Le modèle américain d'accord de protection et d'encouragement des investissements 2004( Télécharger le fichier original )par Mohamed ABIDA Faculté de droit et des sciences politiques de tunis - Mastère en droit 2005 |
Première partieDe nouvelles règles pour d'anciens objectifs
Le modèle américain de 2004 reflète un effort conventionnel actuel qui tend tantôt à préciser le domaine de l'investissement, tantôt à clarifier les règles de fond comme étant des anciens objectifs en la matière. D'une part, la notion d'investissement et celle de l'investisseur sont définies largement dans les conventions bilatérales de protection et de promotion des investissements conclues à travers le monde. Or, il ne faut pas estimer qu'il y a autant de définitions que de traités bilatéraux d'investissements19(*) dont le nombre dépasse à l'heure actuelle 2500 accords. Cela étant, la modélisation conventionnelle est à cet égard très semblable, en ce que la définition qu'elle donne de la notion d'investissement ainsi que la notion d'investisseur est relativement identique. La plupart des modèles d'accord de promotion et de protection des investissements visent la protection des mêmes types d'opérations exercées par les mêmes catégories d'opérateurs.20(*) Cependant, chaque modèle conventionnel conserve son particularisme hérité des traditions juridiques du continent concerné et des circonstances politiques et économiques entourant la négociation bilatérale, ce qui traduit en définitive, la spécificité de chaque modèle conventionnel. Dans cette optique, le modèle américain d'accord de protection et de promotion des investissements reste relativement plus détaillé dans sa méthode de définition. Les rédacteurs du nouveau modèle américain ont essayé de concilier entre deux objectifs dans leur méthode de définition, d'une part, un langage clair et compréhensible et d'autre part, une certaine souplesse et flexibilité pratique afin de délimiter le domaine de l'investissement protégé (Chapitre premier). D'autre part, le nouveau modèle américain apporte des nouveautés concernant les règles de fond. Ces nouveautés reflètent un affaiblissement déraisonnable au regard des standards internationaux du traitement efficace des investissements ainsi qu'une réduction injustifiée du niveau de protection des investisseurs (Chapitre deuxième). Chapitre IDélimitation du domaine de l'investissementLes rédacteurs du nouveau prototype conventionnel introduisent de nouvelles règles afin de clarifier la notion d'investisseur (Section 2). De même, ils ont précisé les caractéristiques de l'opération de l'investissement protégé et ont expressément écarté certaines opérations de la notion d'investissement. Malgré ces innovations, la notion d'investissement reste imprécise, voire illimitée (Section1). Section 1 : La notion d'investissement demeure impréciseTout en respectant les canons classiques du réseau de TBI dans le monde ainsi que la structure formelle de la modélisation conventionnelle, le modèle américain de 2004 contient une définition des investissements protégés comportant deux éléments, l'un que l'on peut qualifier de synthétique, l'autre que l'on peut qualifier d'analytique.21(*) Le nouveau modèle américain de 2004 est innovant en ce qu'il introduit dans la définition générale ou synthétique les caractéristiques de l'opération d'investissement protégé pour la première fois dans l'histoire des TBI conclus à travers le monde (Paragraphe premier). Une nouveauté encore remarquable consiste à préciser, voire à restreindre la notion d'investissement par le biais de notes explicatives sous forme de notes de bas de page insérées au sein de la définition descriptive ou analytique de la notion d'investissement qui demeure infinie (Paragraphe deuxième). Paragraphe premier : Les nouvelles règles de l'élément synthétiqueL'élément synthétique figure dans l'article premier du modèle américain de 2004 relatif aux définitions, il consiste en une disposition très générale prévoyant d'une part, l'étendue du terme « investissement » (A) et d'autre part, ses caractéristiques (B).
