4.3.3. Strategies d'acteurs populaires
Nous venons de faire mention des pratiques d'économie
populaire exercées par les ménages Gécamines dans ce
contexte de la crise. Ces activités d'économie populaire vont de
la survie a une reconstruction des liens sociaux a travers les réseaux.
Les acteurs individuels et collectifs de ces pratiques sont les travailleurs de
la Gécamines, leurs épouses, les petits paysans, les artisans et
les commercants, les hommes, les femmes et les jeunes qui vivent dans les
cités ouvrières de la Gécamines et dans l'espace des
villes minières. Ces acteurs populaires s'inscrivent dans des
stratégies innovantes tant dans les initiatives individuelles que dans
des organisations d'économie populaire de type associatif et aussi de
type coopératif.
Les familles ont mis en vente certains des leurs objets de
valeur pour se constituer un capital et se lancer dans les activités
économiques informelles. Tantôt c'est le chef de famille qui
octroie une part de son salaire aux membres de la famille pour la fructifier
dans la débrouillardise. Tantôt, les femmes recourent a des
stratégies associatives et d'épargne pour fructifier leur
capital. Par la stratégie associative, ce sont les associations
d'entraide mutuelle oü les membres se cotisent
168 Isabel YEPEZ et al., op. cit., p. 487.
169 L.A. TILLY et J.W. SCOTT, Lesfemmes, le travail et lafamille,
Coll. Histoire, Rivages, Paris, 1987, pp. 11-19.
hebdomadairement et l'association vient en aide a tout membre
nécessiteux dans les conditions fixées par les textes qui le
régissent. C'est une forme d'association qui réunit souvent ceux
qui pratiquent le commerce. Les stratégies d'épargne prennent la
forme de ristourne (tontines) oü les membres s'engagent a céder
alternativement un montant fixe que l'on attribue a un membre a tour de
rôle, selon une période déterminée a l'avance. En
plus de ces organisations, il s'observe aussi des associations qui
s'organisent, sous des formes institutionnelles des O.N.G. ou sous forme d'une
autre organisation a objectif de développement communautaire.
Il se dégage deux visions des réalités
qui se partagent l'espace fonctionnel des pratiques d'économie
populaire. D'un côté, nous avons les acteurs plus directement
engagés dans l'économie de marché et le capitalisme et
orientés vers la mondialisation : de nouvelles couches de cadres et de
gestionnaires. De l'autre, de nouveaux acteurs populaires appuyés par
des intervenants travaillant dans des ONG, évoluant a l'intérieur
de nouvelles instances de développement local et dans des organisations
(main-d'>uvre, groupes de femmes, groupes de jeunes, associations de petits
entrepreneurs, etc.)
Les pratiques populaires dans les cités
ouvrières reposent, comme nous l'avons signalé plus haut, sur les
dispositifs des réseaux, c'est-à-dire sur l'économie de
subsistance communautaire que nous pouvons appeler le "rez-de-chaussée"
de la société dans l'entendement de Braudel. Ce niveau contribue
a son tour a soutenir les réseaux économiques et sociaux
traditionnels en les transformant en circuits de petite production marchande,
rendant ainsi possible un processus d'accumulation. Cela signifie en d'autres
termes que le marché intérieur de survie a commencé a
s'insérer dans une économie de marché, a
l'intérieur de laquelle les proto-industries et les micro-entreprises,
dont une partie relève des organisations de type mutualiste et
coopératif, se consolident. L'analogie de cette structuration des
pratiques populaires avec l'édifice braudélien a plusieurs
étages illustre les relations entre les étages de la vie
économique et sociale. A la lumière de l'analyse de Braudel, il
est démontré que les acteurs du marché, sur une
période longue de l'économie, se sont d'abord constitués a
travers le système d'échanges d'une économie de
subsistance. C'est en regard a cette réflexion que nous avons
structuré les stratégies des acteurs populaires comme
schématisées dans le tableau n° 15.
Tableau n° 15: STRATEGIES DES MENAGES GECAMINES
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ARTICULATIO
DES TACHESFAMILIALES
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STRATEGIES D 'ACTEURS
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Capitalisme
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participation des membres de la famille
a l'entreprise familial
|
Production dans les ateliers, les usines,
les industries Surplus de production
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Economie d'échange
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participation des membres de la famille au salariat
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Echange de la force de travail contre
rémunération de subsistance
|
Civilisation matérielle
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division du travail en fonction des besoins
du ménage
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Auto-production pour la subsistance ou l'échange
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Il revient de retenir que les pratiques populaires des
ménages Gécamines ne peuvent pas être envisagées
comme une simple économie de la << débrouille >>
individualiste. Ce sont des pratiques qui assurent au contraire des services a
la communauté et qui ont servi d'amortisseur de la crise pendant les
temps durs de l'histoire de la Gécamines. Cette économie dans les
cités ouvrières s'est révélée doublement
populaire, d'une part parce qu'elle est familiale, de l'autre parce qu'elle
entretient avec la société et sa culture des relations
étroites.
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