Ethique déontologie et régulation de la presse écrite au Sénégal( Télécharger le fichier original )par Moussa MBOW Université Bordeaux 3 - Sciences de l'Information et de la Communication 2004 |
LA DIVERSITE : UNE VIEILLE TRADITION DE LA PRESSE SENEGALAISE« Il n'est pas de plus sûr critère pour évaluer la vigueur d'une démocratie que celui de la presse et de son pluralisme » E. KANT, Qu'est ce que les lumières ? Pour saisir le contexte actuel de la presse au Sénégal, il nous a paru nécessaire de faire un retour en arrière. Nous ne remonterons pas bien loin dans le temps car ses débuts datent de l'époque coloniale, donc du 19e siècle. Bien entendu avant cette époque, une communication non médiatisée existait déjà, mais c'est avec la colonisation que la presse comme mass-média telle que nous la connaissons actuellement fit son entrée au Sénégal. Ce pays est néanmoins considéré comme un privilégié. En effet, avec Dakar comme capitale de l'Afrique occidentale française (AOF), le Sénégal était l'un des pays les mieux indiqués comme lieu de naissance de la presse africaine d'expression française18(*). De ce fait, c'est l'un des premiers pays africains à avoir connu la diversité dans ce domaine. Mais durant cette période, la préoccupation des journaux fut essentiellement politique. C'est seulement à la fin des années 1980 qu'on assiste à la libéralisation avec l'avènement de journaux privés d'informations générales. Dans cette partie, nous allons voir la contexture de la presse sénégalaise de l'époque coloniale aux années 1980 avant de nous intéresser ensuite à son panorama actuel. Nous terminerons par montrer la nécessité du pluralisme en démocratie. De l'époque coloniale à « l'ouverture démocratique »L'introduction de la presse écrite dans tous les Etats africains s'est faite par la colonisation. Dans les colonies françaises c'est au Sénégal qu'elle eut sa naissance avant de gagner les autres colonies. Ceci s'explique par le fait qu'outre l'importance du pays dans l'AOF (Afrique occidentale française) avec Dakar comme capitale, la citoyenneté française fut attribuée très tôt aux ressortissants de quatre de ses communes, à savoir Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar19(*). Encadrée dans un contexte plus ou moins favorable, cette presse, souvent idéologique continue son chemin jusqu'après les indépendances, avant « l'ouverture démocratique » se caractérisant par la libéralisation. Dans ce chapitre, nous allons d'abord faire connaissance avec les premiers journaux sénégalais avant de voir ceux d'après-les-indépendances jusqu'à « l'ouverture démocratique ». I De la colonisation aux indépendancesCe qui est frappant pour les journaux nés pendant cette période, c'est leur durée de vie très éphémère. Un tel constat peut s'expliquer par le fait qu'ils soient le plus souvent des organes de partis politiques dont la nécessité ne se fait sentir qu'à l'approche des élections. En outre, dans un contexte de libéralisation très limitée, les téméraires qui osaient passer outre s'exposaient aux foudres de la censure. Le premier journal né au Sénégal fut l'oeuvre d'un Français du nom de CRESPIN. C'était un hebdomadaire appelé Le Réveil du Sénégal, il fut créé en 1885. Un an plus tard Le Petit Sénégalais faisait son apparition. Présenté comme « un journal polémique et anticlérical » selon A.-J. TUDESQ, il disparut au bout d'un an après un procès en diffamation. En dix ans (1886- 1896), une dizaine de journaux vont voir le jour, mais ils disparaissent presque tous après quelques mois de parution. L'Afrique Occidental fut un des rares journaux à durer très longtemps (juillet 1896 /mai 1898). Ce bimensuel dirigé par des Français, des métis et des Africains était imprimé en France et publié à Dakar ainsi que dans les autres capitales de l'Afrique occidentale française (AOF). Un autre journal qui a les mêmes ambitions fut créé à la même époque par un Français, Raymond Auriol. Il s'adressait exclusivement aux Français des colonies ainsi qu'à ceux, qui, de l'Hexagone commerçaient avec l'AOF. Avec les élections législatives de 1910 et 1914, on assiste à une croissance grandissante de journaux. La SFIO ( Section française de l'internationale ouvrière) avait comme organe L'AOF créé en 1907 à Conakry, mais publié seulement en 1913 à Dakar. Ce journal va faire campagne contre Blaise DIAGNE qui fut quand même élu en 1914 avec l'appui de La Démocratie du Sénégal (créé en 1913). D'autres journaux de la même mouvance vont être créés à la même période : il s'agit de l'Avenir du Sénégal, du Radical Sénégalais... Dans les années suivantes d'autres journaux vont alimenter le débat politique. On peut en citer quelques-uns : La Démocratie Sénégalaise (1926), La France Coloniale (1927), Le Périscope Africain (1929)... A la même époque les colons disposaient du Paris-Dakar comme principal organe de presse. Créé en 1933, ce journal fut, à ses débuts un hebdomadaire servant de lien entre la Métropole et la colonie. Il devint bi-hebdomadaire en 1935 et quotidien en 1937. Bref, au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Sénégal a connu dix sept périodiques officiels, cinquante deux journaux politiques ou d'information et treize publications diverses dont la durée fut très variable20(*). Après la Seconde Guerre mondiale, la presse sénégalaise a continué son ascension fulgurante atteignant ainsi le nombre de 170 journaux et périodiques entre 1945 et 196021(*).