A la lecture de l'article premier du nouveau modèle américain on peut déduire que l'investissement couvert englobe et l'investissement direct étranger et les nouvelles formes d'investissements (a). La protection conventionnelle ne se limite pas aux investissements effectivement réalisés mais aussi que l'investisseur cherche à réaliser (b). Enfin, le modèle de 2004 tout comme l'ancien modèle américain exclut la référence au droit national pour qualifier l'opération d'investissement international (c). a- Les investissements réalisés : D'abord, l'article premier du nouveau modèle dispose que le terme « investissement » s'étend à ««investment» means every asset that an investor owns or controls, directly or indirectly... ».22(*) Le terme « asset » signifie un « avoir » ce qui permet de constater que la qualification du terme « investissement » comme étant un « avoir » demeure toujours un élément central de la définition de l'investissement. Cela dit, cette qualification du terme « investissement » se présente comme une nouveauté par rapport au modèle conventionnel des années 1990 aux Etats-Unis. Ce dernier, ne fait aucune allusion pour qualifier ce terme. En effet, l'article premier du modèle de 1994 dispose dans son paragraphe (d) que « le terme investissement d'un ressortissant ou d'une compagnie signifie tout investissement dont (...)».23(*) On voit bien donc, l'impuissance des rédacteurs du modèle conventionnel de 1994 à donner une qualification juridique du terme investissement. Le nouveau modèle américain utilise une notion très courante dans la pratique bilatérale à savoir la notion d' « avoir » pour désigner l'investissement protégé. Or, il ne faut pas croire qu'une telle nouveauté peut tracer les frontières de la définition d'investissement qui parait illimitée. En effet, le terme « avoir » ou « asset » est une notion très large notamment dans les pays de la common law et en particulier les Etats-Unis. Elle désigne « real or personal property, whether tangible or intangible, that has financial value and can be used for the payment of its owners debts »24(*) et englobe les marques commerciales, l'argent liquide et les patents.25(*) On assiste à tort ou à raison, à un retour bienvenu à une conception traditionnelle et ambiguë de la notion d'investissement apparue depuis la génération des accords bilatéraux des années soixante à savoir la trilogie « biens, avoirs, intérêts».26(*) Ces éléments constitutifs d'un avoir « s'inscrivent dans une conception particulièrement présente chez les auteurs de formation juridiques anglo-américaine. Cette formule tend à établir un synonyme entre le terme investissement et la notion consacrée de « Proprety rights and interests» ».27(*) On retrouve cette qualification dans le modèle européen, le modèle conventionnel français dispose à juste titre que : « le terme « investissement » désigne tous les avoirs, tels que les biens, droits et intérêts de toutes natures.... ». De son côté, le modèle suisse stipule que le terme investissement englobe toutes les catégories d'avoirs (...) ».28(*) De la sorte, la notion d'investissement au sein du modèle américain de 2004 inclut dans la définition de l'investissement protégé tous les avoirs, quelle qu'en soit la nature. Elle recouvre toutes les formes commerciales ainsi qu'industrielles et n'établit aucune distinction entre l'investissement direct qui entraîne le contrôle de l'entreprise et l'investissement autre que direct qui nécessite un contrôle moins important de l'entreprise. En effet, elle inclut dans la catégorie des investissements tous les investissements impliquant un contrôle direct ou indirect de la société ce qui englobe notamment les investissements de porte feuille.29(*) L'article insiste sur « (...) controls, directly or indirectly (...)».30(*) Toutefois, le nouveau prototype conventionnel ne fixe pas de taux ou de pourcentages permettant d'identifier ce critère et un problème d'interprétation pourra être posé dans la pratique. Quoi qu'il en soit, le critère de contrôle qui qualifie l'investissement direct étranger implique « le pouvoir de direction et de gestion que détient l'investisseur »31(*) et nécessite, outre l'apport financier, un transfert d'éléments corporels et incorporels tels que celui de