Une évolution similaire à celle du budget peut
être constatée au niveau des effectifs du ME: de 257 agents (+ 388
mis à disposition par les autres ministères) en 1971 à
3600 en 2004. Mais la croissance en ressources humaines s'est
opérée sans aboutir à la formation d'un corps
homogène de fonctionnaires.
Marie-Christine Kessler analyse les causes de ce manquement.
On retrouve un enchaînement lié
à
l'hétérogénéité de la
thématique environnementale et à la fonction première
d'administration de
mission. En effet, à sa création, le ME
hérite des ressources humaines de la DGPN et de fonctionnaires
33 «Le véritable budget de
l'environnement provient de crédits dégagés par les autres
ministères.» (Chevallier 1999 : 41)
ayant travaillé au niveau de l'environnement au sein
de la DATAR et d'autres administrations. Or,
«L'hétérogénéité de personnels est peu
propice à l'éclosion d'une culture propre, à
caractère environnementaliste, c'est-à-dire proche de la
nature, de l'écologie, respectant les finalités du bien
public, de la santé, de l'équilibre naturel plus que celles
des professions impliquées. » (1999 : 73)
De nombreux auteurs, souvent d'anciens fonctionnaires,
soulignent les incidences de la gestion du ME par les grands corps techniques
traditionnels - c'est-à-dire par les ingénieurs des Mines, les
ingénieurs des Ponts et Chaussées et les ingénieurs du
Génie Rural des Eaux et des Forêts (GREF). En effet, « Chaque
partenaire important [les ministères sectoriels qui
détiennent des compétences en rapport avec l'environnement] du ME
dispose de son homologue corporatif au sein du ME (sauf le ministère de
la Santé Publique). » (Chabasaon et Larrue 1998 : 69):
· Incidences au niveau des études d'impact:
« L'élaboration des documents d'urbanisme a
d'abord été confiée à la tutelle des architectes
puis à celle du Corps des Ponts et Chaussées. Ni les uns, ni les
autres n'ont, par leurs formations, une sensibilité particulière
à l'environnement. » (Falque 1998 : 40)
· Incidences au niveau de la politique agricole:
« Les ingénieurs du GREF étaient un peu
préparés aux problèmes d'environnement et aux
problèmes biologiques, mais étaient quand même
influencés par le système intensif plutôt qu'extensif. Par
conséquent, ils avaient eux aussi du mal à concilier les
exigences d'environnement avec les exigences de l'agriculture. »
(Chambolle 1994-95 : 8)
Chambolle fait également ressortir les incidences de
la gestion par le corps des Mines sur la politique de l'air. Nous
intégrons son témoignage dans le chapitre sur les instruments car
il résume les mutations de cette politique au cours des quarante
dernières années.
Si la structure du ME a propulsé l'emprise des
technocrates sur les politiques environnementales, nous soutenons
qu'inversement, les grands corps pèsent comme des lobbies sur
l'échafaudage gouvernemental. Ainsi, lors de l'allocution de
clôture d'une journée d'études
stratégique34, le vice- président du conseil
général des Ponts et Chaussées, Claude Martinand, promeut
la construction d'un ministère associant environnement,
aménagement du territoire, énergie et transports (Comité
d'histoire du ministère 2007: 84) - soit précisément la
structure pour laquelle opte le gouvernement de Nicolas Sarkozy en juin 2007!
Lorsque l'environnement est porteur d'enjeux importants, notamment
économiques avec les politiques de lutte contre le changement
climatique, il est opportun d'y être institutionnellement associé.
Si le secteur associatif a certes insufflé une phase d'impulsion (voir
supra), force est de constater que les technocrates en dirigent
l'orientation.
En effet, par comparaison, le Pacte écologique
de Nicolas Hulot écarte la voie d'un grand ministère du
Développement Durable regroupant l'environnement, l'aménagement
du territoire, l'équipement et les transports. « L'environnement
doit rester l'objet d'un ministère spécifique avec ses missions
traditionnelles (gestion des espaces et des ressources naturelles, protection
de la faune et de la flore, risques majeurs, pollutions et nuisances). (...) il
faut que la mer et la pêche, l'aménagement rural, les
rivières et les eaux souterraines, les forêts lui soient
également confiées. » (Hulot 2007 : 199-208) On voit quel
cas il sera fait de ces recommandations. De plus, l'eau et la mer, dont la
gestion économique est entre les mains de lobbies à profil
environnemental bas, seront deux thématiques occultées par le
Grenelle (voir infra).
34 Organisée de manière opportune le
15 février 2007, la journée d'étude sur
«l'expérience du ministère de l'Environnement et du Cadre de
vie» peut être comparée à une agora pour les
fonctionnaires en période de débats sur la réorganisation
du ME. Ce ministère, sous la direction de Michel d'Ornano de 1978
à 1981, est globalement considéré comme un exemple de
grand ME. Notons que ce n'est pas le ME mais le ministère des
Transports, de l'Equipement, du Tourisme et de la Mer qui organise cette
journée d'étude!