2.3. LE KATANGA DE L'APRES INDEPENDANCE 1960-1989
Parmi l'héritage de la colonisation belge au Congo, il
faut mentionner les infrastructures socio-économiques mais au prix des
contradictions structurelles constituant des goulots d'étranglements au
processus de développement et a l'accumulation du capital, nous venons
de le voir. La nouvelle république indépendante se trouve
être gérée par des nouveaux acteurs politiques
modelés par la colonisation. Par conséquent, le paysage du
développement et les
logiques et stratégies de ces acteurs en présence
seront intimement liées a l'héritage de la pratique coloniale.
L'émergence de nouvelles classes politiques se heurtant
a l'incohérence qui traduit la non-maItrise de gestion des bases
institutionnelles et des infrastructures léguées par la
colonisation, conduit le pays a une dislocation successive de ces
différents construits. C'est dans ce contexte qu'il est
compréhensible de cerner le conflit entre espace politique et espace
économique qui surgit au Congo indépendant lors de la
sécession de la province du Katanga93, privant ainsi le
pouvoir central de tout contrôle des finances publiques. Les
conséquences structurelles de cette désintégration de
l'Etat sont la perpétuation des relations de pouvoir entre le capital
étranger et la petite bourgeoisie bureaucratique, l'incapacité de
l'Etat congolais d'assurer la maintenance du système de transport qui
acheminait le surplus agricole vers les cités et la côte et qui
liait les marchés ruraux aux industries urbaines et, enfin,
l'incapacité de l'Etat de collecter normalement les impôts et de
réduire, corollairement a cet amenuisement des ressources publiques, les
dépenses publiques94. Le déséquilibre
budgétaire qui en résulta alimente l'inflation qui empire la
dégradation des conditions de vie des masses populaires.
Cette désintégration de l'Etat et la
fragmentation structurelle qui s'en découle vont entraIner une
<<gouvernance >> fondée sur la redistribution
clientéliste entre les hommes proches du pouvoir au détriment de
l'intérêt général. Par conséquent, des
inégalités a l'intérieur d'un revenu national qui se
contracte s'accroissent. Ces aspects sont déterminants dans la
compréhension des processus historiques de développement du
Congo.
2.3.1. Vers la nationalisation du capital étranger
1960-1974
La période 1960-65, émaillée de troubles
politiques au lendemain de l'indépendance du Congo, constitue une
période paradoxalement dynamique qui traduit une désarticulation
et une restructuration de l'espace économique et social
hérité de la colonisation. D'une part, la période est
marquée par une modification du poids relatif des différents
agents économiques et un changement dans leur participation aux circuits
de production et d'échanges. D'autre part, ces changements
économiques recouvrent de profondes tensions sociales. C'est enfin une
période de remise en cause de l'équilibre du modèle
socio-économique colonial.
93 Les ambitions démesurées de certains
politiciens congolais et les convoitises internationales ont plongé le
Congo dans un chaos indescriptible au lendemain de son indépendance.
C'est dans ce contexte que MoIse TSHOMBE a instigué la création
de l'Etat Indépendant du Katanga, le 11 juillet 1960. Cf. Romain
YAKEMTCHOUK, Aux origines du séparatisme katangais, Académie
Royale des Sciences d'Outre-mer, Mémoires in-8, Tome 50, fasc. 1,
Bruxelles, 1988; J. GERARD-LIBOIS, Sécession au Katanga, Les
études du C.R.I.S.P., C.R.I.S.P./ I.N.E.P.,
Bruxelles/Léopoldville, 1963.
94 Cette analyse est bien développée dans
Jean-Marie WAUTELET, "Pouvoir d'Etat et formation du capital", in F. BEZY,
J-Ph. PEEMANS et J-M. WAUTELET (éds), op. cit., pp. 52-57.
Par rapport a la période coloniale, la période
1960-65 est caractéristique d'un reclassement important des
différents intéréts coloniaux: pendant que les grandes
entreprises étrangères conservent largement leur ancienne
position, le petit et moyen colonat européen voit sa place très
diminuée. D'un autre côté, la capacité
d'intervention directe de l'administration et du secteur public dans
l'économie s'affaiblit. Il influence désormais l'économie
a travers le financement monétaire de déficits
budgétaires. Du coup, l'autonomie d'action de ces grandes
sociétés étrangères augmente car l'Etat avec qui
ils financaient l'économie s'est financièrement affaibli. Par
ailleurs, une petite bourgeoisie congolaise commercante émerge et la
paysannerie, dès lors libérée des contraintes
monopolistiques coloniales, reconquiert son role actif.
