DES MOYENS DE REGULATON A
REDEFINIR
« l'activité des médias repose sur le
principe de la liberté
d'expression qui ne se divise pas, s'encadre
difficilement et s'affaiblit vite devant des
limites trop rigoureuses ».
Henri PIGEAT, Médias et déontologie :
règles du jeu ou jeu sans règles, PUF, Paris,1997, p. 4
Les mécanismes de régulation de la profession de
journalisme s'inspirent des plus grands textes internationaux qui
régissent la profession. Dès son apparition au
Sénégal, la presse a plus ou moins bénéficié
de l'application de la loi française du 29 juillet 1881. Mais elle n'a
été réellement effective qu'en 1946201(*). En dehors de quelques
décrets et ordonnances portant sur le statut du journaliste, le statut
de la commission de presse et de la carte d'identité
professionnelle202(*),
elle fut la principale et unique loi à encadrer le métier jusque
dans les années 1970. La première loi votée par le
parlement sénégalais fut celle du 11 avril 1979. Encore
appelée code de la presse, cette loi renforça pendant des
années le contrôle des médias en neutralisant certains
acquis. Toutefois, elle connut quelques modifications en 1986 avant
d'être complètement remplacée par la loi du 22
février 1996 jugée plus appropriée à
l'évolution démocratique du Sénégal. A
côté de cette loi mise en place par l'Etat pour accompagner la
pratique du métier, les journalistes, par le biais d'un syndicat
(SYNPICS) qui regroupe aussi bien des salariés du public que du
privé ont mis en place une sorte de tribunal interne. Le CRED (Conseil
pour le respect de l'éthique et la déontologie) a pour but de
sanctionner ceux des confrères qui auraient failli à leur mission
d'informer juste et vrai. Cette partie sera pour nous l'occasion d'aborder les
lois mises en place par l'Etat pour un meilleur encadrement. Ensuite nous
montrerons que les professionnels aussi se sont souciés de leur
responsabilité en interne avec la mise sur pied de codes de
déontologie pour certains journaux et avec des organisations syndicales
nationales et internationales, En dernier lieu nous montrerons les limites de
ces mécanismes de régulation, qu'ils soient institutionnels ou
professionnels.
Les moyens de
régulation institutionnels
Nous entendons par moyens de régulation institutionnels
les dispositions relatives à la presse prises par l'Etat pour
réglementer la profession. Comme nous le rappelions tout à
l'heure, la première loi sur la presse fut celle du 11 avril 1979 qui a
été votée à l'assemblée nationale par les
parlementaires. Vu le contexte dans lequel elle a été
adoptée par l'Etat, elle ne pouvait être que restrictive203(*) parce que se souciant plus
de mettre de l'ordre au sein de la profession que de la liberté du
journaliste. Celle qui est actuellement en vigueur s'est davantage
intéressée aux droits du journaliste mais fixe aussi des devoirs
dont la déviance est parfois lourdement sanctionnée par la
justice. Le code pénal aussi relève et fixe des sanctions pour
les délits de presse commis par les journalistes. Outre ces
mécanismes juridiques, il y a également la commission qui
attribue la carte professionnelle et le haut conseil de l'audiovisuel (HCA) qui
est chargé de statuer sur les cas de dérapages des médias,
y compris les journaux de la presse écrite.
I Une loi favorable... s'il
n'y avait pas le code pénal
La pratique du métier de journaliste est
encadrée par une loi votée à l'assemblée nationale
par les députés en 1996 (voir annexe 1). Inspirée de la
loi française de 1881 et des plus grands textes internationaux comme la
déclaration de Munich de 1971, elle est en parfait accord avec le
régime libéral de responsabilité adopté par le
Sénégal.
La loi 96-04 du 22 février 1996 est composée de
trois titres. Le premier traite des organes de communication sociale en
général ainsi que des professionnels y travaillant. Le
deuxième parle des journalistes et des techniciens de la communication.
