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Ménages Gécamines, précarité et économie populaire

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par Didier Kilondo Nguya
Université Catholique de Louvain - Diplôme d'Etudes Approfondies 2004
  

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1.1.3. Désencastrement de l'économie dans les analyses de K. Polanyi

A travers son ouvrage, "La grande transformation"22 qui traite des origines politiques et économiques de l'effondrement de la civilisation du 19e siècle, ainsi que de la grande transformation qu'il a provoquée, Polanyi exprime une critique radicale du projet de société de marché. Il fait une analyse critique du libéralisme économique comme idéologie qui fait peser le risque sur la société toute entière. Le projet de cette idéologie, c'est de désencastrer la sphère économique du reste de la société et d'en faire un sous-système principal qui va subordonner tous les autres et accorder un primat aux relations des choses par rapport aux relations entre les hommes. Pour Polanyi23, l'économie de marché est un système commandé et réglé par le seul marché. D'après l'idéologie de ce système, les deux poles de la sphère économique a savoir l'allocation des ressources et la production et la distribution des biens et services doivent être confiés au système régulateur du marché, système gouverné par les prix du marché (Cf. La théorie de la main invisible).

21 Immanuel WALLERSTEIN, op. cit., p. 64. 22Karl POLANYI, La grande transformation, op. cit.

La thèse de Polanyi, c'est que l'idée d'un marché s'ajustant lui-même ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l'homme et sans transformer son milieu en désert24. Au lieu que l'économie soit encastrée dans les relations sociales, c'est plutôt ces dernières qui deviennent encastrées au système des marchés a travers le mobile du gain, le mobile de productivité, et le mobile de profit25. Cette réflexion rejoint l'analyse de M. Beaud qui affirme, en se basant sur les réflexions de Marx, Weber et Schumpeter, qu'"avec le capitalisme, l'économie se distingue fortement des autres dimensions des sociétés ; les motivations liées a la recherche du profit et les dynamiques d'accumulation, d'innovation, et d'élargissement de l'aire de la marchandise."26

Comme le mécanisme du marché s'enclenche sur les divers éléments de la vie industrielle a l'aide du concept de marchandise, le travail, la terre et l'argent doivent eux aussi être organisés en marchés et être considérés comme des marchandises. A travers la marchandisation du travail et du marché, on va permettre aux mécanismes du marché de régler les problèmes du social. Or, permettre au mécanisme du marché de diriger seul le sort des êtres humains et de leur milieu naturel, reconnaIt Polanyi, cela aurait pour résultat de détruire la société. Nous retrouvons a travers cette réflexion de Polanyi l'analyse de Wallerstein concernant la marchandisation des processus sociaux27. L'économie devenant désencastrée du reste de la société, le mobile de gain et de productivité dicte l'organisation de la société.

Pour Polanyi, un tel système implique que toute la production soit destinée a la vente sur le marché et que tous les revenus proviennent de cette vente. Il suppose l'organisation des marchés sur lesquels l'offre des biens disponibles a un prix donné sera égale a la demande au même prix. Il suppose également la présence de la monnaie, qui fonctionne comme pouvoir d'achat entre les mains de ses possesseurs. Enfin, souligne Polanyi, l'Etat et sa politique ne doivent rien permettre qui empêche la formation et l'organisation de ces marchés. Pourtant, argumente-t-il, le principe de la société pré-moderne est fondé sur l'accumulation pour la subsistance. Les différents acteurs vendent le surplus au marché dans lequel ils interviennent de manière complémentaire, sans détruire le système de base. Tous les systèmes économiques jusqu'à la fin de la féodalité étaient organisés suivant ces critères28. Le marché autorégulateur constitue un renversement du système de ces sociétés, c'est une chose nouvelle. Du 13ème au 15ème siècle, fait-il observer, le marché a toujours été local. On distinguait deux types de marchés qui coexistaient a

24Idem,p.22. 25Idem, p. 88.

26 Michel BEAUD, Le basculement du monde. De la Terre, des hommes et du capitalisme, La Découverte & Syros, Paris, 2000, p. 54.

27 "Les capitalistes ont cherché a marchandiser, dans leur recherche d'une accumulation toujours plus grande, des processus sociaux de plus en plus nombreux, dans toutes les sphères de la vie économique." Cf. Immanuel WALLERSTEIN, op. cit., p. 16.