technologie ou de savoir-faire. Il s'agit en définitive, de ne pas baliser la protection des investisseurs aux seuls investissements directs, mais plutôt d'étendre celle-ci à la nouvelle forme d'investissements basée sur la séparation entre la propriété et le contrôle. L'article premier du modèle 2004 utilise le terme « or » pour procéder à cette séparation et dispose clairement que : « that an investor owns or controls, (...)».32(*) Cela dit, l'investisseur étranger qui exerce un contrôle effectif sur le projet sans participation majeure au capital social est couvert par les dispositions du nouveau modèle américain. Par ailleurs, au moment de la mise à jour du modèle américain, le débat s'est poursuivi sur les mérites relatifs d'une définition large ou limitée de l'investissement. A l'origine, les membres qui représentent les investisseurs au sein du sous-comité chargé de mettre à jour le modèle conventionnel américain se sont opposés à tout rétrécissement de la définition et ont noté que la limitation de l'investissement à l'I.D.E excluait l'investissement de porte-feuille de la portée du nouveau modèle tout en laissant beaucoup d'investisseurs américains sans protection contre les mesures arbitraires et discriminatoires des gouvernements des pays hôtes.33(*) Finalement, force est de signaler que la même disposition existe dans la nouvelle génération d'accords d'investissement c'est-à-dire les accords américains récents de libre-échange avec le Chili, le Maroc et Singapour. b- Les investissements projetés : L'étendue du terme investissement ne s'arrête plus aux investissements projetés et réellement réalisés, le nouveau modèle vise également, les investissements que l'investisseur cherche à effectuer. Cela dit, la protection conventionnelle du modèle américain couvre les projets en cours de construction non encore réalisés. On est donc en droit d'affirmer que les dépenses précontractuelles peuvent être considérées -à l'instar de ce nouveau modèle américain- comme étant un investissement. Or, nous partageons la position de la jurisprudence du CIRDI qui a toujours considéré que ses dépenses ne pouvaient en aucun cas être considérées comme des investissements protégés. L'affaire Mihaly est à cet effet très significative. Les arbitres devaient trancher la question au sens du TBI conclu entre les Etats-Unis et Sri Lanka. Pourtant, le tribunal arbitral n'a pas répondu clairement à cette question. Quoi qu'il en soit, l'article premier dispose que: « « investor of a Party» means a Party (...) that attempts to make, is making, or has made an investment in the territory of the other Party (...) ».34(*) A ce propos, M. F.Horchani considère ainsi que « l'extension peut paraître insolite voire troublante, mais il faudrait chercher son explication dans l'articulation avec les règles de traitement de l'investissement » qui s'appliquent avant même la réalisation effective de l'investissement c'est-à-dire au moment même de l'établissement ; C'est la pratique de « l'open door policy ».35(*) Telle n'est pas, en tout cas, l'attitude des pays européens qui n'incluent dans cette définition que les investissements de caractère originaire, les bénéfices non distribués n'entrant donc pas dans le champ d'application conventionnel. De son côté, M. P.Juillard notait que les pays européens estiment que « l'effort conventionnel doit empêcher que l'investisseur soit spolié de son premier apport (...) le devoir de protection dû aux nationaux ne va pas jusqu'à leur garantir (les investisseurs étrangers) l'enrichissement »36(*) sans cause. On trouve un écho à cette extension de l'étendue du terme « investissement » dans un traité multilatéral à caractère régional à savoir l'Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) dans son chapitre 11. En effet, l'article 1139 inclut dans le terme d'investissement non seulement les investissements directs à l'étranger, mais aussi l'article vise une participation d'entreprise, un prêt à une entreprise ainsi qu'un avoir dans une entreprise. On voit bien, que les investissements de porte feuille sont inclus. Le même article vise également les investissements protégés et que l'investisseur cherche à