Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal( Télécharger le fichier original )par Moussa MBOW Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004 |
Les journaux de la nouvelle générationQu'ils soient des quotidiens, des bi-hebdomadaires, des hebdomadaires, des mensuels... ils se sont proliférés depuis la fin des années 1980. On n'en dénombre actuellement plus d'une trentaine. Ces journaux, sont pour la plupart secoués par des crises économiques qui leur sont parfois fatales. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui nous a amené à effectuer un choix dans le cadre de cette étude. Ne sont retenus ici que les journaux qui présentent une certaine régularité dans la parution et une certaine importance pour le tirage. Le contenu des journaux aussi nous a paru important, il sera question ici des journaux d'informations générales. Les organes de partis qui existent toujours ainsi que les journaux spécialisés (magazines, revues...) ont donc été écartés d'office. Comme il nous paraît incongru de faire une étude sur la presse sénégalaise sans parler du premier quotidien d'informations générales nous commencerons d'abord par Le Soleil qui est toujours resté un média d'Etat. Ensuite, nous aborderons la presse privée dite indépendante avant de faire connaissance avec la presse dite populaire dont l'existence est très récente. I Le quotidien gouvernementalComme dans la plupart des pays africains, au Sénégal il existe toujours un quotidien gouvernemental. Encore appelé média-d'Etat, ce journal doit oeuvrer pour ce qui fut appeler jadis « l'unité nationale » ou encore « intégration nationale». L'organe devant relater les actions du gouvernement doit être constructif, se garder d'aborder des sujets qui fâchent et surtout ne pas critiquer l'action du Président de la République et des membres de son gouvernement. Au Sénégal, c'est au Soleil qu'il revient d'assumer cette fonction. Né du défunt Dakar Matin qui avait succédé au Paris Dakar, ce journal fut porté sur les fonds baptismaux le 20 mai 1970. D'emblée, les autorités ont senti le rôle stratégique que le seul quotidien, le plus lu, pouvait jouer par rapport aux ambitions de développement fixées. Ainsi, sous le couvert de vocables comme « intégration nationale », « unité nationale »... les nouveaux dirigeants ont voulu appliquer une mainmise sur le secteur de l'information. Ceci s'expliquait par l'urgence pour un pays nouvellement indépendant de mobiliser toutes les forces vives de la nation pour la construction nationale. Selon le tiers-mondiste John CENT: « durant cette période initiale de construction étatique, la stabilité et l'unité sont indispensables : la critique doit être minimisée et la foi dans les institutions et les règlements instaurés par le gouvernement doit être encouragée » 36(*) . On a bien compris, les médias doivent coopérer, soutenir les actions des gouvernants au lieu de les critiquer car « les fonctions éducative et sociale semblaient légitimer une fonction politique qui s'identifiait avec la voix du gouvernement »37(*). L'affirmation de SENGHOR38(*) sur l'absence de quatrième pouvoir médiatique de 1974 prend dès lors toute sa signification. L'ennui, c'est le glissement qui s'est opéré, car il y a eu une confusion entre le devoir d'intéresser les citoyens aux affaires de la Nation et cette dérive qui a consisté à faire du Soleil un organe idéologique au service du parti au pouvoir. Lors du septième congrès de l'Union des progressistes Sénégalais (UPS), le rapporteur de la commission presse n'hésite pas à affirmer que le journal devait se rattacher au parti disant que « la liaison avec le parti sera permanente, de manière à coordonner l'action d'éducation et d'animation, le rédacteur en chef sera d'ailleurs... automatiquement membre du bureau politique »39(*).C'est donc en toute légitimité qu'on parlera de ce quotidien comme un journal du parti-Etat en se sens que les journalistes ne sont pas uniquement au service de l'Etat, mais également à celui de ceux qui décident de sa politique, c'est-à-dire les hommes du parti au pouvoir. Le Soleil n'est ni plus ni moins qu'une sorte de journal interne à l'échelle nationale, un relais entre gouvernants et gouvernés.