C'est ici qu'il est défini ce qu'il faut entendre par journaliste, c'est
également là qu'on lui accorde des droits tout en lui fixant des
devoirs qu'il ne faut pas franchir. Enfin, le troisième titre
relève les dispositions pénales prévues comme sanctions
aux manquements des règles établies dans les deux
précédents. Premier constat à la lecture de cette loi,
elle n'est pas restrictive. Elle est même très libérale et
permet une éclosion de la liberté du journaliste tout en lui
fixant des limites proportionnées à l'exercice d'un journalisme
de qualité. Nous avons tenté une comparaison entre les chapitres
1 et 2 du deuxième titre qui traitent des droits et devoirs des
journalistes et la déclaration de Munich204(*). Il faut signaler qu'ils
sont à quelques détails prêts identiques.
Concernant les droits du journaliste, la déclaration de
Munich en a relevé cinq, même son de cloche pour la loi
sénégalaise. L'article 26 de la loi de 1996 garantit la
liberté au journaliste de traiter n'importe quel sujet pouvant
intéresser l'opinion. C'est aussi le premier droit reconnu dans la
déclaration de Munich qui stipule que « les journalistes
revendiquent le libre accès à toutes les sources d'information et
le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionne la vie
publique... ». Autre ressemblance entre les deux textes, la fameuse
clause de conscience qui permet au journaliste de quitter un journal si la
ligne éditoriale de ce dernier n'épouse plus son idéal de
journalisme. C'est le deuxième droit garanti par le texte de
Munich : « le journaliste a le droit de refuser toute
subordination qui serait contraire à la ligne générale de
son entreprise, telle qu'elle est déterminée par écrit
dans son contrat d'engagement... ». La loi sénégalaise
donne le droit au journaliste d'invoquer sa clause de conscience comme motif de
son départ. « Dans ce cas, les règles applicables
à la rupture du contrat de travail sont celles qui s'appliqueraient si
la rupture était intervenue à l'initiative de l'employeur s'il
est établi que la clause est invoquée à bon
escient. »205(*) Pour éviter tout malentendu pouvant conduire
à ce que nous venons d'évoquer, les deux textes obligent aux
patrons de presse d'informer les journalistes de toute décision pouvant
affecter la vie de l'entreprise206(*). La différence entre les deux textes
concernant les droits se situe au niveau du dernier point. En effet, la
déclaration de Munich garantit au journaliste le droit « au
bénéfice des conventions collectives », une
rémunération financière suffisante pour assurer
« sa sécurité matérielle et morale ».
Dans la loi sénégalaise aucune allusion à ce sujet,
cependant il est à noter un élément non négligeable
que n'aborde pas le texte de Munich. Dans l'article 30 de la loi de 1996, il
est donné au journaliste le droit, sous sa responsabilité, de
faire appel à une personnalité extérieure capable de
s'exprimer avec des analyses ou des commentaires sur un sujet d'envergure
locale, nationale ou internationale. Toutefois cette personne ne jouit pas des
mêmes garanties que les journalistes et en cas de violation de la loi, il
répondra à titre personnel des accusations qui seront retenues
contre lui.
Les devoirs fixés par les deux textes sont
également à peu près les mêmes. Ils sont au nombre
de dix dans le texte de Munich, neuf pour ce qui concerne la loi
sénégalaise de 1996. Au rang des premières
recommandations, on trouve le respect de la vérité:
« quelqu'en puissent être les conséquences pour
lui-même, et ce, en raison du droit que le public à de
connaître » selon le texte de Munich. A cet effet la loi
sénégalaise oblige le journaliste de faire la différence
entre l'information du commentaire et de la critique. Obligation lui est aussi
faite de ne « publier que des informations vérifiées,
ou, au contraire, les accompagner des réserves qui
s'imposent. »207(*) Par ailleurs, il lui est recommandé de ne pas
pratiquer de rétention d'information, de ne pas dénaturer les
documents et textes qui présentent les faits encore moins d'user de
méthodes déloyales pour les obtenir. Si une information