réaliser. En effet, force est de constater l'influence des Etats-Unis dans l'élaboration de l'ALENA. c- Exclusion de la référence au droit interne : La référence à la législation nationale de l'Etat d'accueil pour définir l'investissement protégé n'apparaît jamais dans le montage conventionnel des Etats-Unis.37(*) C'est une particularité qui s'affirme dans le prototype américain de convention bilatérale d'investissement dès son apparition en 1983. Celui-ci comporte des clauses permettant d'établir le principe de la liberté d'accès des investisseurs tout en excluant de son champ d'application tel ou tel domaine.38(*) Ce modèle de convention -minoritaire dans la pratique- était annonciateur des évolutions futures. On le rencontre dans le traité mettant en place l'ALENA. Mieux encore, ce régime a été envisagé dans le code de l'OCDE de libération des mouvements de capitaux ainsi que la déclaration ministérielle de Doha.39(*) En effet, un bien qui rentre dans la définition du modèle américain est toutefois considéré ipso facto comme un investissement admis au bénéfice conventionnel.40(*) D'ailleurs, même si le renvoi au droit interne assure la conformité de l'opération de l'investissement aux objectifs de développement et à la politique économique et sociale de l'Etat d'accueil cela ne va pas sans dire que ce renvoi peut vider la définition de l'investissement de tout son intérêt et « rendre illusoire la garantie conventionnelle »41(*) étant donné que l'Etat peut modifier à tout moment sa législation nationale relative à l'investissement. L'absence d'une telle référence au droit interne s'explique par le fait que le modèle américain est attaché à la libéralisation ou « la porte ouverte » qui assure un droit d'investir et ce contrairement au modèle européen où la référence à la législation nationale suppose que l'admission soit effectuée conformément à des règles de fond et de forme de droit interne de l'Etat d'accueil. En effet, au stade de l'admission, le pouvoir discrétionnaire de l'Etat d'accueil doit être présumé intact et le principe du traitement national et celui de la nation la plus favorisée ne doit pas intervenir.42(*) Il s'agit d'un point de friction entre les Européens et les Américains. La notion d'investissement est définie largement dans le premier paragraphe de l'article premier du modèle de 2004, une définition qualifiée par la doctrine d' « introuvable »,43(*) voire « inexistante ».44(*) Ces idées semblent avoir eu un écho dans les critiques apportées par plusieurs ONG surtout dans le domaine de l'environnement ainsi que par les travailleurs lors de l'élaboration du modèle américain de 2004. Pour cette raison, les rédacteurs du nouveau prototype ont répondu à ces critiques en encadrant la liberté et l'étendue des droits conférés aux investisseurs privés et en apportant une limitation à la définition traditionnelle de l'investissement, à savoir les éléments qui caractérisent l'investissement.
Lors de la mise à jour du modèle américain au mois de novembre 2004, quelques ONG ont estimé que la définition de l'investissement est d'autant plus large qu'elle dépasse la définition même de la « propriété » dans la jurisprudence américaine. En effet, les groupes des travailleurs ainsi que les lobbies de l'environnement tentaient de limiter la définition de l'investissement. Ils estimaient qu'une large définition offrirait une protection à des opérations spéculatives à court terme (hot money)».45(*) Pour cette raison, les rédacteurs du modèle apportent une limitation à la définition traditionnelle de l'investissement. L'article premier du prototype insiste sur trois éléments qui caractérisent l'investissement protégé (a). Toutefois, deux éléments dégagés tant par la doctrine que par la jurisprudence arbitrale ne sont pas explicitement prévus au sein de la définition générale de l'investissement (b). a- Eléments classiques : Les rédacteurs du nouveau modèle américain insistent sur trois éléments caractérisant l'opération d'investissement à savoir l'apport en capital (ou autres ressources), la recherche du gain et le fait que l'investisseur supporte un risque. Selon l'article premier: « (...) that has the