28 Karl POLANYI, La grande transformation, op. cit., pp. 74-75 et 84-86.

savoir le marché local réglementé par les autorités gouvernementales et le marché au long cours qui s'est développé peu a peu, tel que développé par Braudel dans <<la dynamique du capitalisme >>. Le pouvoir capitaliste va développer ce marché intérieur autour de la politique mercantiliste ayant pour objectif la mobilisation des ressources. Comme stratégie pour faire aboutir ce projet, les marchands vont se liguer avec les Etats. Comme le fait aussi remarquer M. Beaud, "l'histoire montre que, lorsque le capitalisme prend racine dans un pays, il est fragile; il a besoin de l'Etat et de couches actives et entreprenantes de la société [...] Mais, au fur et a mesure qu'il prend force et ampleur, il fait preuve d'autonomie; il s'intéresse a d'autres marchés, recherche d'autres alliances, parfois d'autres soutiens; sa reproduction tend a s'autonomiser par rapport a celle de la société oü il s'est formé."29

Dans la démonstration de sa thèse, Polanyi montre comment les phénomènes économiques dans les sociétés primitives se trouvent touj ours imbriqués dans le tissu social. Le marché existe certes, mais ne détermine pas le système économique. Le gain, le profit existaient toujours dans ces sociétés dites traditionnelles mais n'ont jamais été si déterminants. Le fait nouveau du système qu'il a critiqué, c'est que le système économique soit dirigé par le marché.

A la fin du 1 8ème siècle et le début du 1 9ème siècle, les ouvriers se sont vus désintégrés totalement. C'était fonctionnel au système de marché, reconnaIt Polanyi. Cela est fort de deux conséquences, détruire les institutions traditionnelles et empécher que ces institutions se réforment. C'est une démolition systématique des communautés dites "traditionnelles", pour en extraire le travail. De méme, la première priorité des colonies, c'était de forcer les indigènes a vendre leurs forces de travail.

A partir du 1 9ème siècle, on observe des formes de misère, des formes de pauvreté liées a la concentration du prolétariat dans les villes. C'est une forme de paradoxe par rapport a l'idéologie du libéralisme qui prônait l'amélioration des conditions d'existence a travers la croissance économique. Déjà a cette époque, les nouveaux pauvres sont au c>ur méme du système. Polanyi va essayer de déconstruire le paradigme dominant. Il soutient, pour justifier sa position, que l'essentiel pour ces sociétés "traditionnelles", c'est le maintien des liens sociaux et communautaires essentiels. Bien que la société humaine soit naturellement conditionnée par des facteurs économiques, les mobiles des individus ne sont qu'exceptionnellement déterminés par la nécessité de satisfaire aux besoins matériels. Pour la survie de l'organisation dans ces sociétés, les membres de la communauté se doivent d'as surer les obligations de réciprocité qui permettent de consolider les liens sociaux a travers les principes de don et contre-don, de redistribution et de subsistance. A ce propos, M. Davis arrive, pour sa part, a affirmer dans son analyse sur l'histoire

du 19ème siècle que "la marchandisation de l'agriculture élimine la réciprocité villageoise traditionnelle qui permettait aux pauvres de subsister en temps de crise"30.

Signalons enfin que pour Polanyi, si la "Révolution industrielle" a apporté une amélioration "presque miraculeuse" des instruments de production, elle a par contre induit un bouleversement social et technique, accompagné d'une "dislocation catastrophique" de la vie du peuple. Pendant un siècle, la dynamique de la société moderne a été gouvernée par un double mouvement: le marché s'est continuellement étendu, mais ce mouvement a rencontré un "contremouvement" contrôlant cette expansion dans des directions déterminées. Ainsi donc, le "contremouvement" consista a contrôler l'action du marché en ce qui concerne les facteurs de production que sont le travail et la terre.

Nous retenons de cette sous-section que l'apport anthropologique de Polanyi, est d'avoir affirmé le rôle social de l'homme dans les processus de développement des sociétés. Dans sa tentative d'explications de l'effondrement de la civilisation du 1 9ème siècle, Polanyi n'a pas cherché une séquence convaincante d'événements saillants, mais une explication de leur tendance en fonction des institutions humaines. Pour la consolidation de la durabilité de ces sociétés détruites par le marché, il faudrait que l'économie soit englobée dans le social. Le problème de développement surgit dans la société dès que l'économie devient désencastrée de la sphère sociale.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore