3.2. PROBLEMATIQUE DE LA RENTE MINIERE DE LA
GECAMINES
Contrairement a d'autres pays qui sont parvenus a se
développer a partir de leurs minerais, la République
Démocratique du Congo n'a pas pu profiter des siens. Le role de
l'industrie minière était demeuré et demeure encore celui
de fournisseur de matières premières a l'industrie occidentale
bien que le pouvoir public y ait dü bénéficier des
infrastructures et des revenus non négligeables. Les expansions
considérables du niveau des forces productives de l'industrie
minière n'ont pas correspondu avec le développement du Congo. En
plus, les rapports qui s'établissent dans le partage du surplus
économique croissant entre les acteurs impliqués dans le
processus de l'accumulation a la Gécamines déterminent la nature
de gestion de la rente minière générée par les
exportations de cette entreprise.
Pourtant, dans l'explication du blocage de la croissance et,
par voie de conséquence, leur développement, les acteurs
nationaux ont eu a évoquer l'instabilité des cours des
matières premières. Par ce fait, ils se sont
évertués a incriminer pour une large part les modes
d'exploitation dont ils sont l'objet de la part de l'impérialisme a
travers la division internationale du travail, l'échange inégal,
donc a travers la dépendance et la domination. Pour le Congo, il nous
semble - dans les limites qui nous sont imposées par nos connaissances
et par la disponibilité des informations - que les acteurs nationaux
soient plus responsables de l'échec de l'industrialisation
minière que ne le paraisse le système impérialiste. Nous
tentons d'établir cette controverse dans les sous-sections qui
suivent.
3.2.1. Instabilité des recettes d'exportations
Quand on évoque l'instabilité des recettes
d'exportations, on fait souvent allusion aux fluctuations des cours des
produits de base par rapport aux prix des produits manufacturés. L'une
des premières analyses complètes qui a été
élaborée pour rendre compte des blocages du développement
par l'échange international est connue sous le nom de la
<<théorie de la dépendance et de la domination >>.
Pour ses partisans tels S. Amin, C. Furtardo, A. Gunder Franck, etc. , les
modalités de l'échange international qui échappent aux
pays exportateurs, contribuent au renforcement de la division internationale du
travail, a un accroissement des inégalités internationales et a
la dépendance des pays en développement. Avec le commerce
international, les pays du Tiers monde ne tirent pas d'avantages et ils
s'appauvrissent avec la croissance puisqu'elle entraIne une baisse de leurs
revenus réels percus a l'exportation. La théorie de la
dépendance et de la domination a pour point de départ
l'idée de la dégradation des termes de l'échange des pays
du Tiers-Monde. Cette thèse, controversée d'ailleurs, stipule que
"les pays du Tiers monde exportent des matières premières dont
les cours ne cesseraient de se dégrader alors qu'ils importent des
produits manufacturés dont les prix ne cessent de
monter."114 D'oü, la perte du pouvoir d'achat des recettes
d'exportation de ces pays. C'est donc considérer, dans la logique des
tenants de cette thèse, que si le développement n'a pas suivi la
croissance dans les pays en développement, c'est a cause de
l'exploitation et de la domination dont ces pays sont sujets de la part des
pays développés. La tendance a la dégradation des termes
de l'échange peut se lire a travers le tableau ci après:
Tableau n° 6 INDICE DES TERMES DE L'ECHANGE (1980 = 100)
|
1960
|
1965
|
1970
|
1975
|
1981
|
1986
|
1989
|
1995
|
2000
|
Pays développés
|
117
|
120
|
122
|
109
|
98
|
110
|
112
|
115
|
110
|
PED
|
45
|
40
|
38
|
73
|
109
|
71
|
74
|
70
|
74
|
PED exportateurs depétrole
|
21
|
19
|
18
|
59
|
118
|
53
|
55
|
48
|
80
|
PED exportateurs deproduits manufacturés
|
120
|
123
|
124
|
136
|
99
|
94
|
91
|
-
|
-
|
Pays les moinsavancés
|
115
|
104
|
107
|
100
|
94
|
92
|
83
|
-
|
-
|
Source: CNUCED, Manuel des statistiques du commerce
international et de développement.