characteristics of an investment, including such characteristics as the commitment of capital or other resources, the expectation of gain or profit, or the assumption of risk».46(*) Cette méthode de définition est reprise également dans les accords américains récents de libre-échange.47(*) Les rédacteurs du modèle américain apportent une innovation pertinente non seulement par rapport au modèle de 1994, mais aussi et surtout par rapport à la méthode de définition utilisée par les accords de protection et de promotion des investissements conclus à travers le monde. Aucune définition dans la pratique bilatérale ne semble prendre en considération les éléments qui caractérisent l'investissement protégé. Mieux encore, la nouveauté de la règle s'étale au-delà de la modélisation conventionnelle bilatérale. Ainsi, elle présente des innovations même par rapport au multilatéralisme conventionnel. Il en est ainsi de l'ALENA dans le cadre proprement régional ainsi que la convention de Washington de 1965 créant le CIRDI. Cependant, on retrouve cette disposition dans la définition de l'investissement dans les instruments de libre circulation, il s'agit essentiellement du code OCDE de la libération des mouvements de capitaux élaboré dans le cadre de l'OCDE. En effet, l'existence d'un investissement direct au regard de ce texte repose sur la combinaison de certains éléments tels que l'existence d'un apport et le fait que l'investisseur exerce une réelle influence sur la gestion de l'entreprise qu'il a investi.48(*) De son côté, l'article 12 de la convention de Séoul créant l'AMGI apporte une définition particulière de l'investissement. Ainsi, les éléments constitutifs d'un investissement sont au nombre de trois : l'apport, la durée et le fait que l'investisseur supporte, au moins partiellement, les aléas de l'entreprise. Or, la restriction de la définition trouve son fondement dans l'objet même de la convention MIGA à savoir l'assurance des investissements et l'indemnisation des investisseurs contre des mesures discriminatoires non commerciales. Le professeur F.Horchani considère qu'il « semble normal qu'une saine gestion financière de l'agence exige une délimitation minimale des opérations garanties ».49(*) Par ailleurs, certains Etats ont estimé -au moment des travaux du cycle de Doha dans le cadre de l'OMC- que les tentatives de définition de l'investissement au moyen de notions imprécises telles que l'intérêt durable, le risque et l'apport ne servent à rien. En effet « chaque accord qui ne tiendrait pas compte des participations minoritaires au capital (...) risquerait d'être dépassé ».50(*) Quoi qu'il en soit, la détermination des éléments caractérisant l'investissement protégé dans le nouveau modèle américain correspond, bel et bien, à un degré maximum d'évolution du droit international des investissements. Ainsi, une approche actuelle renforcée par une doctrine unanime et alimentée par une jurisprudence arbitrale relativement constante « estime qu'il ne peut y avoir d'investissement que lorsqu'il y ait un apport, que celui-ci ait un caractère de durabilité et qu'il revêt un certain risque pour l'investisseur ».51(*) En effet, les auteurs du courant objectiviste considèrent que la notion d'investissement « comporte un noyau dur irréductible composé d'élément tel que l'apport, la durée du projet et le risque supporté par l'investisseur ».52(*) Le professeur P.Juillard notait ainsi que « le contrat d'investissement exige toujours un apport (...). Cet apport doit revêtir un caractère de durabilité (...) L'attribution du droit durable impliquera la participation de l'investisseur au résultat de l'investissement ».53(*) En outre, ces nouvelles rédactions rappellent la notion d'investissement retenue dans la jurisprudence arbitrale. A l'origine, la première décision qui a placé la question controversée de cette définition au coeur de l'actualité jurisprudentielle est l'affaire Fedax contre Venezuela du 11 juillet 1997 rendue sous les auspices du CIRDI. Le tribunal soutient dans une formule générale qu'un « investissement se caractérise par une certaine durée, une régularité en matière de profit et revenu, une certaine