publiée dans un journal se révèle fausse, le journaliste
est tenu de la rectifier et de s'excuser auprès des lecteurs. Le respect
de la vie privée du citoyen est également un principe que
défendent les deux textes. La loi sénégalaise est plus
précise à ce niveau, elle ajoute que le respect de la vie
privée des personnes doit être effective « dès
lors que celle-ci n'interfère pas avec les charges publiques dont les
dites personnes sont ou prétendent être
investies »208(*). Autre point de convergence entre les deux
textes ; la protection des sources. Contrairement à ce que beaucoup
de gens pensent, ce n'est pas un droit, mais un devoir imposé au
journaliste. Le journalisme n'est d'ailleurs pas le seul métier à
être astreint à ce genre de principe déontologique. On peut
notamment penser aux avocats et aux médecins qui ont aussi des
règles de ce genre pour moraliser leur profession. Le journaliste est
donc tenu à la réserve, dans certains cas, « il ne doit
pas divulguer les sources d'informations obtenues
confidentiellement » selon l'article 35 de la loi de 1996. Toutefois,
il peut révéler sa source à son supérieur
hiérarchique si ce dernier est comme lui, lié au secret
professionnel (par exemple, le directeur de publication). Une autre
interdiction cruciale est abordée par les deux textes. Il s'agit d'une
recommandation condamnant la calomnie, le plagiat, la diffamation, les
accusations sans fondement...Il est également rappelé au
journaliste de ne pas confondre son métier avec celui du publicitaire et
du propagandiste. Il doit donc avoir un regard impartial pour ne pas dire
objectif. Pour cela, il ne doit recevoir de consignes de qui que ce soit car,
il ne doit pas confondre son métier d'informateur avec celui de
communicateur. Il est donc exclu qu'il accepte des directives autres que celles
de ses responsables. Celles émanant des annonceurs sont
complètement à bannir, assène la loi
sénégalaise, conformément à la déclaration
de Munich. En conclusion, ce texte invite tous les journalistes à
observer les principes énoncés : « reconnaissant
le droit en vigueur dans chaque pays, le journaliste n'accepte en
matière d'honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs,
à l'exclusion de toute ingérence gouvernementale » (art
10). Cette recommandation ne figure pas dans le texte sénégalais
qui, en revanche, il faut le reconnaître, a ajouté un principe qui
nous paraît important de souligner. Il s'agit du principe de
« la non-discrimination en raison de la race, de l'ethnie, du sexe ou
de l'origine nationale »209(*). Le journaliste doit respecter les convictions
religieuses, politiques, idéologiques du public auquel il s'adresse.
Nous en parlions dans le premier chapitre, outre les
dispositions relatives à la presse, le code pénal et le code de
procédure pénal sénégalais relèvent et
fixent eux aussi les cas de délits de presse ainsi que les sanctions
prévues à cet effet. Ces dispositions pénales traitent
principalement de la diffamation, de l'injure et des propos ou textes pouvant
porter atteinte à la sûreté nationale et à l'ordre
public. Jugées d'un autre temps par les journalistes, elles constituent
le soubassement de la presque quasi-totalité des affaires de
délits de presse. L'article 80210(*) du code pénal fait partie de ce que les
journalistes appellent les « survivances des remparts contre la
liberté de presse ». Il traite des articles susceptibles de
porter atteinte à la sécurité publique et de provoquer des
troubles politiques qui est un délit toujours punissable d'une peine
pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement. La diffusion de
fausses nouvelles, de nouvelles qui encouragent à enfreindre la loi, ou
qui portent atteinte aux institutions publiques ou qui vont à l'encontre
des bonnes moeurs fait également l'objet de sanctions211(*). L'article 254 qui traite de
l'offense au Président de la République est punissable d'une
peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement. Selon le code
pénal, tout journaliste auteur d'article incitant à
démoraliser l'armée s'expose à une poursuite
judiciaire212(*).