Après 1965, la reconstruction et le renforcement de la
structure étatique ont caractérisé le régime Mobutu
a ses débuts. Le pouvoir est dès lors fortement centralisé
et cette centralisation s'accompagne de la concentration du pouvoir
économique et du revenu aux mains de la nouvelle bourgeoisie politique.
Profitant des effets bénéfiques de la réforme
monétaire de 1967 et de la hausse exceptionnelle des prix de cuivre, le
pouvoir central s'est approprié de 1968 a 1971, la plus grande partie
des revenus d'exportation du secteur minier en forte hausse. De méme, en
1970, l'Etat percut des taxes représentant les deux tiers de la valeur
ajoutée de la Gécamines laquelle lui procurait 51 % de ses
recettes fiscales. Au contraire de la période 1960-65, le régime
a pratiqué depuis 1966 une politique systématique de
participation dans le secteur productif. Dans certains cas, l'application de
cette politique de l'Etat s'est matérialisée par une absorption
complète des entreprises privées. La nationalisation de
l'U.M.H.K. est a inscrire dans cette optique95. Dans d'autres cas,
il s'est agi de la <<zaIrianisation>> des entreprises
étrangères. La qualité des gestionnaires des affaires
reprises jointe a la récession mondiale de 1973, l'absence des mesures
d'encadrement accompagnant ces mesures de zaIrianisation et de radicalisation
ainsi qu'aux écueils liés a la nature juridique de ces nouvelles
entreprises créées sont autant de circonstances qui ont
justifié les mesures de rétrocession ou de
déradicalisation prises le 30 novembre 197596.
95 L'année 1967 marque un tournant décisif dans
l'histoire de l'industrie minière au Katanga. L'Union minière du
Haut-Katanga fut nationalisée et constituée en entreprise
publique. Elle fut débaptisée et porta successivement les
dénominations de Gécomin (Générale congolaise des
minerais), puis de Gécomines (Générale congolaise des
mines) et enfin, la Gécamines (Générale des
carrières et des mines). Au niveau de la Gécamines,
l'année 1967 marque le début d'une crise sur le plan
organisationnel.
96 Voir a ce sujet KIKASSA Mwanalesa, "La stabilisation des
entreprises zairianisées et radicalisées. Des mesures du 30
novembre 1973 et du 30 décembre 1974 a celles du 30 décembre
1975", Zaire-Afrique, n° 102, février 1976, pp. 89-98; RWANYINDO
Ruziranwoga, "Mesures économiques du 30 novembre 1973 et les mesures du
30 décembre 1974: heureux aboutissement d'un long processus", in Etudes
zairoises, Vol. 3, juillet-septembre 1975, p. 23 ; KAWATA Bwalum,
"L'entreprise, le délégué général et la
révolution", dans Horizons 80, Hebdomadaire zairois d'information
économique, du 11 au 18 octobre 1975, p. 13.
Les objectifs assignés a toutes ces mesures consistent
en l'utilisation de l'Etat comme base économique dans la logique de
consolider le nouveau pouvoir et d'affirmer l'indépendance acquise. Les
résultats obtenus contredisent cependant, l'idéologie
véhiculée dans la philosophie politique.
Concernant la province du Katanga, il faut noter qu'à
la compromission de l'unité politique et économique du Congo au
lendemain de l'indépendance, de 1960 a 1962, le Katanga a émis sa
propre monnaie, établi sa balance des paiements, organisé pour
son propre compte le contrôle des changes. ~l avait, en effet,
renoncé a toutes relations économiques avec les autres provinces
du Congo. Pendant cette période de crise, l'évolution
comparée de la production industrielle au Katanga et dans l'ouest du
Congo est pleine d'enseignements pour la compréhension de la structure
et du fonctionnement de deux poles de développement comme le montre la
figure ci-dessous.
Figure 5. EVOLUTION DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE AU KATANGA ET
DANS LE RESTE DU CONGO
Source: Jean-Louis LACROIX, Industrialisation au Congo,
op. cit., p. 224.
