CHAPITRE II
LE DROIT DE PROPRIÉTÉ : EXTENSION DE SON
CHAMP D'APPLICATION AU DROIT DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Section 1 Le droit d'auteur : les caractéristiques
d'une « pleine » propriété
Comme, nous l'avons vu précédemment, les
richesses ne se réduisent plus aux biens corporels. Le droit des biens
devient « immatériel et virtuel » et peut s'approprier les
biens incorporels. Le droit de propriété n'a plus le même
sens que lors de sa rédaction, et a connu « depuis 1789 une
évolution caractérisée par une extension de son champ
d'application à des domaines nouveaux ; (...) parmi ces derniers,
figurent les droits de propriété intellectuelle et notamment le
droit d'auteur et les droits voisins »68.
En effet, dans un monde dématérialisé, le
droit de propriété est progressivement conduit à prendre
en compte les biens incorporels « que sont les créances, les
valeurs mobilières, les informations, les données, les
dénominations sociales, et, surtout, ces choses, objets d'un droit de
propriété intellectuelle organisé, que sont les oeuvres,
inventions ou marque »69. Ces richesses incorporelles
d'une grande valeur comptent parmi elles : le droit de propriété
intellectuelle.
Le droit de propriété repose sur la possession
du support « physique ». S'agissant des possessions incorporelles, il
n'est pas possible d'établir une possession physique sur les oeuvres
immatérielles. Pour autant, une propriété existe. Par une
fiction légale, un droit de propriété «
intellectuelle » a été crée. L'auteur (le
créateur) devient ainsi « propriétaire » de son
oeuvre70.
De vifs débats doctrinaux se sont penchés sur la
question de savoir si le droit de propriété intellectuelle est un
droit de propriété. Christophe Caron se demande si « un
droit commun des biens en droit de la propriété intellectuelle
» peut exister71.
Une chose est sûre, nous retrouvons dans le Code de la
Propriété Intellectuelle, le terme de «
propriété » à de nombreuses reprises : le droit de
propriété incorporelle (article L. 111-1), la
propriété commune (article L.1 13-2), titre de
propriété industrielle (article L. 611-1), le droit de
propriété sur cette marque (article L. 713-1) 72.
68 Christophe Caron, « Droit d'auteur et droits
voisins », Litec, octobre 2006 p. 11
69 Christophe Caron, « Du droit des biens en tant
que droit commun de la propriété intellectuelle », JCPG 2004
I. 162, p. 1623
70 P. L. Torremans, "Le droit d'auteur en tant que
droit de l'Homme", Propriétés intellectuelles, avril
2007, N° 23, p. 174
71 Christophe Caron, op. cit., p. 1624
72 Ibid.
Par ailleurs, l'auteur ou un breveté semble disposer
sur son oeuvre des mêmes prérogatives qu'un véritable
propriétaire. L'exclusivité sur l'oeuvre ou l'invention, les
permet d'interdire de manière absolue autrui de l'utiliser. Au
contraire, ils ont la faculté d'autoriser. L'inventeur peut exploiter
son brevet (usus), en jouir en concédant à un tiers une licence
d'exploitation moyennant le versement d'une redevance (fructus) ou bien le
céder (l'abus)73. Le créateur concède au public
la « jouissance intellectuelle » mais dans le même temps il se
réserve le droit de jouir et de percevoir les fruits de sa
création. Il détient ainsi un pouvoir exclusif, absolu et
opposable à tous74. Ces éléments
caractérisent la propriété des créateurs sur leurs
oeuvres.
D'où, il serait justifié et souhaitable que la
propriété intellectuelle soit rattachée au droit des biens
car « la propriété du Code de la propriété
intellectuelle correspond dans ses grandes lignes, à la
propriété du Code civil75 ». Le droit
d'auteur serait donc une propriété, car il est une branche
spéciale du droit des biens.
Le Chapelier affirmait déjà que «
l'ouvrage, fruit de la pensée d'un écrivain » est
« la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable
et (...) la plus personnelle de toutes les
propriétés76 ». V. Hugo, quant à lui,
déclarait qu'il existe une propriété de l'auteur sur
l'oeuvre littéraire.
Quant aux instances européennes, elles affirment
expressément que « la propriété intellectuelle a
été reconnue comme faisant partie intégrante de la
propriété » (V. la directive du 22 mai 2001 « sur
l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins
dans la société de l'information »).
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