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Ménages Gécamines, précarité et économie populaire

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par Didier Kilondo Nguya
Université Catholique de Louvain - Diplôme d'Etudes Approfondies 2004
  

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2.3.2. Le démantèlement de la structure socio-économique héritée de la colonisation 1975-1989

Il vient d'être établi dans la sous-période qui précède que le Congo a adopté le modèle d'accumulation extravertie basé sur les recettes d'exportation du cuivre. A partir de 1974, les contradictions de ce modèle éclatent. La détérioration des termes de l'échange et les contradictions internes de gestion de la rente minière expliquent cet éclatement comme nous le développons au chapitre 3 qui traite de la relation problématique entre accumulation a la Gécamines et développement au Katanga.

L'effondrement des recettes d'exportation minière se répercute sur le budget de l'Etat eu égard a la prédominance de la contribution de la Gécamines dans ce dernier. Le financement monétaire de ce déficit budgétaire (80 % de l'ensemble des recettes ordinaires en 1976) se traduit par une accélération vertigineuse de l'inflation. Cette dernière traduit a son tour toute une série de pénuries liées a la baisse de la capacité d'importation et a la baisse de la production agricole due elle-même a la désorganisation des circuits de commercialisation traditionnels. C'est un effondrement de la production dans la plupart des secteurs d'activité comme le montre le tableau n° 4 ci-dessous. En 1979, le secteur productif (de 1 a 6) correspond a son niveau de 1969 tandis

fonctions. Cf. "Le coup d'envoi de la stabilisation", dans Horizons 80, n° 88, Hebdomadaire zairois d'information économique, du 10 au 17 janvier 1976, pp. 6-8.

que le P11B commercialisé ne représente plus que le niveau atteint en 1970. Le secteur des services se démarque du secteur productif, sauf qu'il connaIt lui aussi une tendance relative a la baisse.

Tableau n° 4: EVOLUTION DE LA VALEUR AJOUTEE DES DIFFERENTES BRANCHES D'ACTIVITE AU ZAIRE (1968 = 100)

 

1969

1970

1974

1975

1979

1. Agriculture commercialisée

98,2

106,6

120,5

112,9

104,3

pour l'exportation

91,3

101,4

89,1

70,2

67,6

pour le marché intérieur

105,7

119,3

175,8

174,9

131,0

vivirère

103,8

108,8

134,4

136,0

133,7

2. Industrie minière et métallurgique

107,4

113,8

134,7

130,4

105,8

cuivre

111,7

118,8

150,8

149,2

120,0

cobalt

101,9

134,2

168,3

131,1

135,8

3. Industrie manufacturière

112,2

134,4

175,4

159,7

118,2

consommation

110,9

135,2

189,3

165,6

125,9

approv. et équipements

113,2

135,8

159,8

160,4

114,6

raffinage de pétrole

117,8

122,2

126,4

111,7

73,7

4. Bâtiments et travaux publics

130,8

187,7

244,0

242,1

146,4

5. Electricité et eau

112,2

121,6

131,3

142,5

162,8

6. Transports et communications

107,8

115,7

139,5

125,4

90,1

7. Secteur productif (1 a 6)

107,5

118,8

143,0

135,3

107,4

8. Commerce

112,8

134,4

179,6

165,6

134,0

surproduits importés

116,8

150,3

220,9

174,3

51,8

surproduitslocauxetmanuf.

111,2

128,2

169,1

154,7

115,5

sur produits locaux agricoles

-

-

165,2

166,5

185,6

9. Services (a)

106,6

115,2

146,6

137,5

141,0

institutions financières

120,2

144,2

210,4

132,4

87,7

autres services

109,5

123,4

155,6

138,6

91,9

services de l'Etat

102,4

106,1

134,9

137,8

180,6

10. Services (total) (8 a 9)

108,4

121,0

156,7

146,2

138,7

11. Fiscalité indirecte

131,3

135,0

112,5

104,8

177,4

12. PIB Commercialisé (p.m.)

 
 
 
 
 
 

(7 + 10 + 11)

109,6

120,7

146,5

137,8

122,9

13. Produit intérieurbrut

109,1

119,6

144,0

136,6

123,7

(a) = y compris production bancaire imputée

Source: F. BEZY, J-Ph. PEEMANS et J-M. WAUTELET (éds), Accumulation et sous-développement au Zaire 1960-1980, op. cit., p. 215.

Dans ce contexte de crise, les diverses fractions de la petite bourgeoisie et commercante ont mené une lutte sans merci pour tenter de préserver leur position. Les classes populaires et urbaines sont les plus affectées par cette crise et l'on assiste a une baisse de salaire réel. Déjà a Kinshasa et dans d'autres provinces, l'économie populaire réinventée fait preuve d'un dynamisme irréfutable. A Lubumbashi, par contre, elle ne réapparaIt de manière intense et significative que vers les années 1980 suite aux effets contraignants de la crise économique. De

tous temps, les villes minières étaient protégées de la crise grace a la rente minière et au paternalisme appliqué par l'industrie, alors puissantes entreprises100.

Dans le Haut-Katanga, alors Haut-Shaba, la situation de l'industrie minière a la fin de la décennie 1970 est marquée par une nette amélioration de la conjoncture en termes réels. Pour J.-

M. Wautelet, le boom du cobalt constitue pour la Gécamines un ballon d'oxygène dont l'importance ne doit pas faire surestimer la durée probable. Quoi qu'il en soit, note-t-il, les circonstances favorables qui se dessinent a la fin de la décennie 1970 ne permettront a la Gécamines de résoudre ses problèmes et mener a bien son programme de développement que si les dirigeants du régime cessent de gérer son patrimoine comme s'il était leur budget personnel101. Cette prédiction, a valeur prophétique, se réalisa au cours de la décennie 1980 après une fragile reprise en main politique marquée par une certaine stabilisation de la situation économique.