Il ressort de la lecture du tableau ci-dessus que pour les
pays développés, les termes de l'échange sont relativement
stables jusqu'au choc pétrolier de 1973 et ils ont repris leur
stabilité avec le contre-choc pétrolier de 1985-1986,
reconnaissent certains auteurs. Par contre, pour les pays en
développement dans leur ensemble, la dégradation des termes de
l'échange est visiblement observable. Néanmoins, il importe de
noter que cette dégradation n'est réellement perceptible en
termes clairs qu'à partir de la décennie 1980. Avec une
pertinente analyse, on va bien se rendre compte que cette dégradation
des termes de l'échange n'était pas déterminante avant
1980 pour que ça explique le blocage des pays en développement
exportateurs des matières premières comme on en a fait mention.
Par ailleurs, il faut distinguer dans leur bloc les pays exportateurs de
pétrole, les exportateurs des produits manufacturés et des
exportateurs des matières premières autres que le pétrole.
Les situations dans ce bloc des pays en développement sont a distinguer
en fonction de la nature de la matière qui est exportée. Les
disparités en revanche sont très fortes entre les pays
producteurs de pétrole et les autres pays non-pétroliers.
La these de la dégradation des termes de
l'échange des produits primaires a été
intégrée dans une analyse plus large de la dépendance
structurelle extérieure. Plusieurs autres analyses reprirent sous une
autre formulation les themes de l'inégalité des rapports de force
sur le marché mondial liée a la spécialisation des
partenaires commerciaux. En termes clairs, les argumentations de la these de la
dépendance et de la domination, surtout en sa version de modèle
centre-périphérie, est une lecture socio-politique des faits, qui
ne se justifient toujours pas en termes d'une lecture économique.
Plutôt que de mettre l'accent sur une baisse
généralisée des cours des matières premieres, leur
instabilité semble être la regle. Ces cours sont soumis a des
fluctuations liées aux processus d'ajustement de l'offre et de la
demande115. Signalons aussi que des effets pervers tels que
l'apparition de nouveaux producteurs ou l'utilisation des produits de
substitution par les pays acheteurs peuvent aussi faire fluctuer ces cours des
matières premieres a la baisse.
Concernant l'évolution des prix du cuivre (Fig. 7), ces
derniers sont en général restés en dessous de leur niveau
de 1972-74 ( 9.683,80 US $/tonne en mars 1974). D'une manière
générale, les recettes d'exportations de la Gécamines, et
donc de l'Etat congolais, sont profondément affectées par ces
chutes des cours eu égard a la structure économique du Congo.
Lors de son discours d'ouverture a la Réunion du Groupe Consultatif sur
le ZaIre, Sambwa P. déclarait: <<Le ZaIre a enregistré une
dégradation des termes de l'échange de 24 % en 1986 [...] Cela
correspond a une moins-value de ses recettes d'exportations estimée a
400 millions de dollars, une somme égale a la moitié des recettes
de l'Etat >>1 16 . ~ l est bien clair que pour une
économie basée sur les exportations des matières premieres
telle que l'économie congolaise, une fluctuation en termes de baisse des
cours est une conjoncture difficile a gérer 117 tant pour la
gestion de l'entreprise exportatrice que pour les finances publiques.
115 Par l'offre, on explique la dégradation des termes
de l'échange en fonction des valeurs ajoutées aux produits de
base qui sont inférieures a celles des produits manufacturés. Par
la demande, cette analyse se fonde sur la loi d'Engel, surtout pour les
produits agricoles, qui veut qu'au fur et a mesure que les prix montent, on
passe des produits moins élaborés a ceux bien
élaborés. D'oü, la supériorité de la demande
des produits manufacturés sur celle des produits de base. Par les
rapports des pouvoirs au sein des marchés (là on fait allusion
aux multinationales qui gèrent les parts des marchés),
l'explication se base sur les rapports des forces entre les firmes productrices
et les entreprises qui commercialisent.
