b. Mouvements de résistance des acteurs
populaires
On observe cependant, un aspect pratique dans les
années 1980-90, l'abandon des approches macro-sociales et le repli sur
des micro-analyses d'actions notamment comment la pensée radicale durant
cette période se concentre sur le problème de luttes
contextualisées, sur le local. Ce sont des mouvements critiques qui
constituent des réponses a la crise d'accumulation et de
régulation. La préoccupation de Peemans notamment a travers ses
analyses sur le développement réel des peuples, c'est de savoir
comment les acteurs redéveloppent des stratégies
séculaires d'organisation sociale face a la dégradation de leurs
conditions de vie et a l'insécurisation de leur avenir.
Les populations ne sont pas restées passives durant la
période de la crise de modernisation. Dans leur ouvrage <<L'empire
>>, Negri et Hardt présentent les modes de résistance mis
en place par la société face a la modernisation
néo-libérale35. Pour eux, il s'est établi un
nouvel ordre mondial sous la dénomination de <<L'empire>> a
travers lequel, des logiques et de structures nouvelles du pouvoir au niveau
des élites globales sont liées a une nouvelle forme de
souveraineté. Contre ce nouvel ordre mondial, s'érigent des
résistances des populations. ~ls font certes allusion dans leurs
analyses a des résistances observables a travers des mouvements
antimondialisations de la dernière décennie. Faisons toutefois
observer avec Peemans, que la résistance des peuples et des gens a
l'imposition de l' <<ordre des choses>> est une très longue
histoire. Malheureusement, l'approche de l'histoire du développement en
termes de modernisation-
35 Michael HARDT et Antonio NEGRI, Empire, EXiLS ED1TEUR, trad.
Dénis-Armand Canal, Paris, 2000, pp. 3 19-328.
rattrapage a complètement négligé
l'histoire persistante des myriades de petits producteurs, ruraux et urbains,
dont les prouesses quotidiennes pour survivre et se maintenir, n'ont
guère pesé lourd en termes d'économie de la puissance et
en termes de comptabilité de la croissance36. De tout temps,
les peuples ont touj ours résisté soit sous forme d'une
poussée collective allant au-delà d'une simple agitation
momentanée, soit sous forme des mouvements ouvriers ou de mouvements
nationalistes, au sens de Wallerstein37. C'est autant dire que ces
mouvements de résistance des masses populaires sont séculaires.
Ils ont été quelques fois étouffés, mais ont
toujours survécu sous plusieurs formes.
De ce fait, le développement concu dans la logique des
processus d'accumulation peut se lire en termes de rapports de force, en termes
de conflits puisque les dynamiques complexes se construisent et se
déconstruisent autour d'acteurs et d'enjeux de pouvoir et de domination.
Pour J.-Ph. Peemans, "l'accumulation apparaIt comme ce type de logique que
certains acteurs viennent surimposer a la logique de l'économie
populaire et a la logique du marché, soit en essayant de les
marginaliser, soit la plupart du temps en essayant de les soumettre ou de les
utiliser."38 Un grand enjeu de la pensée sur le
développement, souligne Peemans, c'est de savoir renverser la
perspective traditionnelle sur le rapport entre l'économie populaire et
l'accumulation de type capitaliste.
La lecture de l'histoire nous rappelle certes qu'au
XIXème siècle au Nord, la détérioration des
conditions de vie des classes populaires a bien été
endogène a une poussée de la sphère de l'accumulation et a
une modification des rapports de force entre secteurs capitalistes et secteurs
d'économie populaire. Mais il permet aussi de montrer que cette
évolution a pu être contrée lorsque des mécanismes
de sécurisation et de résistance collective ont pu être mis
en place dans des contextes locaux particuliers. Il y a toujours eu des formes
de gouvernance locale et domestique, attestées par des pratiques
populaires séculaires, mais celles-ci se trouvent de plus en plus
marginalisées. Dans les pays en développement, les masses
populaires ont dü incorporer de nouvelles règles de comportement
socio-économique sous l'influence de la modernisation. Elles ont su en
même temps, conserver des formes de solidarité et d'organisation
communautaire, dans la logique de réciprocité et de
redistribution39. Cette gouvernance historique des masses populaires
rejoint la réflexion de Braudel concernant la dynamique des acteurs de
premier niveau dans
36 Jean-Philippe PEEMANS, Le développement des peuples
face a la modernisation du monde. Les théories du développement
face aux histoires du développement "réel" dans la seconde
moitié du XXème siècle, Population et développement
n° 10, Académia-Bruylant/L'Harmattan, Louvain-laNeuve/Paris, 2002,
p. 429.
37 Cf. les mouvements anti-systémiques chez I.
WALLERSTEIN, op. cit., pp. 64-65.
38 Jean-Philippe PEEMANS, Le développement des peuples
face a la modernisation du monde, op.cit., p. 430.
39 Karl POLANYI, La grande transformation, op. cit., pp. 77-79;
Jean-Philippe PEEMANS, Le développement des peuples face a la
modernisation du monde, op. cit., pp. 439-442 et p. 459.
l'organisation des structures de leurs quotidiens. Polanyi l'a
désignée par "Gouvernement populaire". Dans son entendement, le
"Gouvernement populaire" constitue les corps populaires qui répondirent
a l'échec du système international pendant les années
1920.
Il apparaIt donc que la spécificité de la
résistance des masses populaires est qu'elle se situe dans l'action et
légitime, au regard de la désarticulation du processus
d'accumulation et de régulation, l'économie populaire comme une
démarche de reproduction sociétale. La résistance exprime
le fait des réponses des masses populaires au processus
insécurisant du modèle de modernisation-accumulation.
L'économie populaire est donc actuellement au c>ur du processus de
développement des pays en développement.
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