4.3.2. La "cooperative familiale"
La cellule familiale est le creuset des stratégies qui
engendrent l'économie populaire. Par "coopérative familiale",
nous voulons mettre en exergue les renversements des rapports "Genre" et
l'établissement d'une nouvelle division de travail a l'intérieur
de la famille.
De manière générale, la contribution de
la femme congolaise au foyer et a l'économie diffère selon
qu'elle opère en milieu rural ou en ville. En milieu rural, peu de
choses ont changé depuis touj ours. La femme continue a assurer les ~ de
la production alimentaire du foyer, elle s'occupe du stockage des vivres, de la
transformation de la nourriture pour la survie de la famille et elle
commercialise la production sans toutefois disposer du revenu qui revient de
droit a son mari. Dans le milieu urbain par contre, la femme congolaise a
été pendant longtemps marginalisée,
165 Donatien DIBWE dia M., Bana Shaba abandonnés par
leurpère: Structures de l 'autorité et histoire sociale de la
Famille ouvrière au Katanga 1910-1997, op. cit., p. 147-150.
surtout par l'autorité coloniale qui l'a
reléguée au seul role d'auxiliaire ou de stabilisateur de la
main-d'>uvre masculine travaillant dans l'administration, les exploitations
minières et agricoles comme nous l'avons vu au chapitre
deuxième.
C'est ainsi que dans la philosophie de la politique
ouvrière des belges a l'U.M.H.K, la famille devait être prise en
charge par l'entreprise et la femme avait pour role de stabiliser le mari aux
fins d'amélioration de son rendement au travail et de servir de
mère pour la reproduction de la main-d'>uvre166. Avec
l'effondrement du système paternaliste et la manifestation de la crise
de régulation sociale a la Gécamines, les hommes qui
étaient hier les seuls principaux pourvoyeurs des revenus de
ménage voient leur role de pourvoyeur s'amenuiser au profit de celui des
femmes et des enfants. En effet, suite a l'irrégularité des
salaires, les épouses des travailleurs de la Gécamines se sont
engagées massivement dans les activités économiques
informelles pour assurer la survie du ménage. Elles se confirment comme
le moteur de la nouvelle économie en crise, et deviennent ainsi les
principaux pourvoyeurs de la subsistance de nombreuses familles.
Les épouses des travailleurs Gécamines ainsi que
leurs enfants reconquièrent alors le statut d'acteurs actifs au
ménage, au méme titre que le chef de ménage, travailleur
de la Gécamines. En concertation avec les membres de la famille, les
nouvelles tâches sont reparties entre l'épouse et les enfants pour
la création d'activités pouvant générer un revenu
et contribuer au budget du ménage. C'est l'instauration d'un
système familial participatif a la survie du ménage. Diverses
activités économiques sont ainsi entreprises par les femmes et
les enfants pour le compte du ménage. A titre illustratif, nous pouvons
citer l'activité dénommée le <<Handpicking>>
dans les cités ouvrières de Kolwezi consistant au ramassage dans
les installations et carrières des usines de la Gécamines, des
déchets des minerais en vue de leurs ventes auprès des fondeurs
artisanaux disséminés dans la ville. A Likasi, le projet
agropastoral de l'église catholique dénommée SHALAMO qui
encadre les travaux de champs et qui occupe en majorité les
épouses des travailleurs de la Gécamines de la cité PANDA,
etc. Les apports des épouses et des enfants dans les ménages
Gécamines ont été considérables pendant cette crise
caractérisée par les retards de paiement des salaires.
Ces épouses des travailleurs de la Gécamines ont
déployé toute une série de moyens différents pour
augmenter le revenu monétaire du ménage et pour construire et
entretenir des relations sociales, qualifiées par Yepez et al. d'une
<<socialité de réseau >>167 . Ces auteurs
notent
166 Donatien DIIBWE dia MWEMIBU, <<Les fonctions des
femmes africaines dans les camps de travailleurs de l'Union minière du
Haut-Katanga (1925-1960) >>, in Zaire-A~rique, février 1993, pp.
105-118.
167 Isabel YEPEZ, Sophie CHARLIER et Hélène
RYCKMANS, <<Relations de genre, stratégies des femmes rurales au
Sud et développement durable >>, in Frédéric
DEBUYST, et al. (Sous la direction de), Savoirs et jeux d 'acteurs pour des
développements durables, Population et Développement n° 9,
Louvain-la-Neuve, Académia-Bruylant, 2001, p. 486-487.
que les femmes africaines privilégient, lorsqu'elles
sont saisies par l'urgence du quotidien et lorsqu'elles s'inscrivent dans la
logique de survie, une articulation entre logique économique et logique
sociale. Elles saisiront aussi bien souvent les opportunités dans le
cadre collectif, de groupements ou d'associations168. Le rôle
joué par la femme dans le contexte de la crise qui frappe les pays en
développement est tellement considérable que le <<genre
>> devient incontournable dans la réflexion sur le
développement. L.A. Tilly et J.W. Scott fournissent une étude
aiguisée, par rapport a celle de Braudel qui n'en a pas fait mention
particulière, sur les stratégies familiales et sur
l'activité féminine comme élément de cette
stratégie169.
Ce renversement des rapports de "Genre" s'entend dans le
contexte de la culture africaine en ville oü la femme était
réduite au seul rôle de ménagère. Si elle pouvait
s'adonner a d'autres activités économiques, c'était dans
le but de suppléer au budget du ménage. Dans la situation
observée dans les cités ouvrières de la Gécamines
certes, l'activité de la femme se substitue au revenu principal du
ménage en période de non-paiement des salaires. Par ailleurs,
dans la culture occidentale, le travail que peut exercer un enfant s'inscrit
dans la logique de s'approprier l'argent de poche tandis que dans les
ménages Gécamines, l'enfant travaille pour participer au budget
du foyer. C'est donc cette nouvelle division de travail a l'intérieur de
la famille que l'on assimile a une "coopérative familiale". Quelles sont
alors les stratégies d'acteurs populaires dans les cités
ouvrières de la Gécamines?
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