prise de risque, un engagement substantiel et un intérêt certain pour le développement du pays d'accueil ».54(*) En réalité, l'analyse jurisprudentielle et notamment du CIRDI appelle quelques remarques : Premièrement, la clarification et la précision de la notion d'investissement dans les récents accords bilatéraux d'investissements est actuellement une nécessité primordiale dans la mesure où les tribunaux arbitraux se réfèrent essentiellement à la définition proposée par les TBI en l'absence évidemment d'une définition dans la convention de 1965. Cela a pour effet de consolider la primauté du consentement dans cette définition et par conséquent la consécration du courant subjectiviste. Dans l'affaire AMT contre Zaïre55(*) les arbitres se réfèrent explicitement au traité bilatéral conclu entre le Zaïre et les Etats-Unis pour définir le terme investissement. Après avoir cité l'article premier du traité bilatéral, le tribunal arbitral a considéré que la société zaïroise, dans laquelle la société américaine AMT détenait 94 pour cent du capital, constituait un investissement au sens de l'accord bilatéral en question. De même, dans l'affaire Lanco c/ Argentine, le tribunal arbitral a considéré que la société américaine avait réalisé un investissement du simple fait de sa participation dans la société de droit local au sens du traité bilatéral conclu entre les Etats-Unis et l'Argentine.56(*) Deuxièmement, il est clair que le nouveau modèle américain a subi l'influence de la jurisprudence récente du CIRDI qui tend actuellement à l'unification, voire à la codification de cette définition. Pourquoi donc les rédacteurs ont-ils choisi de reproduire la définition fournie par la jurisprudence du centre ? En réalité, la clause CIRDI contenue dans le modèle américain prévoyant le recours aux mécanismes du Centre signifie clairement que le demandeur doit démontrer l'existence d'un investissement non seulement au sens du TBI, mais également au sens de la Convention de Washington.57(*) b- Eléments controversés : L'article 1 du nouveau modèle ne prévoit que trois critères présentant les caractéristiques d'un investissement qui sont l'engagement du capital, l'attente d'un gain et la prise de risque. Or il existe d'autres éléments dégagés tant par la doctrine que par la jurisprudence qui revêtent une grande importance et qui n'ont pas été prévus par les rédacteurs du modèle à savoir le critère de durabilité et la contribution de l'investissement au développement et l'Etat d'accueil. En effet, M. Ch.Schreur a précisé cinq critères pouvant servir de guide pour qualifier l'opération d'investissement. Il affirme dans son ouvrage qu'il ne s'agit pas de conditions mais plutôt de caractéristiques. Il insiste premièrement sur la durabilité. Deuxièmement, l'opération d'investissement doit revêtir une certaine régularité en matière de profit et de revenus même s'il s'agit de l'attente du gain. Troisièmement, le projet d'investissement engendre nécessairement l'acceptation du risque. Quatrièmement, l'importance de l'engagement. Enfin, la contribution de l'opération dans le développement de l'Etat d'accueil.58(*) Concernant ce dernier facteur non prévu dans le nouveau modèle américain, la contribution du projet d'investissement dans le développement de l'Etat d'accueil figure dans le préambule de la Convention de Washington. Cette condition reflète la volonté de l'Etat d'accueil de protéger essentiellement les opérations qui contribuent bel et bien à son développement. Or, les rédacteurs du nouveau modèle américain de 2004 préservent une certaine souplesse à la disposition de l'article premier. D'une part, les termes employés dans cet article prouvent que les caractéristiques de l'investissement sont prévues à titre indicatif et non limitatif. L'article dispose que l'investissement désigne tout avoir (...) qui présente les caractéristiques d'un investissement, parmi lesquelles (...) ».59(*) Cela dit, cette formulation nous permet de constater le caractère général de cette disposition. D'autre part, les rédacteurs ont préféré insister sur l'élément de durabilité tout simplement au moyen d'une note de bas de page et non dans le corps du