de PIB comparé
à une moyenne de 1 pour les pays de l'OCDE Europe (OCDE 2005: 43).
Notons qu'en France, la principale réglementation appliquée au
niveau de la pollution industrielle est le BATNEC, ou meilleures
technologies disponibles n'entraînant pas de coûts excessifs.
(Chabason et Larrue 1998 : 76)
Le développement du programme
électronucléaire explique la légère baisse des
émissions de NOx en France vers le milieu des années
80. Cependant, dans l'ensemble, la France ne se démarque pas de la
moyenne européenne. Compte tenu du poids important du transport routier
dans la provenance des émissions de NOx, l'intensification du
trafic routier et l'augmentation du parc de véhicules fonctionnant au
diesel (particulièrement important en France, puisqu'il a triplé
au cours des années 90) ont largement modéré les effets
des progrès technologiques (pot catalytique pour le cas du
NOx).
L'exemple des émissions de SO2 et de NOx
met en lumière une corrélation plus forte entre la
disponibilité de techniques plus propres et la prise d'action pour
réduire la pollution, qu'entre l'urgence environnementale et la prise
d'action. Ainsi, «le NOx est plus agressif et plus dangereux
[que le SO2] pour la santé du fait de sa transformation en ozone sous
l'influence de la lumière du soleil ». (Knoepfel 1998 : 167) Or les
efforts se sont d'abord concentrés sur les émissions de SO2, pour
lesquelles des technologies plus propres étaient disponibles dès
les années 70.
Ces cas d'étude nous apprennent également que,
si les avancées technologiques mènent à un début de
réduction de la pollution, l'évolution sur le moyen terme
dépend largement de politiques dont la finalité n'est pas
essentiellement environnementale (développement du nucléaire et
efficacité énergétique dans le cas du SO2) ou
d'évolutions structurelles profondément ancrées
(augmentation du trafic routier dans le cas du NOx).
La réduction des émissions de SO2
représente le succès le plus notable de coopération
internationale en vue de réduire la pollution de l'air dans les pays
industrialisés. Combinée aux réductions de NOx,
elles ont permis d'éliminer la majeure partie du smog et des pluies
acides.
Cependant, malgré une diminution des gaz acidifiants de
plus de 40 % dans l'UE-15, des problèmes persistent suite à
l'effet retard des polluants. Ainsi, quarante ans après avoir
suscité l'attention de la communauté internationale, bon nombre
de lacs suédois demeurent affectés par l'acidification du
passé. De même, plus d'un cinquième des forêts sont
toujours considérées comme endommagées. Et
conséquence des émissions récentes, quelque 10 % des
écosystèmes européens ont dépassé leur seuil
critique de dépôts acides en 2004.64 (AEE 2005 : 97)
Au niveau des réponses à ces problèmes
de pollution, nous constatons que les secteurs économiques n'ont pas
contribué de manière homogène à réduire
leurs parts d'Aeq65. Alors que les secteurs de la transformation
d'énergie et de l'industrie manufacturière y ont largement
contribué par la baisse des émissions de SO2, les actions
entreprises par le secteur des transports pour diminuer les émissions de
NOx n'ont pas suffi à contrecarrer l'augmentation du trafic
routier, et enfin, le secteur agricole66 n'a pratiquement pas
contribué à réduire ses émissions de NH4. Cette
hétérogénéité des actions explique
l'évolution dépeinte par le graphique 13 c (en annexe): entre
1980 et 2005, la part des émissions de SO2 contribuant à l'Aeq
baisse de 36 %, tandis que celles des émissions de NOx et de
NH4 augmentent respectivement de 9 % et 27 %.
«Si jusque-là la pollution de l'air était
essentiellement considérée par les pouvoirs publics comme une
pollution d'origine industrielle, la loi sur l'air de 96 introduit une nouvelle
perspective en recentrant l'action de prévention de la pollution
atmosphérique sur la pollution des véhicules automobiles.»
(Larrue 1998: 137)
Notons cependant que, dans le cas du S02, la pollution
industrielle est encore dominante aujourd'hui ! Ainsi, Lascoumes et Le
Galès appliquent leur hypothèse selon laquelle «l'instrument
induit une problématisation particulière de l'enjeu» au cas
de la pollution de l'air: « L'orientation principale vers l'information
grand public a progressivement orienté l'essentiel du contenu des
messages diffusés vers la question des seuls effets de la circulation
automobile. (...) Par contrecoup, l'autre dimension plus ancienne, celle de la
pollution industrielle qui continue à constituer le fond de la pollution
atmosphérique tend à disparaître de l'information. »
(Lascoumes et Le Galès 2004 : 33-34)
En guise de conclusion, citons le dernier rapport du
PNUE:
« L'attention de la politique environnementale de l'UE
s'est déplacée de l'utilisation de mesures correctives dans les
années 70, à des solutions de réduction de la pollution en
fin de chaîne dans les années 80 puis, dans les années 90,
à une prévention et un contrôle de la pollution
intégrés, tirant profit des meilleures techniques disponibles.
Aujourd'hui, les politiques vont au-delà de ces solutions techniques
afin d'agir également sur les modèles et moteurs d'une
consommation et d'une demande non durables, et se dirigent vers une approche
intégrée de ces questions se concentrant sur la
prévention. » (PNUE 2007 : 227)
64 Nous avons choisi de traiter des impacts des
pluies acides au niveau européen étant donné qu'il s'agit
d'un enjeu régional. De plus, le territoire français n'est que
partiellement affecté par les pluies acides (essentiellement le
nord-ouest).
65 «L'indicateur "acide équivalent" (Aeq) vise
à caractériser la quantité globale de substances
rejetées dans l'atmosphère qui contribuent, à des
échelles géographiques et temporelles variables, aux
phénomènes d'acidification des milieux terrestres, aqueux et
aériens. » (CITEPA)
66 « Les émissions d'ammoniac [NH4] de
l'agriculture sont difficiles à calculer et encore plus
compliquées à contrôler. Elles devraient s'être
largement stabilisées en même temps que le nombre de têtes
de bétail des exploitations agricoles européennes. » (AEE
2005 : 93-97)