Concernant le financement de ce quotidien, il faut noter que le capital étranger fut interdit avec la loi du 11 avril 1979. De ce fait, le journal gouvernemental qui était une création du groupe français de Breteuil a vu la totalité du capital passer à l'Etat sénégalais et aux organismes publics. Ainsi, 54,6% des actions sont confiées à l'Etat tandis que la Loterie nationale, la Commune de Dakar, la Société Nationale de Eaux, la Chambre de Commerce se partageaient le reste. En 1985, sur proposition du corps de contrôle de l'Etat, Le Soleil devient une société anonyme. Mais selon Mamadou KOUME, enseignant au CESTI : «Le Soleil présente une remarquable ambiguïté juridique, car bien qu'étant passé du statut de Société à responsabilité limitée (SARL) à celui de société anonyme (SA), ce quotidien reste un média où l'Etat détient la majorité du capital, nomme son dirigeant et influe sur la politique éditoriale »40(*). La nationalisation de cet organe de presse fait des journalistes du Soleil des fonctionnaires au même titre que toute autre travailleur de la fonction publique. Un statut rêvé par pas mal de journalistes évoluant dans le privé parce qu'il offre une certaine garantie salariale qui n'est pas toujours assurée ailleurs. L'effet pervers, c'est qu'il aliène forcément la liberté du journaliste. En effet, le principe affirmé de la liberté d'expression est forcément atténué quant celui sur lequel il est sensé s'appliquer se trouve être votre employeur c'est-à-dire l'Etat. A ce propos, Moussa PAYE pense qu' « il est tellement plus accommodant pour les tenants du pouvoir de dire sur eux des gentillesses qu'ils vous suggèrent eux-mêmes, sous forme de communiqués officiels. Une question en soi peut à elle seule attirer la foudre sur la tête du journaliste. Aussi, la font-il la plus banale, la plus anodine possible »41(*) . Lors de l'élection présidentielle de 2000, le journal se manifesta par une prise de position très remarquée en faveur du président sortant DIOUF. « Le marketing politique était bien en phase avec la ligne éditoriale du Soleil », affirme Elhadj Bachir SOW42(*), le rédacteur en chef du journal. Le journaliste avoue par ailleurs la partialité du journal gouvernemental car le traitement de l'information n'était pas équitable pour tous les candidats, DIOUF ayant « bénéficié d'un traitement de faveur ». Le fait le plus marquant qui montre à quel point les journalistes du Soleil sont à la solde du pouvoir est sans doute la démission de son directeur de publication après la défaite de DIOUF. Après de bons et loyaux services aux côtés de « l'homme pour lequel il avait tant d'admiration », il tourne la page en signant son « dernier éditorial » qui allait consacrer son départ. « C'était un certain journalisme de soutien, de militantisme et d'adhésion qui était arrivé à sa fin » 43(*) en conclut Ndiaga SAMB. Avec l'arrivée d'un nouveau pouvoir des suites de l'alternance de mars 2000, le statut du Soleil n'a guère évolué. Nous verrons un peu plus tard que le changement de régime n'a pas encore affecté le statut du quotidien gouvernemental. Le Soleil publie environ 16 à 20 pages. Les rubriques abordées sont Nation, Politique, Economie, Société et Culture, Sports, International. Des dossiers d'enquête sont aussi occasionnellement publiés par le journal. Quotidien gouvernemental, journal du parti-Etat, journal interne : relais entre gouvernants et gouvernés ; les qualificatifs ne manquent pour désigner Le Soleil. Le contrôle de ce média par l'Etat est toujours effectif cependant des journaux privés plus indépendants se sont développés ces dernières années. * 36 Cité par M. S. FRERE(2000), op. cit. p.28 * 37 A.-J. TUDESQ (1998), p. 81 * 38 A l'occasion de la rentrée des cours et tribunaux, il disait en 1974 : « il n'existe pas, dans notre vie politique de quatrième pouvoir », TUDESQ (1995), p. 62 * 39 Cf. ND. LOUM, la presse indépendante au Sénégal : le culte de la différence, mémoire DEA, Bordeaux 3, 1997, p. 47 * 40 Cité par ND. LOUM, Idem, p. 51 * 41 ND. SAMB, op.cit. p. 52 * 42 Cf. Institut Panos, Médias et élections au Sénégal, NEAS, Dakar 2002, p. 47 * 43 Idem, p. 48 |
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