Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal( Télécharger le fichier original )par Moussa MBOW Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004 |
II Des indépendances à la libéralisationCette période fut marquée par une « sénégalisation » du contenu de Dakar Matin, ex Paris Dakar. Rebaptisé Le Soleil en 1970, ce journal fut proclamé, en même temps, quotidien gouvernemental. La seule presse indépendante qui subsiste à cette époque est l'oeuvre de responsables de partis d'opposition jusqu'à la création du Politicien, premier journal vierge de toute appartenance politique qui va instaurer un débat plus démocratique. La libéralisation de la presse coïncide avec l'arrivée de DIOUF qui va proclamer « le respect de toutes les libertés » y compris celle de créer un organe de presse en 1982. Pour mieux saisir le climat qui régnait au sein du paysage médiatique durant cette époque, il nous a paru nécessaire de faire une corrélation avec l'histoire politique du Sénégal indépendant. Celle-ci est marquée par quatre périodes pendant lesquelles les décisions politiques ont eu des incidences sur la vie médiatique. Première période : après avoir négocié une indépendance pacifique avec l'ancien colonisateur, SENGHOR instaure le « régime du multipartisme intégral » (1960-1962). Inspiré du modèle français sous la quatrième République, ce régime est un régime parlementaire bicéphale : SENGHOR exerce les fonctions de Président de la République tandis que celles de Président du Conseil (chef du gouvernement) sont dévolues à Mamadou DIA. En 1962, il y eut une crise entre les deux hommes suite à des divergences nées de l'orientation idéologique du régime et aux nouvelles options économiques que le Président voulait faire sans le consentement de son chef de gouvernement. SENGHOR fut appel à l'Armée pour se débarrasser de DIA qui était devenu gênant. Ce dernier fut officiellement condamné à vie, mais gracié en 1974. Les rapports entre le Président et la presse qui était à cette époque encore profondément idéologique, n'étaient pas des plus sympathiques. Il faut dire que le refus de contradiction qui caractérisait SENGHOR et dont l'épisode avec DIA en est l'illustration ne prédisposait pas à un épanouissement de la presse. Dans les ordonnances du 31 octobre 1960 qui furent l'un des premiers textes sur la presse après la loi de 1881, il est dit que le journaliste est « avant tout un patriote au service de l'idéal et des objectifs définis par la constitution »29(*). Ce statut des journalistes fut l'une des restrictions apportées au principe de la liberté de presse affirmée par la loi du 29 juillet 1881. La deuxième période est celle du régime du parti unique, elle s'étale sur douze ans (1962-1974). Après la capture et l'emprisonnement de DIA, SENGHOR propose par référendum une nouvelle constitution. Elle fut ratifiée le 7 mars 1963 par 99,4% des votants. Cette constitution proclame l'interdiction formelle de partis d'opposition comme le Bloc Démocratique sénégalais (BDS) du Professeur Cheikh Anta DIOP. Un seul parti fut autorisé, il s'agit du Parti pour le Rassemblement Africain proche du parti au pouvoir (Union des Progressistes Sénégalais) auquel il se rallia d'ailleurs en 1966. C'était le règne de ce que l'académicien SENGHOR appelait euphémiquement « parti unifié ». Toutefois, des partis d'opposition « illégaux » se maintiennent dans la clandestinité. Les organes de presse sont également affectés par ce régime, les publications se faisaient par intermittence, dans la clandestinité. Paris Dakar devint Le Soleil en 1970 et fut dorénavant considéré comme le journal gouvernemental au service du parti-Etat. En 1972, un journal satirique, Lettre Fermée fut créé par Abdou-Rahmane CISSE. Le journal fut interdit de parution par arrêté conjoint des ministres de l'Intérieur et de l'Information daté du 23 octobre 1972. Moussa PAYE commente cette mesure en ces termes : « le contrôle quasi total des médiats par le gouvernement sénégalais aurait pu lui faire juger cette mesure inutile tant pouvait être dérisoire la concurrence même pugnace d'un bimensuel au tirage modeste, de surcroît étouffé par un complot du silence qui le privait de publicité à la radio et au quotidien national. Il faut convenir qu'entre le journal indépendant et la presse officielle, c'est plutôt le poids de la crédibilité de l'un qui desservait l'autre »30(*). Cet arrêté d'interdiction de parution et de publication fut annulé en février 1974 par la Cour suprême, mais les seize mois de suspension ont été fatals à Lettre Fermée qui ne put jamais renaître de ses cendres. En 1974, on assiste au retour du multipartisme (jusqu'en 1982) mais limité d'abord à trois partis puis à quatre en 1978. Malgré des réélections successives (1963, 1968, 1973) avec des scores vertigineux, la contestation du pouvoir de SENGHOR grandit au sein de la population. Selon Ndiaga SAMB, le choix du changement était inéluctable, il pense que: « conscient que la restriction des activités politiques ne