Nous traitons ci-dessous d'aspects terminologiques, du choix
de la documentation et du schéma d'analyse global. Nous poursuivons par
une réflexion sur les effets pervers de la méthode de comparaison
des indicateurs au PIB, et terminons par la définition des
difficultés rencontrées en cours de route.
Nous inscrivons cette dynamique interactive dans la structure de
notre recherche:
La complexification des problématiques exige une
complexification des instruments qui, à leur tour, altèrent les
deux premiers niveaux.
Comme nous l'avons mentionné plus tôt, chaque niveau
correspond à une approche méthodologique qui offre une vision
particulière du problème.
Nous présentons ci-dessous les composantes
prépondérantes et structurantes de notre bibliographie, et
préciserons certains titres au fil des chapitres:
· des évaluations d'experts sur les politiques
environnementales françaises, notamment de Lascoumes, Theys, Chabason et
Larrue, ainsi que des revues spécialisées, publiées entre
le début des années 90 et 2007;
· des analyses d'experts sur le thème de l'eau,
notamment de Bernard Barraqué, référence en la
matière, et de rapports d'information provenant du Sénat;
· des rapports sur l'état de l'environnement en
France provenant du ministère de l'Environnement (ME 1976 (le premier en
date), 1989, 1990, 1991) puis de l'Institut français de l'environnement
(Ifen 1996-97, 1999 et 2006), ainsi que deux des examens environnementaux de la
France par l'OCDE (1997 et 2005);
· des rapports sur l'état de l'environnement mondial
ou régional par l'Agence européenne de l'environnement (AEE
2005), l'OCDE (1997) et le PNUE (2002 et 2007).
Les rapports internationaux nous serviront d'entrée en
matière et fourniront un cadre général des changements sur
quarante ans. Les rapports sur l'état de l'environnement en France nous
pourvoiront de données brutes, ainsi que, pour certains (Ifen 1996-97 et
2006 ; OCDE 1997 et 2005), d'évaluations de politiques. Les analyses
d'experts nous ouvriront plus particulièrement la porte vers une
approche critique des politiques.
Il est intéressant de noter que depuis la naissance des
rapports sur l'état de l'environnement au tournant des années 70,
leur contenu a évolué en parallèle à la perception
de l'environnement (voir infra). Ainsi, «On a mis d'abord l'accent sur
l'état de l'environnement biophysique - les terres, les eaux douces, les
forêts, la flore et la faune sauvages (...); on prend désormais en
compte les interactions complexes entre l'homme et la nature. » (PNUE
2002)
3. Schémas d'analyse
Nous avons choisi l'étude rétrospective sur le
moyen terme car elle offre une perspective plus large des problématiques
et des politiques environnementales que l'étude récente, ainsi
qu'un regard sur l'évolution de la société en
général.
Nous axerons notre recherche selon trois formules
différentes: l'approche institutionnelle, l'approche par les
problématiques et l'approche par les instruments. Chacune d'entre-elles
fournira un cadre d'analyse propre qui révèlera des changements
particuliers sur la période étudiée. Nous
préciserons leur particularité et leur intérêt au
moment opportun.
Au travers de ces analyses, nous tenterons de parcourir de
nombreuses disciplines liées à l'environnement, telles que
l'économie, la communication ou l'histoire, ainsi que de nombreux
secteurs, tels que l'agriculture, l'énergie, le tourisme ou les
transports, et enfin de nombreuses thématiques, telles que les
déchets ou la santé. Cependant, nous porterons plus
particulièrement notre attention sur les thèmes de l'air et de
l'eau, ceci selon deux méthodes complémentaires:
· en filigrane pour le cas de la pollution
atmosphérique;
· au travers d'un chapitre particulier pour le cas de
l'eau.
L'eau tient une place pionnière et singulière
dans l'histoire de l'institutionnalisation et des politiques environnementales
françaises. L'eau représente également un secteur
dynamique et porteur d'enjeux économiques et sociaux.
D'un point de vue plus pratique, les thématiques de
l'eau et de l'air sont intéressantes car il existe de nombreux
indicateurs s'y référant sur le moyen terme.
A ce sujet, nous proposons une réflexion sur les
indicateurs de découplage d'environnement (IDE), outils qui mesurent le
niveau de découplage entre les pressions environnementales et la
croissance économique (OCDE 2004 : 35). (voir annexe n° 2)
Au cours de nos recherches, nous avons constaté une
croissance de l'usage des IDE dans les rapports français3.
