CHAPITRE I : L'AUTONOMIE DE LA VOLONTE COMME
EXPRESSION DE
DROIT DE L'HOMME
L'autonomie de la volonté comme expression de droit de
l'homme peut traduire certains principes fondamentaux des droits de l'homme.
Il convient en ce moment de dire quelques mots sur la
définition et le fondement de l'autonomie de la volonté avant de
voir la confirmation de l'autonomie de la volonté comme un exercice d'un
droit de l'homme à travers les principes fondamentaux de droit de
l'homme.
I. 1. La définition et le fondement de
l'autonomie de la volonté
Le principe de l'autonomie de la volonté exprime la
faculté laissée à toute personne qui en est capable de
nouer une relation juridique avec une autre indépendamment de certaines
contraintes. L'autonomie de la volonté est donc une liberté
donnée à une ou des parties par laquelle elles désignent
le droit auquel sera soumis leur rapport ou leur situation juridique.
L'autonomie de la volonté n'est donc pas la
faculté de combler les lacunes du droit interne ou d'y déroger
grâce à des normes tirées d'un droit
étranger mais c'est celle d'évincer le droit interne
normalement applicable en lui substituant un autre droit du choix des
parties.
Dans l'évolution du droit international privé,
Savigny «énonce que la fonction essentielle du droit est de
délimiter et de faire respecter le champ de libre domination de la
volonté individuelle. Le rapport de droit définit cet espace
réservé à la libre volonté de l'individu...1(*)».
Le fondement de ce principe est que «cette liberté
apparaît tout d'abord comme une extension de l'autonomie des parties de
disposer de leurs droits, telle qu'elle est admise pour les situations purement
internes 2(*)».
Une autre justification est due au fait que «le droit
choisi par les parties se substitue, en effet, à l'ordre juridique
entier de l'Etat désigné par le rattachement objectif 3(*)».
L'autonomie de la volonté est une règle de
conflit subjective. Le principe d'autonomie se justifie par diverses
considérations notamment le fait qu'une relation juridique doive
être soumise par les parties à la loi du lieu dont elle est proche
et ce principe répond au besoin de prévisibilité des
décisions et, par là, à la sécurité de
droit.
I. 2. L'autonomie de la volonté comme expression
de droit de l'homme
Le principe de l'autonomie de la volonté peut exprimer
un certain nombre de droits fondamentaux. Il sera question ici de
préciser la place de l'autonomie de la volonté relativement
à deux principes fondamentaux : le droit au respect de la vie
privée et familiale, d'une part, et le principe fondamental de
l'égalité des sexes, d'autre part.
I. 2. 1. L'autonomie de la volonté et le droit au
respect de la vie privée
a. Le contenu du droit au respect de la vie
privée
La notion du droit au respect de la vie privée n'est
pas définie de manière exhaustive par la doctrine et la
jurisprudence.
La doctrine établit un certain nombre de ses
composantes. Elle aboutit à situer en son sein trois composantes
distinctes ayant cependant leur origine commune. Cette notion recouvre «le
droit de l'individu de ne pas subir d'immixtion dans sa sphère
d'intimité [qui] repose sur l'idée d'une séparation nette
entre les sphères publique et privée. Le droit de l'individu au
secret de certaines informations le concernant... Enfin, le droit de l'individu
de rechercher son plein épanouissement de façon autonome, en
posant librement les choix essentiels qui jalonnent son existence... chacun
[devant] pouvoir manifester par ses choix ce que sa personnalité a
d'unique 4(*) ».
Citant la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme dans son l'arrêt Neimietz c/ Allemagne du 16
décembre 1992, Daniel Borrillo dit que la Cour affirme que, s'il n'est
« ni possible ni nécessaire de chercher à
définir de manière exhaustive la notion de « vie
privée », en revanche : « Il serait (...) trop
restrictif de la limiter à un « cercle intime »
où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise et d'en
écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle.
Le respect de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine
mesure, le droit pour l'individu de nouer et développer des relations
avec ses semblables5(*) ».
Le droit au respect à la vie privée touche
à beaucoup d'aspects du droit à la vie. Ces aspects concernent
notamment le nom, la vie commune dans le mariage ou hors mariage, le remariage,
le transsexualisme, la vie sexuelle... En ce sens, la Cour européenne
des droits de l'homme a jugé que « des éléments
tels, par exemple, l'identification sexuelle, le nom, l'orientation sexuelle et
la vie sexuelle relèvent de la sphère personnelle
protégée par l'article 8... Cette disposition protège
également le droit au développement personnel et le droit
d'établir et entretenir des rapports avec d'autres êtres humains
et le monde extérieur...6(*) ».