On constate que la presse qui s'est développée entre 1885 et 1960 est d'abord l'oeuvre de colons blancs qui la mettaient à contribution afin de gérer les affaires des colonies tout en gardant le contact avec la Métropole. Progressivement, elle s'est « démocratisée » en gagnant les milieux populaires sous l'impulsion des métis. Toutefois, selon M-S. FRERE : « ces publications se réduisaient souvent à quelques feuillets imprimés artisanalement et faiblement diffusés, incomparables avec la presse plus luxueuse destinée aux colons »22(*). Les préoccupations des nouveaux gestionnaires sont principalement politiques et les journaux vont constituer de véritables alliés pour les différentes campagnes électorales. On note quelques rares publications ; religieuses avec l'Echo de Saint-Louis ; économiques avec Le Bulletin mensuel de la chambre de commerce de Saint-Louis (1885), puis Dakar (1910) et syndicales avec Le Bulletin mensuel de la Fédération des fonctionnaires en AOF et La Voix des travailleurs sénégalais créés tous deux en 1938. On remarque également le caractère élitiste de cette presse qui, au lieu d'être un mass-média peut être qualifiée de class-média. Outre les colons, les lecteurs de journaux étaient de rares privilégiés qui, parfois, ne connaissaient que quelques rudiments de la langue française. A ce propos, le gouverneur général Roume écrivait en 1924 : « considérons l'institution comme chose précieuse qu'on ne distribue qu'à bon escient et limitons en les bienfaits quantifiés, choisissons nos élèves tout d'abord parmi les fils de chefs et de notables »23(*). Une institution ciblée, voilà ce que préconisait l'idéologie coloniale, l'impact de l'information médiatique était donc destiné à une élite seule susceptible de la décoder. Concernant la législation, la presse sénégalaise bénéficiait d'une application partielle de la loi du 29 juillet 1881. Celle-ci, en son article 69 est applicable aux colonies. Mais en même temps « elle empêchait les autochtones, même `les plus évolués' de créer leurs propres journaux car elle stipulait que seules étaient autorisées les publications éditées par des `citoyens français respectables' »24(*). En plus, certains sujets susceptibles de provoquer un soulèvement ou une révolte contre l'autorité coloniale sont bannis. Dans un décret daté du 4 août 1921 concernant l'AOF, Albert SARRAUT (ministre) écrit que la publication par des Africains et des Français de nouvelles remettant en cause le système colonial ou encore « toute excitation des indigènes à la révolte contre l'autorité française »25(*) sont strictement interdites. Interdiction également « de publication de tout journal ou écrit, périodique rédigée en langue indigène étrangère sans autorisation préalable »26(*). C'est dire le paradoxe entre l'application de la législation de 1881 sur la liberté de la presse et toutes ces restrictions qui la vidaient de son sens. Sur ce point, l'Angleterre, en ayant favorisé, bien avant la France, la gestion de journaux par des autochtones semble plus libérale27(*). Néanmoins, ces limitations furent allégées grâce à un décret, relevant du ministère de l'Outre-Mer, daté du 27 septembre1946. Dorénavant, les journaux disposent d'une large marge de manoeuvre. Le débat au sein des journaux sénégalais va donc prendre de nouvelles proportions. A cette époque, il portait sur le colonialisme opposant autonomistes, indépendantistes et fédéralistes. Ces rivalités donnaient « un caractère polémique à une presse qui avait un faible tirage mais qui contribua à désigner des interlocuteurs africains aux dirigeants de la Métropole. »28(*) pense M. TUDESQ. Maintenant, voyons le visage que présentait la presse après le retrait de la France. * 18 Cf. A.-J. TUDESQ, Feuilles d'Afrique : étude la presse de l'Afrique Subsaharienne, Talence, MSHA, 1995 * 19 Cette reconnaissance était effective en 1880 pour les habitants de Saint-Louis, Gorée et Rufisque, en 1885 pour les Dakarois. * 20 A.-J. TUDESQ (1995), p. 36 * 21 Idem * 22 M. S. FRERE (2000), p. 27 * 23 Cité par A.-J. TUDESQ (1995), p. 35 * 24 M. S. FRERE(2000), p. 27 * 25 TUDESQ (1995), p. 35 * 26 Idem * 27 Selon le professeur TUDESQ, l'Angleterre a autorisé la publication et la gestion de journaux plus tôt que la France. Il rapporte qu'en 1826 un libérien créa un journal à Monrovia. Au Ghana avec un journal comme Accra Herald (1858), au Nigéria The Anglo African (1863). Selon lui des journaux en langue nationale furent également publiés dans ces colonies anglaises. Idem, p.p. 19. 20 * 28 TUDESQ, (1995), p. 51 |
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