3.2.3. La gestion des coüts de production a la
Gécamines
La province du Katanga qui abrite la Gécamines, est une
région défavorisée par son isolement au milieu du
continent africain, éloignée de tout port maritime. En outre,
elle dispose des sols lessivés, pauvres en chaux, en potasse et en
phosphore, non propices pour l'agriculture et pour l'élevage. C'est
ainsi que pour l'alimentation de la population ouvrière des mines,
l'entreprise devait se tourner vers des provinces dotées des
possibilités agricoles et disposant des voies d'évacuation moins
pondéreuses telle que les provinces du Kasal ou vers les pays
limitrophes. Du fait qu'une partie des salaires était
représentée par la ration comme vu au chapitre 2, les
denrées alimentaires de base pouvaient être
considérées comme des inputs marchandises et donc, des
éléments constitutifs du salaire. C'est donc là des
coüts d'exploitation que l'Union Minière du Haut-Katanga avait
déjà a incorporer dans sa politique sociale.
La gestion publique de la Gécamines depuis la
nationalisation de l'Union Minière du Haut-Katanga a induit a son tour
une augmentation des coüts d'exploitation. Si pour Mulumba L, cité
par Dibwe, la Gécamines a inauguré sa politique d'incorporation
en son sein des anciennes sociétés filiales de l'U.M.H.K. a
partir de 1972, pour L. Bosekota par contre," La Gécamines avait
été amenée - par des contraintes sociales, politiques et
régionales - a élargir ses activités dans des domaines
étrangers a son objet social en intégrant, voire en absorbant des
activités commerciales et industrielles telles des minoteries, des
projets agro-industriels, l'Hôtel Karavia, etc. ainsi que des
activités sociales et scolaires qui auraient plutôt dü
relever du secteur public."137 Il est évident que ces
activités annexées a la Gécamines accroissent ses
coüts d'exploitation. La pléthore du personnel dont a souffert la
Gécamines est aussi expliquée par ces annexions. Toutes ces
charges indirectes et hors-exploitation sont a incorporer dans le coüt
unitaire de production du cuivre. Or, la Gécamines est une "price taker"
dans le marché des matières premières. Le prix du cuivre
est
137 Leopold BOSSEKOTA W'ATSHIA, Rebâtir le Congo
démocratique. De la bonne gouvernance étatique et du role
clé des PME-PMI, Tome 1, Presses universitaires <<Bel campus
>>, Kinshasa, 1999, p. 59; MULUMBA Lukoji, "La Gécamines:
Programme d'expansion 1975-1979", Zaire-Afrique, no 93, 1975,p.
151.
une donnée du marché mondial pour laquelle elle
n'a aucune prise. L'idéal serait que la Gécamines fixe le prix de
vente de son cuivre en fonction des coüts supportés. La division
internationale du travail est encore loin de lui offrir cette aubaine.
A l'aube de la décennie 1980, sur le volet
stabilisation du programme gouvernemental s'articulait un programme des
réformes économiques et de restructurations de l'ensemble du
secteur public. Avec l'appui des facilités d'ajustements structurels du
F.M.I. et des prêts d'ajustement structurel octroyés par la Banque
mondiale, la Gécamines, dispositif central de l'économie
congolaise, alors zaIroise, fut soumise a toute une série d'importantes
mesures dont l'objectif annoncé était d'améliorer la
rentabilité et le renforcement de ses structures industrielles et
financières. La stratégie du gouvernement a consisté a
dissocier l'exploitation minière de la Gécamines des autres
activités ne rentrant pas dans son objet social. C'est dans cette
logique qu'il faut, par ailleurs, lire les mesures de restructuration de la
Gécamines dans les années 1980138. A moyen terme, la
réalisation du plan d'investissement devait assurer l'abaissement
permanent des coüts unitaires de la Gécamines et l'accroissement de
sa production.
Durant la même décennie 1980, le prix du cuivre
commence a fléchir, et la Gécamines apparaIt paradoxalement moins
solide. A partir de 1987 par exemple, la hausse sensible du prix du cuivre et
du cobalt aurait dü très largement améliorer la
rentabilité de l'entreprise. Des avis des experts congolais de Belgique,
des anomalies sont constatées dans la gestion de la Gécamines
dans la deuxième moitié de la décennie 1980. "De 1984 a
1986, la GécaminesExploitation produit a sa capacité maximale de
production et même au-delà, malgré un outil vieilli. En
revanche, de 1987 a 1989, au moment même oü devait se faire sentir
les premiers effets bénéfiques des investissements de
remplacement projetés, la production de cuivre diminue de 13 %, celle de
cobalt de 35 %. La rentabilité diminue sensiblement alors que s'envolent
les prix du cuivre et du cobalt."139 Pour Maton et Solignac, des
rapports confidentiels, connus de la Banque Mondiale, parlent de <<fuites
>> des actifs et des ressources, qui seraient distribués parmi la
cour de
Mobutu140.
La gestion des coüts unitaires de production explique
pour une large part les contreperformances de la Gécamines qui se
répercutent sur tout son environnement tant interne qu'externe. C'est ce
qui entre autre explique la suspension par la Banque mondiale au mois de mai
1990 du prêt a décaissement rapide de 100 millions de dollars
destiné a la Gécamines, en raison des dépenses
inexpliquées141.
138 Dans cette restructuration, on retirait a la
Société zaIroise de commercialisation (SOZACOM) le pouvoir de
commercialiser librement les produits de la Gécamines, laquelle devenait
un holding.
139 Rapport du groupe d'expertise congolaise de Belgique, op.
cit., p. 29.
140 Joseph MATON et Henri-Bernard S. LECOMTE, op. cit.
141 Rapport du groupe d'expertise congolaise de Belgique, op.
cit., p. 30.
Les logiques des acteurs nationaux ainsi que les
stratégies qu'ils mettent en place dans la lutte effrénée
des gains privés au détriment de la chose publique, justifient
pour une très large part la crise de l'accumulation a la
Gécamines et par voie de conséquence, le blocage du
développement du Katanga. Quels que soient les griefs que l'on peut
brandir en défaveur du système de l'économie
internationale, sa responsabilité n'arrive pas a la cheville de la
destruction systématique dont les nationaux ont été
acteurs. Les implications de la prédation par le pouvoir étatique
sur la Gécamines ont exacerbé la mauvaise gestion de l'entreprise
par des acteurs locaux. En conséquence de ces actions, les outils
vieillissent, les achats opérés par l'entreprise sont
surfacturés, ses ressources sont détournées, son
organisation devient défaillante et l'entreprise n'est plus en mesure de
respecter ses engagements.
En moins d'un quart de siècle, les acteurs nationaux
ont démantelé l'investissement que l'U.M.H.K. a accumulé
pendant près de 65 ans. Au passif de cet effondrement de l'industrie
minière du Katanga, il faut mentionner l'appauvrissement de la masse
ouvrière qui a concouru pourtant au progrès dont a joui
l'économie nationale et l'enrichissement de quelques acteurs dominants
du système.
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