1.1.4. Dynamiques du changement social
Dans les trois premières sous-sections qui
précèdent, nous venons de développer les axes d'analyses
de Braudel, Wallerstein et Polanyi quant a l'implantation historique du
capitalisme, a l'établissement d'un système d'exploitation
mercantiliste et aux implications d'une économie qui est
désencastrée du reste des relations sociales et du
contre-mouvement au marché autorégulateur.
Dans cette sous-section, nous complétons la boIte
d'outils devant nous permettre d'élaborer notre grille de lecture avec
l'analyse de l'évolution des dynamiques de changement social par rapport
aux modes d'exploitation capitaliste. Pour cette fin, nous allons nous servir
des réflexions de J. -Ph. Peemans a travers ses lectures des pratiques
populaires a partir d'une perspective dynamique par rapport aux changements
structurels en cours.
a. Accumulation et fragilisation sociale des masses
populaires
On observe au 1 9ème siècle, un
ensemble de réactions spontanées face a des actions destructrices
du marché. C'est ce qu'on a appelé le <<contre-mouvement au
marché >>. L'idée de contre-mouvement est très
importante car elle permet de comprendre comment l'Etat-providence s'installe
pour assurer la régulation sociale et économique.
Jusque dans les années 1930, il y avait une tendance a
une forte marchandisation du travail, un marché concurrentiel qui
faisait pression sur le marché de travail. L'analyse de l'organisation
scienti2ique du travail le long la chaIne de production31 a conduit
a un gain de productivité qui est redistribué, après une
lutt e ouvrière, entre le capital et le pro2it. Le fordisme est
basé sur ce cercle vertueux. C'est la synchronisation de la production
des masses et de la consommation des masses32. Aglietta souligne que
ce système est pensé comme "la possibilité pour l'ouvrier
moderne d'accéder au statut de consommateur des produits de la
société industrielle."33 Ce cercle vertueux va
expliquer le cycle long de la croissance, avec comme implication, un recul
historique de la pauvreté. On parle a l'époque du
<<compromis institutionnalisé >>. C'est seulement
après que l'on observera un ralentissement des gains de
productivité et qu'à ce moment, surgit une lutt e dans la
répartition de ces gains de productivité.
La période 1945-70 flut la période de la
conceptualisation de la théorie de régulation
développée par des francais tels que R. Boyer, A. Lipietz, M.
Aglietta. La théorie de la régulation est née dans la
deuxième moitié des années 70. Elle s'est
constituée en affrontant un dé2i particulier: tenter d'expliquer,
de manière endogène, le passage de la croissance a la crise.
L'approche régulationniste a donc pour objet l'analyse des divers
régimes d'accumulation34 au sein du mode de production
capitaliste.
Au début des années 1970, le capitalisme va
réagir face au ralentissement de la productivité en substituant
le travail par la robotisation et en délocalisant la production. Au
courant de cette même décennie, on observe en plus
l'éclatement de ce compromis capital-travail. Face a cette montée
des con2lits, le capital va tenter de se libérer des contraintes
sociales. Dans les années
31 C'est Henry Ford qui systématise la relation entre
production de masse et consommation de masse. Toutefois, Taylor
préconisait déjà une augmentation substantielle du salaire
pour inciter les ouvriers a se plier aux contraintes de la nouvelle discipline
d'usine.
32 Robert CASTEL, les métamorphoses de la question
sociale, op. cit., p. 537.
33 Michel AGLIETTA, Régulation et crises du capitalisme,
Ed. Marabout, Paris, p. 23.
34 Par régime d'accumulation, on entend l'ensemble des
régularités qui assurent une progression générale
et relativement cohérente de l'accumulation du capital,
c'est-à-dire permettant de résorber ou d'étaler dans le
temps, les distorsions et déséquilibres qui naissent en
permanence du processus lui-même. C2. R. Boyer, La théorie de la
régulation : une analyse critique, 1986.
1980, on voit apparaItre un "régime d'accumulation
flexible", régime d'accumulation qui tient de temps en temps compte de
la critique du système dans la progression de l'accumulation. Devant la
montée de la vulnérabilité des masses liée a la
mondialisation, les rapports de force capital/travail seront affectés.
C'est pendant cette décennie qu'il y aura une nouvelle réflexion
sur la reconnaissance de la nouvelle pauvreté comme résultat de
la restructuration globale du capitalisme. Le débat sur l'exclusion
sociale se développe vers les années 1990 et derrière ce
concept, il y a la question sociale qui s'était déjà
posée en terme de paupérisation au 19è siècle, dans
la période pure du capitalisme sauvage et qui ressurgit au début
des années 1980.
L'approche en termes d'exclusion sociale apparaIt donc comme
la nouvelle manière d'analyser le développement. On voit bien se
mettre en place le cadre théorique du concept "exclusion sociale ".
C'est le processus d'une fragilisation de la part sociale de l'individu. La
montée de ce phénomène en 1980 montre qu'il ne s'agissait
en rien de se normaliser conformément a la thèse de
modernisation-rattrapage. L'originalité du concept d'exclusion sociale
par rapport au concept de pauvreté, c'est sa caractéristique
multidimensionnelle.
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