pouvait pas durer éternellement au risque de provoquer de graves tensions, le régime procéda en 1974 à une timide ouverture démocratique dans le cadre de laquelle, il fut voter une loi dite des courants »31(*). La nouvelle loi autorise trois partis en dehors de l'UPS (au pouvoir) ; il s'agit du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) d'Abdoulaye WADE, du Parti Africain pour l'Indépendance (PAI) de Majemouth DIOP et du MRS. Durant cette époque, presque tous les partis disposaient d'un organe de presse : L'Unité Africaine pour les socialistes (au pouvoir), Le Démocrate pour le PDS, Momsarew (indépendance) pour le PAI. D'autres journaux paraissaient dans la clandestinité. On peut citer Taxaaw (Debout) pour le Rassemblement National Démocratique (RND) du professeur Cheikh A. DIOP, And Sopi (s'unir pour le changement) pour Mamadou DIA, Dan Dolebi (le prolétaire) pour le Parti Indépendance et du Travail (PIT)... Ces journaux d'opinion vont cohabiter avec d'autres publications comme Afrique Nouvelle32(*), Africa créés par des Français. Ce furent les rares journaux indépendants quoiqu' « abordant la politique de façon neutre, mais prudente »33(*). Concernant l'hebdomadaire Afrique Nouvelle, Mme LENOBLE-BART note le manque de complaisance du journal confessionnel à l'égard du président SENGHOR. Elle rapporte que : « certes ses talents ne sont pas passés sous silence...Mais, à l'occasion, on se fait l'écho de reproche... »34(*). Un journal créé en 1977 appelé Le Politicien, va instaurer un débat politique beaucoup plus démocratique. Ce bimensuel satirique n'a certes pas fait une révolution sur les sujets abordés (principalement politiques), mais il aura joué un rôle d'arbitre grâce à sa neutralité. Le 31 décembre 1980, le Président SENGHOR se retira de la scène politique sénégalaise. Conformément à l'article 35 de la Constitution qui faisait de Abdou DIOUF (alors premier ministre) son remplaçant légitime en cas de démission ou de décès, il lui céda le pouvoir. Installé dans ses fonctions, le Président DIOUF s'engagea à « garantir le pluralisme et le respect de toutes les libertés ». Ce qui se traduisit par la restauration du multipartisme intégral, mais aussi par une libéralisation totale du secteur de l'information. Faut-il pour autant attribuer à Abdou DIOUF l'honneur de cette avancée démocratique considérable ? Selon A.-J. TUDESQ, « cette période coïncidait pour le Sénégal avec une plus forte expression des aspirations démocratiques, présentes plus tard dans la plupart des Etats africains ». Il ajoute que : « peut être le changement très pacifique et exemplaire de dirigeant avait mis à la tête de l'Etat un Présidant moins charismatique que SENGHOR, comprenant qu'une évolution démocratique était nécessaire »35(*). Toujours est-il que la porte ouverte par Le Politicien en 1977 fut empruntée par d'autres journaux. Ce fut d'abord Walfadjri (1983), Sud Hebdo (1986), Le Cafard Libéré(1988)... La particularité des nouveaux venus, c'est d'être dirigés par des hommes plus ou moins neutres politiquement. Il faut noter également que contrairement à la plupart des anciens responsables de journaux, eux ont suivi une formation et tirent principalement leurs ressources de leur profession. Leur mérite aura était d'avoir diversifié les contenus des journaux jusque là cantonnaient à des informations politiques. Dans les années 1990, la libéralisation déjà enclenchée se confirme progressivement si bien qu'aujourd'hui le pluralisme est devenu une réalité. De l'époque coloniale à nos jours, le Sénégal a vu naître, disparaître et renaître de leurs cendres pas mal de journaux. Une telle situation est due à un contexte politique bouillant et à une législation restrictive malgré l'application de la loi de 1881. Durant la période coloniale, ces limitations se justifiaient par une crainte de soulèvement populaire remettant en cause l'autorité coloniale. Après les indépendances, elles trouvèrent un prétexte sous couvert d'une reconstruction post-coloniale, soi-disant incompatible avec la contradiction. Avec la venue de DIOUF en 1981, apparemment plus souple que son prédécesseur, le respect des libertés déjà garanti par la Constitution de 1963 trouva un serviteur et la libéralisation devint une réalité. Aujourd'hui, les journaux organes de partis politiques ont pratiquement disparu de la scène médiatique. Les quelques rares rescapés bénéficient d'un lectorat très limité, presqu'insignifiant. Ils ont cédé la place à des journaux dits d'informations générales que nous tenterons de connaître dans le chapitre suivant. * 29 Cf. A.-J. TUDESQ, Les médias en Afrique, Ellipses, Paris, 1999, p. 105 * 30 M. PAYE ( 1992), p. 347 * 31 Médias et élections au Sénégal, Institut Panos, NEAS, Dakar, 2002, p.47 * 32 Cf. Annie LENOBLE-BART, Afrique Nouvelle : un hebdomadaire catholique dans l'histoire (1947-1987), MSHA, Bordeaux, 1996 * 33 TUDESQ (1995), p. 62 * 34 Idem, pp.236-237 * 35 A.J. TUDESQ (1995), p. 63 |
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