Depuis les années 1980 en effet, les ajustements structurels du F.M.I. ont été appliqués au régime de Kinshasa, comme dans plusieurs autres pays africains et pays en développement, et lui ont imposé une orthodoxie dans la gestion budgétaire et des finances publiques. L'imposition de cette ligne a suivre s'est répercutée dans l'amenuisement de la capacité du régime Mobutu relative a la logique de redistribution néo-patronale qui caractérisait la gestion de la nation. Le régime s'est retrouvé dans des difficultés pour poursuivre le clientélisme qui a soutenu le pouvoir deux décennies durant. En plus du démantèlement de l'Etat centralisateur, le régime Mobutu affaiblit, ne sait plus ni étouffer les tensions tribales latentes, ni résister a des révoltes politiques urbaines qui atteindront le paroxysme dans la décennie 1990.

Certes, les réformes de libéralisation économique entreprises depuis 1983 eurent des effets bénéfiques sur le secteur privé, étranger et national. Tout comme le salaire réel dans le secteur privé qui a vu un certain relèvement de son niveau. Par contre dans le secteur public, on assiste a un effondrement de l'emploi. Les mesures de libéralisation aboutissent au renforcement, dans les années 1980, de la tendance déjà observée entre 1960 et 1980, c'est-à-dire l'augmentation relative du commerce par rapport aux activités productives intérieures102. De cette situation découle une dépendance accrue aux importations, nécessitant la disponibilité des devises. Si la Gécamines, principal exportateur du pays, absorbe pour son fonctionnement 45 % des importations du pays, il s'ensuit une problématique d'obtention des devises pour toute l'économie dès que les possibilités d'importations sur ressources propres diminuent. C'est ce qui sera observé a partir de

100 Pierre PETIT (éd.), Ménages de Lubumbashi entreprécarité et recomposition, op. cit., pp. 187-196 et p. 229.

101 Jean-Marie WAUTELET, "L'industrie minière et manufacturière", in F. BEZY, J-Ph. PEEMANS et J-M. WAUTELET (éds), op. cit., pp. 186-188.

102Jean-Phi~ippe PEEMANS, Le Congo-Zaire au gré du XXème siècle, op. cit., pp. 270-277.

1986 lorsque les recettes d'exportation retombèrent a un niveau <<normal >> par rapport aux années précédentes de la décennie.

Au niveau de la Gécamines, ces réformes se sont traduites par l'élaboration d'un plan quinquennal d'investissements et par la restructuration organisationnelle. Dans cette restructuration, la Gécamines devenait un holding, une société ayant nominalement sous son contrôle trois 2iliales autonomes notamment la Gécamines-Exploitation, la GécaminesCommerciale et la Gécamines-développement. Dans l'esprit de l'ordonnance portant restructuration de la Gécamines, toutes les activités qui ne rentraient pas directement dans l'objet social devraient être dissociées de l'exploitation minière a2in de réduire les coüts d'exploitation de la Gécamines. A moyen terme, la réalisation du plan d'investissement devait assurer l'abaissement permanent des coüts unitaires de la Gécamines et l'accroissement de sa production.

Tableau n° 5: EVOLUTION DES PRINCIPAUX INDICATEURS DE GESTION

AU 31 DECEMBRE 1989

N.B. : Tous les tonnages cités sont exprimés en tonnes métriques Source : Gécamines, Rapport annuel, 1989.

Le tableau n° 5 ci-dessus traduit le niveau d'activité de la Gécamines au cours de la décennie 1980. De 1987 a 1989, nous constatons que le prix moyen de réalisation du cuivre a quintuplé tandis que celui de cobalt a triplé. A partir de 1986, la tendance de la production est plutôt décroissante. Cette chute de la production de la Gécamines est imputable au vieillissement de ses outils et a la non-maItrise des coüts d'exploitation pour des raisons diverses tel que nous le verrons au chapitre 3.

De cette analyse, il découle que le capitalisme congolais s'est avéré embryonnaire, dépendant très fortement des forces extérieures. Ce qui le rend fragile dès que les bailleurs de fonds éternuent. Les contradictions du système n'ont pu, comme dans le cas du système colonial, créé un dynamisme interne a méme d'as surer la continuation de l'accumulation. Sa dépendance financière et technologique constitue un goulot d'étranglement en aval, tandis qu'en amont c'est la décomposition des structures de la société traditionnelle, particulièrement dans les campagnes qui freine son expansion. Ce démantèlement des structures socio-économiques héritées de la colonisation ouvre grandement la porte a la prolifération d'activités de production et d'échange entreprises par les masses populaires en ville et dans les campagnes.

La masse ouvrière de la Gécamines n'en reste pas moins épargnée depuis la désarticulation de l'entreprise dans le contexte de la crise généralisée de l'économie congolaise. Les syndicats des travailleurs qui devaient véhiculer les revendications de la base sont eux aussi en pleine crise de fonctionnement. Le problème salarial et le coüt élevé de vie furent a l'origine de deux tentatives de grève vite réprimées par l'employeur, puisque la liberté syndicale était confisquée par le système dictatorial dans le contexte du parti-Etat. J. Vanderlinden parle méme de la fin du syndicalisme zaIrois au sens traditionnel du terme103. Dans un tel système d'accumulation, la masse ouvrière ne sait plus exprimer ses mécontentements que par voie de sortie ou plutôt, elle se contente d'une résistance latente car la voie de dénonciation est désormais étouffée. D'oü la manifestation d'une auto-prise en charge des travailleurs a travers les pratiques d'économie populaire dans les cités ouvrières comme nous l'analysons dans le chapitre 4 qui traite des pratiques populaires dans les cités Gécamines.

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