116 Discours d'ouverture du Citoyen SAMBWA P1DA B.
(Commissaire d'Etat au Plan), Groupe Consultatif sur le Zaire, paris, 2 1-22
mai 1987, p. 11.
117 A la premiere moitié de la décennie 1980, le
Congo / Zaire tirait l'essentiel de ses revenus des exportations de cuivre, du
pétrole brut, du diamant, du cobalt et du café. Ces cinq postes
constituaient 91, 5 % des exportations en 1983 et le cuivre seul
représentait 51,2 %. Cf. Zaire Economic Memorandum, R. no. 5417-ZR, p.
83.
Figure 7: COPPER AND ECONOMIC CYCLE 1971-2003
![](menages-gecamines-precarite-economie-populaire12.png)
6 000
4 000
Real Copper Price (LHS)
10000
8 000
2 000
0
janv 71 juin 76 nov 81 avr 87 sept92 févr 98 juil
03 Source: London Metal Exchange (LME), The Metals Seminar, 2003.
Au regard de la 2igure ci-dessus, bien que la tendance
décroissante des cours de cuivre en longue période soit
démontrée, remarquons que les pointes de la courbe (2luctuations
en termes de hausses des cours de cuivre) correspondent quelque peu avec des
périodes oü la Gécamines a produit a sa capacité
maximale. Soit le tableau 5 ci-dessous qui présente ces
correspondances.
Tableau n° 5: COURS DE CUIVRE ET PRODUCTIONS DE LA
GECAMINES
|
Cours de cuivre (US $/t)
|
Productions de cuivre a la Gécamines (en tonnes)
|
1974
|
9 683,80
|
499.699
|
1975
|
3 510,00
|
495.944
|
1980
|
5 715,40
|
425.700
|
1987
|
3 515,60
|
494.109
|
1989
|
4 097,60
|
440.848
|
Sources: London Metal Exchange (LME), 2003, The Metals
Seminar et pour les productions de la Gécamines, voir annexe 3.
Par conséquent, le cuivre représentant plus de
la moitié des recettes d'exportations du pays, il se dégage
logiquement une croissance des recettes d'exportations et, implicitement, des
recettes budgétaires pour l'Etat congolais (2ig. 8). Cependant, comment
s'est effectuée la redistribution des revenus supplémentaires
lors de ce boum du cuivre? Comment les ressources ont-elles été
utilisées? De telles préoccupations nécessitent une
lecture inverse a celle de modèle de centrepériphérie
oü tout dépendait de l'articulation internationale dans
l'explication du blocage des pays
en développement, exportateurs des produits de base.
C'est donc une lecture en termes des stratégies d'acteurs qui devient
pertinente pour comprendre comment le problème de la redistribution des
revenus engendre le problème du pouvoir, le problème du capital
humain dans la majorité des pays en développement, rentiers des
produits de base.
Figure 8. EXPORTATION DE MINERAIS 1965-95 (en milliers de
dollars)
![](menages-gecamines-precarite-economie-populaire13.png)
Source: MATON Joseph et Henri-Bernard SOLIGNAC LECOMTE, "Congo
1965-1999, les espoirs décus du <<Brésil africain
>>", op. cit.
En référence aux distorsions observées au
Congo par rapport aux périodes des hausses des cours du cuivre et des
effets de cette rente sur les revenus des populations et sur
l'infléchissement des autres secteurs de l'économie, pouvons-nous
affirmer que le Congo démocratique ait souffert de ce qu'on a
nommé le "syndrome hollandais"118 et qui du reste, aurait
rendu la diversification plus difficile? A notre avis, nous pensons que non.