La lecture qui transparaIt de cette figure montre que le pole
de développement du Katanga a offert moins de résistance a la
crise. Pour Lacroix, la crise des années 1960-1962 montre la
fragilité d'un pole de développement animé par une
unité motrice qui obéit surtout aux impulsions de la demande
extérieure. Lacroix en tire les enseignements suivants: tandis que le
Katanga présentait les apparences de l'ordre et de
sécurité en face d'un Congo désorganisé, la
production industrielle orientée vers le marché intérieur
ne connaissait donc pas la progression observée dans le reste du Congo,
et diminuait au contraire de 20 % entre 1958 et 1962. A Elisabethville
l'excès de la demande sur l'offre a été
résorbé par la consommation des réserves de change jadis
transférées aux autres régions du pays. Dès lors,
la production industrielle du Katanga n'a pas entièrement
bénéficié de l'expansion de la demande, tout en continuant
a subir la concurrence de l'importation. D'autre part, la rupture des
communications avec le reste du Congo a privé le Sud-Katanga industriel
des matières premières d'origine végétale
consommées par l'industrie : huile de palme, coton, cacao, sucre, tabac,
etc.97
Après la période de troubles politiques et
l'unification politique et économique du Congo, un afflux des
investissements dans le secteur minier incités par une conjoncture
nationale favorable et l'optimisme international du début de la
décennie 1970, était observable. C'est ainsi, par exemple, "de
1969 a 1978, les investissements miniers agréés dans le cadre du
code des investissements de 1969 représentent 17 % du total des
investissements agréés."98 Ces investissements sont
directement gérés par l'Etat et financés par les grandes
banques privées étrangères. Pour J. -M. Wautelet, la
caractéristique de la programmation des investissements 1970- 1980 est
la volonté d'augmenter la capacité de production de l'entreprise
en cuivre et en cobalt, la priorité étant donnée a
l'accroissement du volume exporté plus qu'à celui de la valeur
ajoutée contenue dans le produit exporté.
Les caractéristiques des processus de
développement durant la sous-période 1960- 1974 peuvent ainsi
être dégagées. ~l s'observe que la nationalisation a
été utilisée comme mode de récupération des
centres de décisions économiques par les nationaux. Dès
lors, les logiques des nouveaux acteurs dominants consistaient a
résorber les contradictions entre structures économiques et
structures politiques. ~l s'en est résulté une classe capitaliste
nationale. De méme, émerge aussi une classe de nationaux
s'occupant de commerce de détail et de gros. Tout comme s'observe
l'apparition d'entreprises agricoles animées par des entrepreneurs
nationaux. Cependant, l'absence des compétences de gestion a
annihilé tous les espoirs escomptés99.
97 Jean-Louis LACROIX, Industrialisation au Congo, op. cit. , pp.
224-225.
98 Jean-Marie WAUTELET, "Pouvoir d'Etat et formation du capital",
in F. BEZY, J-Ph. PEEMANS et J-M. WAUTELET (éds), op. cit., p. 85.
99 Ce qui est évidemment malheureux, c'est que beaucoup
de cadres zairois n'ont pas été a la hauteur de leurs
tâches parce que parachutés a des postes de commande importants
sans qu'ils possèdent les instruments, les techniques, les aptitudes et
les connaissances nécessaires a l'exercice de leurs
Sur le plan politique, cette sous-période est
caractérisée par la mise en place d'un régime militaire
autoritaire qui aboutit a une dictature. Ce pouvoir bénéficie
plus d'une légitimation extérieure que d'une
légitimité interne, dans le contexte de la géopolitique
internationale de la <<guerre froide >>. Par conséquent, la
politique économique du régime et les logiques d'acteurs
dominants consistent a consolider le pouvoir d'Etat afin de s'en servir pour
mobiliser les principales ressources disponibles. A cette fin, toutes les
organisations sociales représentatives sont progressivement soumises au
pouvoir politique qui, du reste, étend la suprématie de
l'exécutif sur tous les autres pouvoirs.
Il paraIt utile de mentionner que le contrôle
étatique renforcé sur le surplus économique tiré
des exportations du cuivre induit donc une très forte concentration du
revenu servant a financer l'extension de la base économique de
l'accumulation centralisée et extravertie. Au détriment des
producteurs ruraux et des travailleurs urbains, le régime favorise
institutionnellement la redistribution du revenu en faveur des cercles proches
du pouvoir qui maintiennent le consensus des différentes fractions de la
petite bourgeoisie bureaucratique et commercante. La structuration d'un tel
mode de gestion constitue les prémisses au déclenchement d'une
crise généralisée qui hypothèque la continuation
des processus de développement intentionnellement manifesté dans
la phase de reconstruction et de consolidation du pouvoir.
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