Les rapports des grandes organisations internationales (AEE
2005, OCDE 1997, PNUE 2002 et 2007)
soulignent les basculements nécessaires pour parvenir
à construire le développement durable.
Au niveau des pressions, une gestion prioritairement
axée sur les problèmes les plus flagrants a conduit à une
réduction de la part de pollution provenant de ces sources, tout en
révélant la part de pollution provenant de problèmes moins
visibles. Cette évolution se traduit par la mutation perceptuelle des
urgences à gérer. Ainsi, pour la pollution de l'air on passe des
sources fixes (industrie et énergie) aux sources mobiles (transports).
Pour la pollution de l'eau, on passe des sources ponctuelles (industrie et
collectivités locales) aux sources diffuses (agriculture). Or, les
nouvelles préoccupations paraissent plus complexes à
gérer: les sources mobiles en raison de leur multiplicité et de
leur lien direct avec les consommateurs; les sources diffuses en raison du
renversement perceptuel à opérer, de l'agriculture productiviste
à l'agriculture raisonnée, voir durable (voir infra).
D'un point de vue plus global, la responsabilité passe
des producteurs aux consommateurs en raison de l'évolution inverse de
leurs pressions respectives sur l'environnement (voir infra). Cela
débute au début des années 90 avec l'initiation au
recyclage des déchets ménagers, et se poursuit de nos jours avec
la sensibilisation des citoyens aux gestes pour économiser
l'énergie.
38 Nous entendons le terme « social »
par le rapport aux individus de la société et non à la
dimension du travail. Dans notre analyse, le pilier social du
développement durable est intrinsèquement lié à la
perspective économique.
39 Extrait du discours du Président Georges
Pompidou à Chicago en 1970.
Notons que dans l'esprit de Mai 68, la société
de consommation est remise en cause pour l'aliénation qu'elle impose
à l'individu, et non pour l'impact qu'elle induit à la
planète. On peut cependant y voir le terreau de la critique
écologiste. (Bess 2003 : 79-80)
En avance sur son temps, la déclaration de
Cocoyac40 préconise en 1974 la nécessité
«de nouveaux modes de vie, et notamment, parmi les riches, de modes plus
modestes de consommation ». En plus de la dimension matérielle, les
organisations internationales se penchent de nos jours sur la dimension
philosophique du problème. Ainsi, le PNUE constate que la consommation
de ressources est la cause principale de dégradation de l'environnement.
Pour y remédier, il faudrait «par un changement de valeurs, que
l'on renonce à privilégier la consommation matérielle.
Sans un tel changement, les politiques de l'environnement ne donneront que des
améliorations minimes.» (PNUE 2002: XXIX) Ayant commenté la
dimension philosophique au point 1.2, penchons-nous un instant sur la dimension
matérielle.
Si la tertiarisation des économies des pays
industrialisés permettrait certes de réduire la note d'une
dématérialisation de la consommation, il n'en est pas de
même pour les pays en voie de développement qui ont
repris une part substantielle de nos efforts de production et dont les
économies dépendent largement de la consommation mondiale de
biens matériels. Face à ce constat, on imagine difficilement
comment dématérialiser la consommation sans remettre en question
le soubassement économique de la société, à moins
d'attendre que les PVD aient connu une évolution similaire à la
notre - ce qui ne serait pas viable pour la planète en terme de
ressources.
Jusqu'ici largement ignorée par les pouvoirs publics,
la problématique a obtenu une place privilégiée lors du
Grenelle (phase 1: dialogue et élaboration des propositions). Un des six
groupes de travail thématiques avait en effet comme sujet adopter
des modes de production et de consommation durables - bien qu'en
considérant essentiellement l'application au secteur agricole.
Cependant, si «le Grenelle prend acte de la finitude de la
biosphère », «dans le même temps, il a du mal à
tirer toutes les leçons de ce constat et à envisager les
changements radicaux de modes de vie et de société que cela
implique. » (Bourg 2007 : 67)