Au début des années 70, les
préoccupations se focalisent sur des problèmes ponctuels de
conservation et de pollution, au niveau essentiellement local, voir
régional avec les pluies acides. A la fin des années 80, le trou
dans la couche d'ozone représente le premier problème
environnemental à susciter l'action de la communauté
internationale. Au début des années 90, des problèmes de
plus en plus complexes prennent le devant de la scène: le changement
climatique, la biodiversité, les OGM. Caractérisées par la
globalité, l'incertitude scientifique, la variété et la
multiplication des sources de pression, ces thématiques
nécessitent une gestion plus élaborée.
Ainsi, le PNUE note le contraste entre la rapidité de
la réaction de la communauté internationale face au
problème des émissions portant atteinte à la couche
d'ozone (application du principe de précaution), et le manque d'urgence
dans la réponse face au changement climatique.
«Les négociations sur le protocole de
Montréal tombèrent à point nommé. Pendant les
années 1980, le public était devenu de plus en plus
préoccupé par l'état de l'environnement naturel, et les
illustrations spectaculaires du trou de l'ozone au-dessus de l'Antarctique
avaient démontré les effets des activités humaines. Le
nombre d'acteurs clés impliqués dans les négociations
étant petit, un accord put être obtenu plus facilement. D'autre
part, un rôle clair de leader fut exercé, d'abord par les
États-Unis, puis par l'Union européenne. (...) Après la
CCNUCC en 1992, le protocole de Kyoto s'est déroulé à un
moment moins opportun puisqu'il coïncidait avec un affaiblissement de
l'intérêt public et politique pour les questions environnementales
mondiales, au milieu des années 1990. Les principales parties prenantes
étaient nombreuses et une opposition puissante dans certains secteurs
rendit l'entente difficile. » (PNUE 2007 : 74)
En France, l'évolution parallèle des niveaux
géographique et thématique ainsi que la complexification des
enjeux peut être illustrée par les exemples des émissions
polluantes dans l'air et de la protection de la nature.
Peter Knoepfel (1998) délimite la lutte française
contre la pollution atmosphérique de la façon suivante:
· première génération: les
poussières et les fumées noires (années 60 et début
80)
· deuxième génération: le dioxyde de
souffre (années 70 et 80)
· troisième génération: l'oxyde
d'azote (années 80 et 90)
(Knoepfel 1998 :168)
Nous pourrions compléter ainsi cette classification:
· quatrième génération: les particules
et l'ozone (années 90 et 2000)
· cinquième génération: le dioxyde de
carbone (années 90, 2000 et au-delà)
Nous retrouvons les mutations géographiques et
thématiques des enjeux, de plus en plus difficiles à
gérer: d'exclusivement locaux (fumées noires) à
régionaux (pluies acides) et enfin mondiaux (changement climatique).
De la conservation locale de la faune et des paysages, on est
passé au concept régional de maillage ou de réseau
d'écosystèmes à celui, mondial, de biodiversité
(néologisme qui date d'ailleurs seulement des années 80). (OCDE
1997: 136) Or, rétrospectivement, nous devons constater que
malgré une conservation réussie des espaces37, la
perte de la biodiversité se poursuit plus rapidement que dans le
passé. Outre la complexité de l'enjeu, les pressions de la
croissance et de l'urbanisation ainsi que le manque d'intérêt
économique pour adopter des politiques fortes expliquent entre autres ce
paradoxe. Nous souhaitons souligner un problème majeur: l'opinion
publique ne s'approprie plus la thématique. Au travers des
Eurobaromètres spéciaux relatifs à des
enquêtes en 1982 (premier en date disponible sur internet), 1988 et 2007,
nous avons tenté de définir les fluctuations de la
préoccupation de l'opinion publique française pour la disparition
des espèces au cours des 30 dernières années.
Malheureusement, les données ne sont pas comparables car la question en
2007 est très différente de celle posée en 1982 et 1988.
On peut malgré tout définir deux tendances: une hausse de la
préoccupation en 1988, suivie d'une baisse de la préoccupation en
2007. Nous relions la hausse de la fin des années 80 à une forte
médiatisation d'espèces charismatiques menacées de
disparition et de problèmes tels que la déforestation ou la
pollution des mers et des océans. Quant à la baisse de la fin des
années 2000, nous l'attachons notamment au changement sémantique
qui relègue la thématique au domaine exclusif des scientifiques
et d'une minorité d'érudits.
Nous observons ainsi une évolution inverse au niveau
de l'appropriation sémantique des concepts de nature et d'environnement.
Tandis que les composantes de la nature se complexifient avec l'invention de la
biodiversité, l'environnement se popularise avec son
institutionnalisation.