Concernant les délits d'injures et de diffamation, il semble que les
personnalités publiques soient plus protégées que les
citoyens ordinaires. Les articles 259 et 260 prévoient des peines plus
lourdes que l'article 261 qui traite des violences commises à l'endroit
des particuliers. Ainsi, à l'instar de l'article 254 qui protège
le président, les articles cités donnent une protection
rapprochée aux membres du gouvernement, du parlement, du pouvoir
judiciaire, de l'armée...213(*)
Pour ce qui concerne le code de procédure pénal,
l'article 627 présume d'emblée la mauvaise foi du journaliste. Il
doit, dans l'intervalle d'une dizaine de jours apporter la preuve de ses
allégations sans quoi, il est condamné. Quant au diffamé,
il doit faire attention à ce qu'un vice de forme n'empêche
l'exploitation de l'affaire sur le fond par la justice. Ce qui n'est pas
toujours évident pour le citoyen lambda. C'est peut être pour
cette raison que la plupart des affaires de délits de presse concernent
les hommes publics, plus aguerris et plus aptes à affronter cet arsenal
juridique. D'où la remarque pertinente de G. HESSELING qui pense
que : « le législateur sénégalais ne
souscrit donc pas à la théorie selon laquelle les personnages
« publics » doivent pouvoir supporter une attaque plus
facilement que les particuliers et que ces derniers ont besoin d'une meilleure
protection parce qu'il leur est difficile d'accéder aux médias
pour se défendre »214(*)
Que retenir de cette partie, sinon que la loi actuellement en
vigueur est l'une des meilleures que l'on puisse avoir dans une
démocratie. Quelques réserves que nous aborderons dans la
troisième partie s'imposent toutefois concernant le code pénal et
le code de procédurale pénale. Intéressons-nous maintenant
aux autres mécanismes de régulation institutionnels. Il s'agit de
la commission chargée d'établir les cartes nationales de presse
et du Haut conseil de l'audiovisuel (HCA).
* 201 Selon A.-J. TUDESQ
l'application de la loi rencontrait quelques limitations dans les colonies,
celles-ci ont été levées grâce à un
décret daté du 27 septembre 1946. Feuilles d'Afrique,
MSHA 1995, p. 50
* 202 Outre la loi du 29
juillet, G. HESSELING note qu'il y avait ; les ordonnances du 31 octobre
1960 portant création et statut de la commission de presse, du statut du
journaliste professionnel ; le décret du 13 avril 1961 portant
délégation de pouvoir au ministère de l'information...en
matière de contrôle de la presse étrangère ;
enfin la loi du 25 avril1969 relative au contrôle des matériels de
propagande politique d'origine étrangère.
* 203 A l'issue d'un rapport
commandité par le ministre de l'information de l'époque (1976),
il fut noté une « croissance sauvage de la presse »
d'où la mise sur pied d'une loi « pour la
contrôler ». Celle-ci fut votée par 44
députés contre 4 à l'issue d'un débat houleux de 10
heures qui a opposé parlementaires de l'opposition (PDS) à ceux
plus nombreux du parti au pouvoir (PS) qui étaient favorables. G.
HESSELING (1985), pp. 308-309
* 204 Cette charte qui date de
1971 est un des textes internationaux sur les devoirs et les droits des
journalistes auxquels se réfèrent plusieurs journaux de pays dits
démocratiques pour élaborer un code de déontologie (voir
annexe 2 ).
* 205 Loi 96-04 du 2
février 1996, titre II, chapitre I, article 28
* 206
« L'équipe rédactionnelle doit être
obligatoirement informée de toute décision importante de nature
à affecter la vie politique de l'entreprise », 4e
droit (déclaration des devoirs et droits des journalistes), art 29 (loi
de février 1996)
* 207 Titre II, chapitre II,
art 32
* 208 Titre II, chapitre II,
art 34
* 209 Titre II, chapitre II,
art. 33
* 210Selon cet art. «les
manoeuvres et actes de nature à compromettre la sécurité
publique ou à occasionner des troubles politiques graves, à
enfreindre les lois du pays, seront punis d'un emprisonnement de trois ans au
moins et de cinq ans au plus et d'une amende de 100.000 a
1.500.000 FCFA», Code pénal du Sénégal
annoté, EDJA, Dakar 2000, p. 42
* 211Un à trois ans
d'emprisonnement sont prévus, code pénal, art 255-257, Selon G.
HESSELING (1985), p. 312, un alinéa prévoyant que même une
tentative est considérée comme un délit fut ajouté
à l'article 255, en 1979.
* 212 Loi n°77-84 ;
voir exposé des motifs : « la nouvelle rédaction
des articles 57...constitue une mise en garde contre tous ceux qui oseraient
entreprendre de démoraliser l'armée »
* 213 Selon G. HESSELING
(1985), entre 1977 et 1980 « le champ d'application de ces articles
de code pénal fut élargi, les peines devinrent plus lourdes et la
possibilité de décider, à titre de peine additionnelle, la
publication de la peine dans un ou plusieurs organes de presse fut liée
à une astreinte. » p. 312
* 214G. HESSELING (1985),
p.313
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