texte. Ainsi, celle-ci dispose que certaines opérations à moyen ou à long terme sont plus susceptibles de présenter les caractéristiques d'un investissement.60(*) En outre, même si le critère de la contribution de l'investissement au développement de l'Etat d'accueil ne reflète pas les préoccupations des Etats-Unis en la matière, on peut constater l'influence de ce critère au sein de l'article 17 du nouveau modèle. En effet, l'Etat d'accueil pourra refuser d'accorder les avantages de ce modèle à un investisseur si celui-ci ne mène aucune activité commerciale importante sur le territoire de l'Etat d'accueil.61(*) Cette disposition trouve un écho au sein de l'article 25 du CIRDI qui exige la condition selon laquelle l'opération d'investissement soit effectuée sur le territoire de l'Etat partie à la Convention. Ces nouvelles rédactions montrent donc la volonté des Etats-Unis de bloquer toute demande d'arbitrage portant sur une opération purement commerciale ou banale. Cependant, est-ce que ces éléments caractérisant l'investissement peuvent être compatibles ? * 19 Horchani.F, « Mondialisation, sociétés transnationales et droit des investissements », colloque de l'Association Internationale de Droit Economique ; Mondialisation et droit économique, R.I.D.E, mai 2003. Inédit. * 20 Carreau D, Juillard P, « Droit international économique », Dalloz, 1ère édition, 2003, p. 382. * 21 Sur cette distinction voir, Carreau D, Juillard P, « Droit international économique », ibid. p. 382 et s. * 22 Italiques ajoutés. * 23 Italiques ajoutés. * 24 West's encyclopedia of Americain law, vol 1 1998, pp. 268-269. * 25 Ben Hamida.W, « L'arbitrage transnational unilatéral- réflexions sur une procédure réservée à l'initiative d'une personne privée contre une personne publique», Thèse de doctorat, ParisII, 2003, p. 301. * 26 Laviec. JP, « Protection et promotion des investissements », PUF, Paris, 1985, p. 14. * 27 Ibidem. * 28 Article1, paragraphe1 du modèle français et article1 paragraphe2 du modèle suisse. Italiques ajoutés. * 29 Horchani.F, « Le droit international des investissements à l'heure de la mondialisation », JDI 2.2004, p. 374, note de bas de page n°14. * 30 Italiques ajoutés. * 31 Ben Hamida.W, Thèse précit. p. 297. * 32 Italiques ajoutés. * 33 Report of the Advisory Committee On International Economic Policy, « Regarding The Draft Model Bilateral Investment Treaty», 11 février 2004, en ligne à la page: http://ciel.org/Publications/BIT_ Subcmte_Jan3004.pdf, introduction. * 34 Italiques ajoutés. * 35 Horchani.F, « Mondialisation, société transnationales et droit des investissements », précit. p. 6. * 36 Juillard.P, Investissements, Chronique du droit international économique, AFDI, 1983, p. 594. * 37 Dolzer. R et Margaret. S, B.I.Ts, Martinus Nij Hoff, Publishers, 1995, p. 241. * 38 Leben.Ch, « L'évolution du droit international des investissements », SFDI, journée d'études ; Un accord multilatéral sur l'investissement : d'un forum de négociations à l'autre, Pedone, 1999, p. 11. * 39 Le traité tuniso-américain du 15 mai 1990 confirme cette approche. V. Gara.N, « Le consentement de l'Etat à l'arbitrage relatif à l'investissement privé international », thèse, Faculté de droit et de sciences politiques de Tunis, 2001. * 40 On retrouve cette idée dans l'affaire Salini sous les auspices du CIRDI ainsi que dans la récente affaire William Nagel où les arbitres n'ont pas pris en considération la définition de l'investissement contenue dans la législation interne de l'Etat tchèque. Affaire William Nagel contre République Tchèque, 9 septembre 2003, arbitrage CNUDCI. * 41 Ben Hamida.W, Thèse précit. p. 305. * 42 Huu-Tru.N, « Le réseau suisse d'accords bilatéraux d'encouragement et de protection des investissements », R.G.D.I.Pub, 1988, vol 23, pp. 597-598. * 43Juillard.P, Investissements, Chronique du droit international économique, précit. p. 773. * 44 Khan.Ph, International Law Assocation, Foreign investments in the developing countries, cité par Horchani.F, « L'investissemnt inter-arabe », recherche sur la contribution des conventions multilatérales arabes à la formation d'un droit régional des investissements, Ed. Centre d'études, de