Nous puisons notre inspiration sur la perception des valeurs
environnementales de l'article de Bozonnet sur le «Verdissement de
l'opinion publique ». Selon l'auteur, l'appropriation de
l'écologisme dans les pays occidentaux se traduit par une «part
majoritaire de la population qui accepte du bout des lèvres un
environnementalisme minimal: les valeurs écologistes, enjeu consensuel
et non plus conflictuel, recueillent désormais l'accord
général. Ecologisme élargi mais aussi affadi, sans
conséquence sur l'action, adopté du seul fait de la pression
sociale et vécu par procuration.» (Bozonnet 2003)
Si nous adhérons à l'analyse globale de
l'auteur, nous proposons de nuancer le point de vue sur le manque d'application
de l'écologisme. Il nous semble que de nos jours, le problème se
pose moins en termes d'action que de consommation. Fournissons l'exemple
particulièrement représentatif des déchets, extrait de
l'étude de l'Insee sur les Pratiques environnementales des
ménages : «Majoritairement soucieux de la gestion des
déchets lorsqu'ils sont produits, les ménages semblent en
revanche moins concernés par leur réduction à la source:
17 % seulement déclarent faire attention lors de leurs achats à
la quantité de déchets qu'ils génèreront. »
(Insee 2007)
Annulant globalement les effets des améliorations
pratiques, les pressions suscitées par une
consommation croissante
engendrent une incohérence du discours majoritaire. En comparaison,
durant
les décennies 70 et 80 la responsabilité
environnementale pèse moins sur le consommateur que sur
37 Concernant la part de l'espace
protégé en France, «En trente ans, on est passé de
0,1 % à près de 10 % ». (Antoine 1994-95: 16)
l'unité de production. Cette mutation
multidimensionnelle se traduit dans le tableau 2 par le rapport inverse entre
appropriation des valeurs et cohérence du discours.
Au-delà des causalités liées aux pressions
des activités humaines, penchons nous sur les causalités
liées aux réponses pour élucider le paradoxe relevé
ci-dessus.
Une brève observation du tableau 2 permet
d'établir une correspondance entre le rapport social et le rapport
économique à l'environnement. Aux deux niveaux d'analyse, les
conflits deviennent consensus par le biais de l'intégration - sociale au
travers de l'appropriation majoritaire des valeurs; économique au
travers de la théorisation du développement durable.38
Ces mutations calquent deux tendances antagonistes qui révèlent
la complexité du processus d'appropriation des valeurs
environnementales:
· Vers la fin des années 60, la
disponibilité croissante des besoins de base provoque une transition de
valeurs matérielles vers des valeurs
post-matérielles (théorie de Ronald Inglehart, voir
supra). Avec le recul, il nous semble que cette mutation du système des
valeurs est le principal intérêt de l'effervescence des
années 70. Ainsi, malgré les fluctuations liées aux
aléas conjoncturels, l'écologisme s'est maintenu
jusqu'aujourd'hui, et d'aucuns parlent du 21ème siècle comme le
siècle de l'écologie.
· En parallèle, la consolidation de la
société de consommation a orienté le système de
valeurs vers une approbation de la jouissance matérielle, dont nous
verrons les débordements au chapitre 2.
Le rapport de force entre ces mouvements contradictoires a
mené à une assimilation superficielle des valeurs
environnementales - notamment liée à une piètre
intégration de l'environnement dans l'éducation. Dans ce
contexte, l'ambition affichée par le Président Pompidou en 1970
de «créer et répandre une sorte de morale de l'environnement
»39 n'a été qu'à moitié
accomplie.