Introduction
Lorsque l'idée de nous pencher sur les politiques
environnementales françaises a émergé dans notre esprit,
les candidats à la présidence de la France faisaient une cour
assidue à un animateur de télévision, qui constatait haut
et fort ce que scientifiques et experts s'évertuaient à faire
entendre depuis des décennies. A savoir que les politiques
françaises n'ont été et ne sont toujours pas à la
mesure de l'urgence et des enjeux environnementaux. Promesses obtenues,
l'animateur de télévision a délaissé - pour le
moment - le devant de la scène politique pour accompagner les ONG sur la
place publique. Le temps d'une consécration, les vedettes sont apparues,
les media se sont installés à leurs places assignées, et
les Français ont applaudi: super-Grenelle est arrivé !
La mémoire historique semble bien courte. En effet,
cette impulsion politique n'est pas sans rappeler, pour les érudits, un
Plan national pour l'environnement du début des années 90, qui
avançait un changement «d'échelle et de méthode
» (Chabason et Theys 1990: 10). Ce genre d'action relève-t-il
davantage du symbole, avec comme principal effet positif de sensibiliser les
citoyens, ou projette-t-il concrètement les espoirs d'une
époque?
Quant au MEEDDAT1, ce géant technocrate
à la main verte, inventé de toute pièce pour transcender
la faiblesse historique du ministère de l'Environnement
(ME)2, est-il vraiment apte à animer une révolution
écologique? Il nous faut pourtant résister à la tentation
de se projeter dans le futur, car c'est bien plus dans le passé que les
réponses se profilent.
En tant qu'observateurs extérieurs, nous nous devons
d'applaudir avec les Français ! En effet, ce remous environnemental nous
permet d'ajouter un niveau à notre rétrospective des politiques,
des institutions, des problématiques, de la perception, des sources
d'impact, de la technologie et des instruments de gestion que nous nous
proposons d'étudier.
Quelles sont les grandes tendances sur quarante ans? Comment
s'articulent-elles? Quelles sont les dynamiques d'influence? Quelles sont les
améliorations et quels sont les échecs? Comment se mettent en
place les leviers d'action ou les blocages? Quelle est la position
particulière de la France dans le contexte européen ? Enfin, nous
autorisant à épier dans le futur - tout en gardant les pieds bien
ancrés dans le présent - quels sont les défis à
relever? Au travers de photos instantanées de la situation au
tournant des années 70 et aujourd'hui, et au travers d'évolutions
plus complètes lorsque les données compilées existent,
nous tenterons d'esquisser des réponses à ces questions.
Notre recherche sera guidée par trois hypothèses,
qui relèvent simultanément de trois perspectives: la dynamique
socio-économique, la dimension temporelle et la question de
l'efficacité des politiques.
1) Notre première hypothèse stipule que la
réussite ou l'échec d'une politique environnementale s'installe
selon une dynamique spécifique, résultant de la place des
acteurs/secteurs dans un contexte socio-économique particulier. Les
rapports de force entre acteurs produisent ainsi des blocages qui ralentissent
le processus d'intégration politique des préoccupations
environnementales - ceci dans un engrenage global de croissance qui tend
déjà vers la direction opposée.
2) Notre deuxième hypothèse propose la notion
de «seuil d'intervention optimal », qui devrait idéalement
être établi en fonction de la capacité d'absorption et du
seuil de tolérance du milieu (santé humaine incluse). Or, nous
pressentons que la gestion intégrée des problématiques
s'opère généralement à posteriori de ces seuils.
1 Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du
Développement Durable et de l'Aménagement du Territoire,
créé en 2007.
2 Parmi les multiples appellations qu'aura connues
le ministère de l'Environnement (voir annexe n° 1) depuis sa
création en 1971, nous utiliserons cette formule
générique, raccourcie par les initiales ME, lorsque le contexte
ne nécessite pas plus de précision.
Notons que ces notions sont déjà implicites en
1973, dans une note sur la prospective de l'eau: «Le problème
essentiel consiste à prendre des mesures avant qu'une partie trop
importante des cours d'eau et des lacs n'ait atteint un stade de
dégradation irréversible. » (GIEE 1973 : 229)
3) Notre troisième hypothèse soutient que les
améliorations suscitées par les politiques (mais, plus
précisément, quelles politiques?) sont globalement
compensées, voir dépassées, par la poursuite du
modèle business as usual.
La vérification de nos hypothèses se
concrétisera notamment au travers de questions relevées dans un
chapitre dédié à l'analyse des interventions des pouvoirs
publics du rapport GEO3 (PNUE 2002):
· Les problèmes environnementaux ont-ils
été définis?
· Des objectifs chiffrés ont-ils été
formulés?
· Les intentions exprimées ont-elles eu une
suite?
· Cette suite a-t-elle eu des effets positifs sur
l'environnement?
· Ces effets sont-ils suffisants?
Les deux dernières questions semblent
particulièrement difficiles à trancher: «il n'existe pas de
mécanisme, de méthode ou de critère qui permette
véritablement de déterminer quelle politique contribue à
quel changement de l'état de l'environnement. Il est
généralement impossible d'assigner tel impact particulier
à telle mesure ou politique précise; les liens entre les actions
humaines et les résultats environnementaux sont encore mal
élucidés. » (PNUE 2002: 198)
Nous tenterons donc différentes approches
méthodologiques, introduites dans nos schémas d'analyse, afin de
parvenir à une image globale de l'évolution des
problématiques et des politiques environnementales françaises sur
quarante ans, plus particulièrement celles de l'air et de l'eau.
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