Cet outil a été développé par l'OCDE à une
époque charnière où l'ambition d'intégrer
économie et environnement s'exprime au plus haut niveau
politique4. Le rapport Indicateurs d'environnement: une
étude pilote (OCDE 1991) constitue une référence en
la matière. Or, tout comme il est justifiable, et de plus en plus
pratiqué5, de remettre en cause les indicateurs
économiques traditionnels - dont le PIB constitue le principal
paramètre - il nous semble qu'il y a lieu de peser l'efficacité
(en terme de perception du changement) ainsi que les effets pervers des IDE.
Au niveau de l'efficacité, si le rapprochement est
intéressant pour mesurer le maintien d'un problème ou son
aggravation en cas de couplage, il mène souvent à des conclusions
erronées en cas de découplage. Par exemple, malgré un
découplage prononcé entre les émissions de SO2 et le PIB,
l'industrie maintient une place prépondérante par rapport aux
autres secteurs émetteurs. De plus, les immissions sont toujours
considérées comme trop importantes pour garantir le bon
état écologique des écosystèmes. (AEE 2005)
Au niveau des effets pervers, si la comparaison d'indicateurs
environnementaux au PIB est une expression de l'économisation
de l'environnement - comme, par ailleurs, la réalisation
d'Examens environnementaux par un organisme comme l'OCDE - nous
estimons que l'emploi de cet outil conduit à accentuer cette
tendance.
En effet, «La sociologie des organisations industrielles
et autres a développé en parallèle des approches reposant
sur le même schéma d'analyse intellectuel (...) dans les nombreux
travaux menés sur les outils de gestion (indicateurs, tableaux de bord,
système d'analyse des coûts, modèles de prévision,
etc.). Ils montrent cette double dynamique d'exploration
(prélèvement d'information) et de conformation
(diffusion de modèles de comportements, bonnes pratiques, etc.),
ainsi que les processus d'appropriation-adaptation des instruments, mais aussi
les diverses formes de contournement et de résistance
développées par les acteurs. » (Lascoumes 2008 : 3)
Souhaitant nous distancier de cette approche
économico-centrée, nous avons évité d'employer les
IDE dans nos graphiques. Par contraste, la comparaison au seuil de
tolérance du milieu, certes difficile à mettre en oeuvre, nous
semble bien plus conforme à une véritable optique de
développement durable.
4. Difficultés rencontrées
Nous relevons la complexité de notre démarche
au regard de l'intrication des thématiques environnementales, des
schémas d'analyse et du vaste champ spatial et temporel
étudié. Devant l'ampleur de la tâche, nous avons
également éprouvé les limitations exigées par la
synthèse.
3 Ainsi, le rapport français sur l'Etat
de l'environnement pour l'année 1989 ne compare que les
émissions de SO2 au PIB (ME 1990: 132) - choix par ailleurs significatif
vu qu'il s'agit sans doute du découplage le plus spectaculaire.
4 Extrait de la Déclaration du G7 à
l'issue du Sommet de Houston, 1990: «Il est particulièrement
important de mettre au point rapidement des indicateurs en matière
d'environnement et de concevoir des approches tenant compte du marché,
qui puissent être utilisés pour réaliser les objectifs en
matière d'environnement.» (OCDE 1991 : 11)
5 Selon l'Eurobaromètre 2008, 74 % des
Français estiment que le progrès national devrait être
évalué sur base d'indicateurs sociaux, environnementaux et
économiques, contre 11 % qui n'optent que pour les indicateurs
économiques. (TNS Opinion & Social 2008: 111)
Le manque de données au début de la
période étudiée, ainsi que le manque
d'homogénéité des données sur le moyen terme, sont
d'autres difficultés auxquelles il a fallu faire face.
Concernant les données scientifiques, nous citerons le cas
de l'eau: il y a un siècle, il suffisait de quatre à cinq
critères pour définir la qualité de l'eau. Maintenant, il
en faut près d'une centaine! Concernant les sciences sociales, Daniel
Boy expose le problème ainsi que la solution qu'il applique aux sondages
d'opinion: «Il n'existe pas (...) de baromètre d'opinion
français mesurant régulièrement l'impact du thème
environnemental dans les vingt dernières années. En revanche, ce
même instrument a été développé au niveau
européen par les services d'étude de la CEE.
L'Eurobaromètre réalise à intervalles réguliers des
études dans les pays appartenant à la Communauté. »
(Boy 1999 : 213) Malgré l'utilité de cet outil, nous nous sommes
aperçu que les interrogations sont souvent formulées
différemment. Or, l'écart d'un mot peut susciter une perception
différente de la question qui se répercute dans la réponse
et risque de fausser la comparaison temporelle. Nous avons donc tenté
d'évaluer subjectivement le sens des interrogations et indiqué le
risque d'erreur lorsqu'il eut été dommage d'écarter la
question.