Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal( Télécharger le fichier original )par Moussa MBOW Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004 |
II La presse dite indépendanteCette presse connaît actuellement un développement sans précédent. Nous en avons choisi quatre quotidiens et un hebdomadaire que nous allons traiter de manière un peu plus développée. Il s'agit de Walfadjri, Sud Quotidien, Info 7, Le Matin qui sont les quotidiens les plus lus et Le Témoin qui aborde les sujets de société avec une certaine désinvolture de sorte qu'il est considéré comme « l'ancêtre » des journaux populaires. Cet hebdomadaire est en quelque sorte le précurseur de cette nouvelle presse qui, elle aussi est en évolution comme nous le verrons plus tard. Avant d'aborder les organes de presse, il convient d'abord d'expliquer cette notion de presse indépendante devenue, à notre avis très galvaudée. Le Sénégal est certes un pays où l'on a connu une multitude d'organes de presse aussi bien dans la période coloniale qu'après les indépendances, mais ces journaux étaient plus des organes de propagande idéologique qu'autre chose. C'étaient des journaux privés, certes indépendants du pouvoir étatique mais profondément partisans puisqu'ils défendaient les couleurs des partis politiques. De nos jours, comme nous l'avons rappelé plus haut, s'ils ne sont pas limités à la sphère du parti, ce genre de journaux a disparu. Ceux d'aujourd'hui se parent presque tous du « label indépendant » pour trouver du succès au niveau du public. Pourtant, à en croire Henri PIGEAT : « d'une manière générale, un média se situe toujours dans une certaine sensibilité politique ou idéologique »44(*). Cet auteur pense que les citoyens ont très légitimement le droit de rechercher des médias où ils reconnaîtront leurs aspirations idéologiques et les réponses aux sujets de leur préoccupation. Mais étant une entreprise économique, un journal qui veut faire du profit doit prendre en compte diverses sensibilités afin d'intégrer des publics plus vastes. L'épithète « indépendant » ne serait donc, pour certains journaux, ni plus ni moins qu'un argument de vente, un élément de marketing. Mais voyons ce qu'en pense le professeur TUDESQ45(*). Selon ce spécialiste des médias africains, il y a quatre types d'organisations médiatiques : - la presse d'Etat : il n'y a aucune ambiguïté pour ce genre de journal puisqu'il est financé par le ministère de l'information donc forcément partisane comme nous venons de le voir plus loin avec Le Soleil ; - la presse du parti au pouvoir : elle est différente juridiquement de la première mais ont une gestion et une finalité semblables puisqu'elles travaillent pour la réélection des concernés. On peut donner l'exemple de L'Unité Africaine ancien organe de l'Union des progressistes sénégalais (UPS). - la presse de partis politiques ou de mouvement d'opposition : elle a connu son heure de gloire dans la période coloniale et quelques années après les indépendances, c'est le Démocrate pour le PDS, Momsarew (indépendance) pour le PAI... - la presse indépendante : « avec toute l'ambiguïté de cet adjectif », note bien le professeur TUDESQ. On peut regrouper dans ce type de presse tous les journaux d'informations générales ou encore les journaux spécialisés d'obédience commerciale ou religieuse. Des journaux dont le but premier doit être d'informer « de manière honnête et équilibrée ». Les journaux que nous avons choisis semblent remplir ces critères. Sans tarder, nous allons les découvrir.