recherches et de publication de l'université de droit, d'économie et de gestion de Tunis, 1992, p. 87. * 45 Report of the advisory committee on international economic policy, précit. p. 1. * 46 Italiques ajoutés. * 47 Il en est ainsi de l'accord de libre-échange Etat Unis/Chili (Article 10.27), Etat-Unis/Maroc, (Article 10.27) (signé le 15 Juin 2004 et entré en vigueur le 14 Janvier 2005), ainsi que l'accord de libre-échange entre USA/Singapour (Note de bas de page : 15-1). * 48 Carreau D, Juillard P, « Droit international économique », ibid. p. 379 et s. * 49 Horchani. F, «La compagnie inter-arabe pour la garantie des investissements », thèse, Université de Bourgogne, Dijon, 1980. * 50 Paragraphe 22 de la déclaration ministérielle de Doha, rapport au conseil général ; OMC, séminaire de formations des formateurs en négociations commerciales, Tunis, décembre 2004, pp. 3-4. Non publié. * 51 Horchani.F, « Le droit international des investissements à l'heure de la mondialisation», précit. p. 376. * 52 Yala.F, «La notion d'investissements dans la jurisprudence du CIRDI... », Colloque : nouveaux développements dans le contentieux arbitral transnational relatif à l'investissement international, 3 mai 2004, p. 2. * 53 Juillard.P, « Contrats d'Etats et investissement », in Contrats internationaux et pays en développement, sous la direction de H.Cassan, Economica, 1989, p. 172. * 54 Egalement, dans l'affaire Salini contre Maroc, le tribunal arbitral s'est attaché à dégager les critères théoriques de la qualification de l'investissement. Selon les arbitres, un investissement supporte non seulement des apports est une certaine durée d'exécution mais encore est surtout, doit impliquer une participation de l'investisseur au risque de l'opération et contribué au développement économique de l'Etat d'accueil. Les deux affaires sont consultables sur le site du CIRDI. La récente affaire Joy Mining Machinery contre la république arabe d'Égypte du 6 août 2004 rendue sous les auspices du CIRDI va également dans le même sens. Le tribunal arbitral a dégagé les critères caractérisant l'investissement protégé à savoir la durée, la régularité, le risque ainsi que le développement économique du pays hôte. V. Yala.F, « La notion d'investissement », in Gazette du Palais, chronique arbitrage et investissements internationaux, décembre 2004, p. 18. * 55 American Manufacturing end Trading, Inc. (AMT) (Etats-Unis) contre la république démocratique du Congo, CIRDI, Affaire ARB/93/1, décision du 21 février 1997. J.D.I. N° 1998, p. 241. * 56 Cette méthode est renforcée par la jurisprudence récente, ainsi dans l'affaire SGS contre République islamique de Pakistan du 6 août 2003 et l'affaire SGS contre République des philippines du 29 janvier 2004, l'examen de la condition d'investissement a été limité aux seules dispositions du TBI (conclu avec la Suisse), servant de fondement à la demande, ce qui permet de constater une tendance des arbitres à subjectiver la notion d'investissement. * 57 Ben Hamida.W, thèse précit. p. 325. * 58 Cité par N.Rubins : « Les innovations arbitrales dans les récents accords américains de libre-échange : deux pas en avant, un pas en arrière », RDAI/IBLJ, n°8, 2003, p. 875. * 59 Souligné par nous. L'article dispose que: « (...) that has the characteristics of an investment, including such characteristics as (...) ». * 60 La note de bas de page n°1 prévoit que: « Some forms of debt, such as bonds, debentures, and long-term notes, are more likely to have the characteristics of an investment, while other forms of debt, such as claims to payment that are immediately due and result from the sale of goods or services, are less likely to have such characteristics ». * 61 Ainsi, l'alinéa 2 de l'article 17 prévoit que: « A Party may deny the benefits of this Treaty to an investor of the other Party that is an enterprise of such other Party and to investments of that investor if the enterprise has no substantial business activities in the territory of the other Party and persons of a non-Party, or of the denying Party, own or control the enterprise. » Italiques ajoutés. |
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