Les études empiriques effectuées dans des pays africains se
positionnant dans des conditions quelque peu identiques a celles du Congo ont
démontré que ce mal n'est pas aussi répandu qu'on pourrait
le penser119. J-Ph. Koutassila est arrivé a conclure que la
non-articulation de l'économie des pays africains, le role stabilisateur
de l'économie populaire, l'importance de l'autoconsommation sont autant
d'éléments
118 Suite a un choc exogène positif, l'arrivée
des devises entraIne par le jeu de <<l'effet dépense>> une
appréciation du taux de change réel qui provoque a son tour une
baisse du volume de la production et des exportations traditionnelles. Lorsque
la phase d'expansion du secteur en boum se tasse ou disparaIt, e processus
précédemment décrit s'inverse grace, là aussi, aux
mouvements des prix relatifs.
qui évitent aux éconornies africaines de
connaItre des hausses excessives et généralisées des prix
intérieurs en cas de bourn du secteur d'exportation. D'oü, la
difficulté de la transplantation du rnal hollandais dans la
réalité des éconornies de la plupart de pays africains.
En rapport avec l'utilisation des revenus extérieurs
consécutifs au bourn du secteur rninier d'exportation en R.D.C., il
s'avère que le lien entre l'expansion de ce secteur rninier
consécutive aux périodes de hausses de cours (1973-74, 1979-80 et
1987-89) et la régression de l'autre secteur d'exportation
traditionnelle, a savoir le secteur agricole, n'est pas facile a
établir. En plus, la régression du secteur agricole d'exportation
est antérieure a ce bourn du secteur rninier. Déjà, entre
1960 et 1965, "l'affaiblissernent du pouvoir d'Etat avait entraIné dans
les carnpagnes un vaste rnouvernent de retour a l'autosubsistance et d'abandon
des cultures cornrnercialisées d'exportation et, parfois rnêrne,
des produits vivriers"120. Par conséquent, la faible
diffusion des effets d'entraInernent du secteur rninier
d'exportation121 sur le reste de l'éconornie n'induit pas une
appréciation durable des prix relatifs qui pourrait justifier les
rnécanisrnes du "syndrome hollandais" au Congo dérnocratique.
Reconnaissons toutefois que l'introduction du Congo dans les
circuits de l'échange international lui a fourni une série
d'occasions de croissance et de décollage éconornique.
Malheureusernent, les acteurs nationaux dorninants n'ont pas saisi
l'opportunité qui leur avait été offerte par la
conjoncture internationale lors des hausses des cours du cuivre pour
diversifier la structure de la base productive ou pour transforrner ce surplus
en un rnouvernent curnulatif. Quand bien rnêrne, l'accroissernent des
recettes d'exportation en périodes de hausse des cours des
rnatières prernières n'est pas susceptible d'induire une
diversification de la base productive des pays du Tiers-Monde122, il
convient d'adrnettre que les logiques et les stratégies des acteurs
nationaux dans la gestion des revenus d'exportation aient une part de
responsabilité considérable pour justifier les
contre-perforrnances de la Gécarnines et le gaspillage de la rente
rninière qu'elle a générée.
D'oü l'opportunité, toujours dans la quête
de l'explication de la relation problérnatique entre accurnulation et
développernent au Katanga, de faire une autre lecture. Il s'agit d'une
approche en terrnes des stratégies d'acteurs irnpliqués dans le
processus d'accurnulation a la Gécarnines.
120 J~an-Ma~i~ WAUTELET, "L'agriculture, un enjeu oublié",
in F. IBEZY, J-Ph. PEEMANS et J-M. WAUTELET (éds), op. cit., p. 115.
121 Ce type de croissance a donné naissance a la
théorie d'éconornie d'enclave. Toutefois, cette notion est a
nuancer dans le cadre de l'industrie rninière au Katanga. Cf. NYEMIBO
Shabani, op. cit., pp. 126-132.
122 Pour les partisans de la théorie de la
dépendance, la richesse, par le jeu de l'échange, s'accurnule
donc au centre, rnêrne si elle est produite a la
périphérie. Dans ce contexte, l'accroissernent des recettes
d'exportation en périodes de hausse des cours des rnatières
prernières est cornrne une situation conj oncturelle qui n'est pas
susceptible d'induire une diversification de la base productive des pays du
Tiers-Monde.
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