La fonction d'un découpage ministériel est
double: d'ordre pratique par la localisation de l'autorité, la
structuration des circuits de communication et de décision au sein de
l'Etat et le jeu des relations de proximité ou de distanciation au sein
de l'administration; d'ordre symbolique par la représentation sur
laquelle s'appuiera l'action publique. (Chevallier 1999 : 22) Nous appliquons
cette vision à l'analyse des découpages du ME, dont
témoignent les persistants changements de titres des ministres et
secrétaires d'Etat (voir annexe n° 1).
Les statuts de ministère délégué
auprès du Premier ministre, ministère à part
entière, secrétariat d'Etat ou ministère d'Etat ne
confèrent pas le même pouvoir aux fonctionnaires.
La fonction de coordination intersectorielle justifie le
rattachement du ME, à divers moments de son histoire, aux services du
Premier ministre. (Lascoumes 1999: 15-16) Ce rattachement nous semble
particulièrement opportun lors de la création du ME27
et lors du lancement du PNE, soit à des phases d'impulsion où le
ministre nécessite un appui hiérarchique face aux
résistances des autres administrations.
En effet, si «l'institution d'un ministère
autonome paraît être à première vue une garantie
d'émancipation et un moyen d'affirmation (...), en coupant le lien avec
Matignon, elle a pour effet négatif de priver le ministère d'une
capacité d'action transversale sur les autres ministères ».
(Lascoumes 1999 : 39)
Cette capacité d'action interministérielle
réapparaît avec le ministère d'Etat créé en
2007, qui jouit d'une position hiérarchique forte pour lancer les
mesures du Grenelle.
Une autre question d'ordre pratique est celle du rattachement
ou non de l'administration de l'environnement à d'autres domaines
administratifs. Là aussi, les modèles les plus divers ont
été mis en oeuvre, en allant et venant de l'indépendance
à l'union avec des administrations tantôt marginales (Jeunesse et
Sports, Tourisme, Culture), tantôt colossales (Equipement,
Aménagement du Territoire, Transports).
L'expérience du ministère de l'Environnement et
du Cadre de Vie de 1978 à 1981 nous apprend que le rattachement à
un grand ministère (en l'occurrence l'Equipement) peut contribuer
à renforcer l'administration aux niveaux territorial et
budgétaire tout en favorisant l'insertion territoriale et
l'intégration sectorielle de l'environnement. Mais après cette
expérience tronquée, le modèle de ministère
sectoriel s'installe pour une quinzaine d'années, et ceci malgré
l'ouverture dont aurait bénéficié la mise en oeuvre du
PNE. «On sait que l'expérience du ministère de
l'Environnement et de l'Aménagement du Territoire (1997-2002) n'a pas
fondamentalement réussi à inverser cette évolution; les
deux champs étant de fait restés plus juxtaposés que
réellement intégrés...» (Theys 2007: 19-20)
En ce sens, le ministère de l'Écologie, de
l'Energie, du Développement Durable et de l'Aménagement
du
Territoire, créé en 2007, offre de larges possibilités
d'arbitrages. Mais cette alliance mènera-t-elle à
une
convergence ou à une dilution des intérêts environnementaux
face à ceux, souvent divergents, des
27 F. Charvolin relate l'analyse de Jacques Belle, premier
directeur de cabinet de Robert Poujade: «Ministre
délégué, ça dénote à la fois
subordination mais également vocation interministérielle, puisque
placé auprès du Premier ministre. Cette vocation était
très importante au départ. Il fallait démarrer sur la base
interministérielle, puisqu'il fallait rassembler les
éléments, les compétences, liés à certaines
administrations.» (Charvolin 2003: 87)
autres administrations qui ont été
incorporées à ce méga-ministère28 ?
Notons que le choix des alliés (transport, énergie) est
symptomatique de l'importance consentie à l'enjeu climatique. Ainsi,
l'Agriculture demeure séparée de l'Environnement alors que ce
secteur est largement en cause au niveau des impacts infligés à
l'eau et à la biodiversité.29
L'indépendance ou le rattachement à d'autres
administrations énonce en parallèle la représentation du
champ de l'environnement.
Lavoux décrit le parcours du ministère «de
la protection de la nature à l'émergence de la
qualité de vie»: «Au total, durant ces dix
premières années, la France aura inventé ou
bricolé une conception de l'environnement originale
s'étendant à la qualité de la vie, les paysages,
l'écodéveloppement, les nuisances urbaines et qui, ainsi, se
distingue du modèle classique de politique sectorielle. » (1999 :
90) Le thème plutôt social de qualité de vie
perdure de 1974 à 1983, phase de ralentissement du taux de
croissance économique (suivant les chocs pétroliers) et
d'aboutissement de la période d'urbanisation intensive30 de
la France. Le thème de prévention des risques technologiques
et naturels majeurs s'installe de 1984 à 1990, période
d'accidents et d'enjeux mondiaux fortement médiatisés (voir
supra). Par contraste, le thème moins accessible de
développement durable31 n'intègre
l'intitulé du ME qu'à partir de 2002 - et toujours
accompagné de la mention à la mode d'écologie.
L'instabilité de l'administration de l'environnement
au sein du gouvernement symbolise la recherche d'une juste place à une
thématique hétérogène. Si elle lui confère
une certaine richesse par le contact avec diverses administrations, elle
nécessite également un effort d'adaptation continu et
ralentissant. Ainsi, plusieurs experts se sont exprimés sur ce point
lors d'une journée d'étude sur «l'expérience du
ministère de l'Environnement et du Cadre de Vie»: «Les
ministères protéiformes changent avec chaque gouvernement, ce qui
est très mauvais pour l'efficacité de l'appareil institutionnel
et pour l'image de la France. » (Comité d'histoire du
ministère 2007 : 39, 82)
Les changements symboliques de la structure
ministérielle évoquent en ce sens le «tout changer pour que
rien ne change» de certains jeux successifs de substitution d'instruments.
(Lascoumes et Le Galès 2004 : 364)