La jurisprudence du Tribunal de première instance des
communautés européennes abonde dans le même sens en jugeant
que le droit au respect de la vie privée, consacré par l'article
8 de la convention européenne des droits de l'homme, « fait
partie intégrante des principes généraux du droit dont le
juge communautaire assure le respect, conformément aux traditions
constitutionnelles communes aux Etats membres ainsi qu'aux instruments
internationaux auxquels les Etats ont coopéré ou
adhéré7(*) ».
L'autonomie de la volonté «prenant l'unique
contenu de la liberté individuelle, elle est avant tout le droit de
l'individu à s'épanouir en dehors de la sphère du social
et du politique, le droit de se réserver un espace privé, au sein
duquel l'Etat n'a aucun droit d'intervention, au sein duquel l'individu ne
subit pas la contrainte du politique8(*) ». En effet, elle vise ainsi à
élargir le plus possible le champ de l'action individuelle et à
échapper à toute contrainte de la part de la
société ou de l'extérieur.
Vu sous le dernier aspect du plein épanouissement
personnel et autonome, la vie privée est l'expression d'un droit
fondamental qui prend sa source dans l'autonomie de la volonté de
l'individu. C'est le droit de l'individu à son autodétermination,
le droit à certains choix particulièrement essentiels de sa vie.
La vie privée devient alors un droit de chacun de manifester certains
aspects de sa personnalité.
Le droit à l'épanouissement personnel,
composante de la vie privée, devient «le droit de préserver,
autour de soi, une sphère à l'intérieur de laquelle nul ne
peut pénétrer ; le droit au respect de la vie privée
dès lors garantissant non plus la préservation d'une
sphère d'intimité autour de l'individu, mais la capacité
de cet individu à l'autodétermination...son propre destin
... 9(*)». De ce
fait, la vie privée doit être entendue comme un droit fondamental
à vocation universelle qui devrait être appréciée de
façon objective sans considération des critères religieux,
culturels ou géographiques.
C'est dans ce sens Daniel Borrillo soutient que le droit au
respect de la vie privée est considéré
« ...comme le produit à la fois d'une extension de la garantie
de la vie privée au-delà de la sphère de protection
qu'elle crée autour de chaque individu et, plus fondamentalement sans
doute, comme l'abandon même d'une compréhension
géographique de la vie privée, au profit d'une conception qui y
voit le droit de l'individu à l'autodétermination, par le fait de
poser certains choix particulièrement essentiels10(*) ».
Il convient à présent d'indiquer certains des
arrêts relatifs à ces aspects de la vie privée et
familiale.
b. L'expression de l'autonomie de la volonté
dans le droit au respect de la vie privée et familiale
* 1 Andreas Bucher et Andreas
Bonomi ; Droit international privé, Helbing & Lichtenhahn,
Genève, 2001, p. 89.
* 2 Andreas Bucher et Andrea
Bonomi, op. cit., p. 105.
* 3 Ibidem.
* 4 Daniel Borrillo ;
Homosexualités et droit, De la tolérance sociale à la
reconnaissance juridique P.U.F., Paris, 1998,
p.72.
* 5 CEDH, arrêt
Neimietz c/ Allemagne du 16 décembre 1992, paragraphe 29
citée par Daniel Borrillo op. cit., p.p. 68-
69.
* 6 C.E.D.H., Van Kück
c. Allemagne, arrêt du 12 juin 200, Recueil des arrêts et
décisions, 2003-VII, p.p. 59-60,
paragraphe 69.
* 7 Tribunal de
première instance (quatrième chambre), N contre Commission des
Communautés européennes,
Affaire T-273/94, Arrêt du 15 mai 1997, Recueil de
jurisprudence - fonction publique 1997 page IA-00097; page
II-00289.
* 8 Anne-Marie
Roviello ; La notion d'égalité chez Tocqueville, Travaux du
Centre de philosophie du droit de
l'Université libre de Bruxelles,
L'égalité, vol. VIII, Bruylant, Bruxelles, 1982, p.556.
* 9 Daniel Borrillo ;
op. cit., pp. 66-67.
* 10 Daniel Borrillo ;
op. cit., p. 65.
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