Tableau des cinq journaux privés d'informations générales
Sud Quotidien : c'est le premier quotidien d'informations générales indépendant, il est le résultat d'un processus qui a commencé en 1986. A l'époque, il s'appelait Sud Magazine qui donna naissance à Sud Hebdo en 1987, hebdomadaire qui se transforma en quotidien en 1993. Ce qui frappe avec la création de ce journal, c'est l'absence d'ambiguïté concernant ses finances de départ et le fait que ses créateurs soient tous des journalistes investis dans le milieu depuis quelques années. Dans le numéro 1 de Sud Hebdo de mars 1986, Babacar TOURE, un des pionniers du journal raconte : « c'était un dimanche matin... l'air était à la fête et la fête dans l'air. Cinq complices...réunis dans un salon de banlieue se chamaillaient ferme... c'était comment faire le journalisme de nos rêves... ». La plupart d'entre eux étaient alors journalistes au Soleil. Ils décidèrent de se cotiser : « pendant six mois, les 100 000F CFA que chacun devra mettre pour démarrer le projet ». La sucess-story ne se limite pas à l'évolution qu'a connu ce journal, devenu le quotidien indépendant le plus lu, car aujourd'hui, les membres fondateurs sont à la tête du premier groupe multimédia sénégalais. Sud Communication, c'est aussi la première radio privée qui commença à émettre en 1994, une agence de distribution de presse (Marketing presse), une école de journalisme (ISSIC)... Le journal publie en moyenne douze pages avec les rubriques : Economie, Politique, Culture, Opinion, Sports, Collectivités, International. Des dossiers sont également publiés par le quotidien sous forme de périodiques. Walfadjri : les débuts de ce journal remontent de 1984. D'abord bimensuel, il devient hebdomadaire en 1987, puis paraît trois fois par semaine en 1993 avant de devenir quotidien en 1994. Il est important de souligner l'évolution éditoriale de ce journal. Islamiste au départ (d'où son nom arabe qui signifie l'aurore), Walfadjri changea progressivement de préoccupation avec l'arrivée de journalistes venus principalement du Soleil comme « Abdourahmane CAMARA qui assurait jusqu'ici une collaboration permanente extérieure avec Walfadjri et va désormais l'animer de manière permanente et étoffer sa rédaction dont le professionnalisme le hissera en première ligne au côté de Sud et du Cafard Libéré »46(*). Ce quotidien peut être considéré comme un journal indépendant en ce sens qu'il l'est par rapport au pouvoir en place. Cependant, des rumeurs voudraient que le financement de départ soit l'oeuvre de pays arabes du Golfe. Walfadjri est un journal d'informations générales publié en douze pages. Il comporte les rubriques Actualités, Société, Economie, Politique, Culture, Contributions, Sports et International. Suivant l'importance de l'actualité, des enquêtes peuvent être menées par les journalistes et publiées sur divers sujets. Walfadjri, c'est aussi une radio FM créée en 1997. Ce qui en fait le deuxième groupe multimédia, mais loin derrière le groupe Sud Communication. L'Info 7 : créé en 1999, ce journal est le résultat d'une collaboration entre trois hommes d'affaires qui n'ont, à priori aucun rapport avec les médias. L'un est musicien (Youssou NDOUR), les deux autres des industriels (Cheikh Talla DIOUM et Bara TALL). Voulant suivre les exemples de réussite que constituent les groupes Sud Communication et Walfadjri, ces actionnaires ont mis sur pied le groupe Com 7 et dans la même veine une radio (7 FM) fut créée. A la « Une » du journal, les rédacteurs de l'Info 7 parlent d'un traitement de l'information « dépassionné, objectif et mesuré ». Nous ne remettrons pas en cause cette confession de foi, toutefois, nous pouvons nous demander jusqu'où peut aller l'objectivité du journaliste quand, par exemple, il enquête sur un sujet ayant un rapport avec un des hommes d'affaires propriétaires de l'organe de presse. Toutefois, le journal est dirigé par des journalistes qui, eux aussi ont eu à pratiquer le métier dans d'autres journaux. Pape Samba KANE son responsable est un ancien du Soleil et du Matin. Les rubriques du journal sont à peu près semblables à celles des autres journaux d'informations générales. Le Matin : ce journal est créé en 1997 par un homme d'affaires ancien basketteur sénégalais du nom de Baba TANDIAN. Outre le journal, il est également l'heureux propriétaire d'une imprimerie du même nom (TANDIAN). Celle-ci est l'une des plus performantes en Afrique occidentale. D'ailleurs, elle est l'éditrice de la majeure partie des journaux sénégalais. Les objections faites à l'égard du journal mentionné sus-dessus peuvent être valables pour Le Matin mais à des proportions beaucoup plus réduites. D'autant que ce journal fut tour à tour dirigé par Pape Samba KANE, l'actuel dirigent de l'Info 7, Mame Less CAMARA, un ancien de la RTS et de Walfadjri, et actuellement par Boubacar Boris DIOP, un écrivain confirmé. Pour les rubriques de ce journal, même chose que pour les journaux précédemment cités, il traite de l'actualité politique, sociale, culturelle, sportive... Le Témoin : ce journal est un hebdomadaire créé en 1990 paraissant le mardi. Nous avons du mal à considérer cet organe de presse comme un journal réellement indépendant. Ces fondateurs sont issus du Sopi (changement) qui était l'organe du PDS (Parti démocratique sénégalais) alors dans l'opposition. Des rumeurs font état de son financement par l'ancien parti au pouvoir (Ps) qu'il défendait d'ailleurs dès sa création avant de s'en éloigner plus tard. Il semblerait que pour ce journal les alliances avec les partis politiques se fassent au gré des plus offrants que les journalistes défendent tout en cherchant « la petite bête » dans les rangs de l'adversaire. Nous ne pouvons cautionner ces allégations mais nous les notons pour montrer notre réserve par rapport à l'indépendance de cet hebdomadaire. Toutefois, ce pourquoi ce journal nous paraît important pour notre étude, c'est qu'il a été le premier à aborder des sujets jugés tabous. Par son audace et son anti-conformisme, Le Témoin a levé le voile de décence qui cachait pudiquement toutes ces « insanités » que les Sénégalais cachaient honteusement. De même ce journal a été le premier à s'attaquer aux dérives du pouvoir maraboutique. Mamadou Oumar NDIAYE, son directeur de publication compare volontiers sa gazette aux grands tabloïds londoniens à l'image du SUN. Comme dans ce genre de journaux, les articles sur les faits divers, les potins et autres histoires de sexe touchant les célébrités constituent l'essentiel du fond de commerce. Quand on l'interroge sur le caractère très sensationnel de son journal qui aborde avec liberté « les frasques sexuelles des dignitaires », M.O.N47(*) répond « vouloir participer à la moralisation des moeurs pour maintenir intact les fondements de la République »48(*). Les rubriques de ce journal sont : Tendances, Actuel, Dossier, Economie, Culture, Féminin. Avec le quotidien gouvernemental Le Soleil, les quatre quotidiens que nous venons d'aborder brièvement sont de par leur régularité de parution et de par l'importance de leur lectorat les principaux journaux. Il y en a d'autres, qu'ils soient des quotidiens, des hebdomadaires, des mensuels... ils ont tous pour ambition de traiter les informations générales avec plus ou moins d'indépendance. Le Témoin est le seul l'hebdomadaire choisi, nous aurions pu faire pareil avec Le Cafard Libéré qui lui aussi a bousculé le classicisme des journaux dits sérieux grâce à la dérision et l'impertinence de ses journalistes (qui réclament une certaine parenté avec Le Canard Enchaîné où ils ont d 'ailleurs effectué un stage avant de commencer dans le métier). Mais, c'est incontestablement Le Témoin qui est considéré comme « l'ascendant légitime » de ces journaux dits people que nous allons aborder dans la troisième partie de ce chapitre. * 44 Henri PIGEAT, Médias et déontologie : règles du jeu ou jeu sans règles, Paris, PUF, Vendôme 1997, p. 54 * 45 Cf. André-Jean TUDESQ, « L'espoir et l'illusion : actions positives et effets pervers des médias en Afrique subsaharienne », MSHA, Bordeaux, 1998 * Ces chiffres sont approximatifs, les patrons de presse ont tendance à les gonfler pour attirer les annonceurs si bien qu'ils varient d'un sondage à un autre en fonction du journal qui l'a commandité. * 46 Momar Coumba DIOP, cité par ND. LOUM, (Bordeaux, 1997), p. 370 * 47 C'est ainsi que l'appellent ces collègues journalistes * 48 Cité par ND. LOUM, Thèse doctorat, Bordeaux 2001, p.147 |
|