2. Période de 1945 a 1960
Depuis la reprise économique des années 1940,
l'accroissement de la demande des matières premières permit
l'expansion de l'économie d'exportation du Congo-belge. La forte demande
qui en résulta simultanément dans presque tous les secteurs de
l'économie entraIna une forte concurrence entre employeurs pour
mobiliser le surplus de travail. Le pouvoir d'achat des travailleurs africains
connut ainsi un accroissement. J.-Ph. Peemans fait remarquer que la politique
du relèvement du niveau de vie du prolétariat africain
correspondait d'ailleurs bien a la phase de l'accumulation du capital att einte
par les grands secteurs d'activité contrôlés par le capital
financier. Ainsi, les dépenses de main-d'ceuvre ne représentaient
plus qu'une fraction peu importante du coüt de production88.
Cette analyse corrobore déjà celle portée par F. Bezy
lorsqu'il écrivit: <<[...]comme les prix des produits coloniaux
offrent une grande élasticité a la hausse sur les marchés
mondiaux, le renchérissement de la main-d'ceuvre n'entraIne pas pour les
entreprises
86 Dans la période de l'accumulation primitive, le
salaire, c'est-à-dire la nourriture et le logement des ouvriers,
représente presque exactement les frais de la reproduction de la force
de travail, fixé en fonction du niveau de vie dans les villages. En
réalité, le coüt réel de la main-d'ceuvre
dépasse la valeur de la ration et de la case attribuée a
l'ouvrier.
une augmentation du coüt relatif du travail. 89
Si l'on observa cette tendance pour les grandes entreprises, au contraire
le renchérissement du coüt de la force de travail étouffa le
petit et moyen capital a tel point ce dernier se résoudra d'adopter une
technique de production qui épargne la main-d'>uvre, la
mécanisation de processus de production.
Le tableau n° 3 suivant donne une illustration de la
répartition de la production et du travail des secteurs productifs au
cours de cette période d'expansion.
Tableau n° 3: REPARTITION DE LA PRODUCTION ET DU TRAVAIL
DANS LES DIFFERENTS SECTEURS DIRECTEMENT PRODUCTIFS DE L'ECONOMIE CONGOLAISE EN
1950 ET EN 1958
(en % arrondis, au prix courants)
|
Valeur de la productio
|
Capital investi
|
Population au travail et main- d'>uvre africaine
|
1950
|
1958
|
1950
|
1958
|
1950
|
1958
|
Agriculture, production africaine globale
dont production commercialisée
|
35
|
30
|
-
|
4 (1)
|
89 (2)
|
89 (2)
|
12
|
11
|
-
|
-
|
-
|
-
|
Production européenn
(plantation et traitement des produits)
|
15
|
15
|
13(3)
|
15(3)
|
4
|
5
|
Mines, industries, construction, transport
|
50
|
55
|
87 (3)
|
81(3)
|
7
|
6
|
Total
|
100
|
100
|
100
|
100
|
100
|
100
|
(1) = Investissements réalisés par
l'Administration pour améliorer l'agriculture africaine dans le plan
décennal.
(2) = Hommes et femmes vivant en milieu coutumier (enfants et
hommes au travail salarié exclus). (3) = Immobilisé net aux prix
courants.
Source: J.-Ph. PEEMANS et al. (éds), Diffusion
du progrès et convergence des prix. Congo-Belgique 1900-1960. Etudes
internationales, Vol. II, Ed. Nauwelaerts, Louvain/Paris, 1970, p. 385.
La hausse de productivité induite par les
réactions vigoureuses des entreprises du secteur moderne dans le sens de
l'épargne du travail entraIna un progrès certain dans la fonction
de production de ce secteur, mais aggrava le dualisme des secteurs de
production moderne et
traditionnelle90. Le secteur de <<mines,
industries, constructions, transports>> tel que le révèle
le tableau ci-dessus, passe de 50 a 55 % de la production totale entre 1950 et
1958, mais n'emploie plus que 6 au lieu de 7 % de la population active pour la
méme période. L'amélioration de la productivité du
capital se fait au prix du facteur travail.
L'intervention de l'Etat colonial, lors de l'essoufflement de
l'expansion de l'économie coloniale en 1955, est apparue dès lors
impérieuse pour fixer légalement les normes des rapports du
travail et garantir la continuation de la réalisation des objectifs a
long terme de la colonie. C'est dans le contexte des tensions sociales portant
sur des menaces de grève et de soulèvement face a la crise
agraire dans les campagnes - qui du reste propulsa l'exode rural - et a la
crise d'urbanisation que l'Etat colonial prit ces précautions.
Pour le cas des cités ouvrières de l'U.M.H.K.,
sous l'effet de l'ordonnance législative n° 98/AIMO du 6 avril
1946, les conseils indigènes d'entreprises (C.I.E.) et les commissions
du travail et de progrès social des indigènes sont
créés91. Par des négociations avec l'employeur,
ces conseils indigènes ont contribué tant soit peu a obtenir
l'amélioration des conditions de travail et de vie des ménages
dans les camps de l'U.M.H.K. En 1949, l'Union minière évaluait le
coüt moyen d'une journée d'ouvrier a 76,84 francs dont 24,98 francs
seulement en espèces. Le reste se composait de 31,41 francs pour les
avantages en nature (ration et logement) et 9,82 francs, 2,98 et 7,65 francs
pour respectivement les charges imposées par l'Etat (école,
soins), les divers avantages indirects et l'entretien des camps. Depuis 1945,
la ration en nature qui constitue la base du paternalisme, perd peu a peu du
terrain. Cette évolution est due a la position prise par l'Etat
colonial92 pour le paiement des salaires en espèces et aussi,
a la profonde hostilité des ouvriers au paternalisme et a sa
pièce essentielle, la ration alimentaire.
Les capitalistes exploitèrent malicieusement cette
législation comme ne pouvait se l'imaginer un observateur non-averti de
modes d'exploitation capitalistes: il a été constaté que
la contre-valeur ne représentait méme plus la valeur de
l'ancienne ration ou le loyer. Cet écart s'accroissait davantage au fur
et a mesure de la hausse des prix alimentaires.
90 Jean-Philippe PEEMANS et al. (éds), Di[[usion du
progrès et convergence des prix. Congo-Belgique 1900-1960. Etudes
internationales, Vol. II, Ed. Nauwelaerts, Louvain/Paris, 1970, p. 389.
91 L'U.M.H.K. accorda la création en son sein des
conseils indigènes d'entreprises en lieu et place des syndicats
africains. Les membres desdits conseils étaient élus par les
travailleurs eux-mêmes. Pour l'employeur, ils devaient jouer le role
d'informateurs pour signaler au chef de cité ouvrière tout ce qui
pouvait nuire a la bonne harmonie des camps. Cf. Bulletin Administratif du
Congo-Belge, 1946, p. 913-940, cité par D. DIBWE dia MWEMBU, Histoire
des conditions de vie des travailleurs de l 'Union Minière du Haut
Katanga/Gécamines, op. cit., pp. 67-85.
92 Depuis 1949, une série de lois transposèrent
au Congo, la législation sociale belge dans une version sommaire:
réparation des accidents de travail et des maladies pulmonaires en 1949,
inspection du travail en 1950, allocations familiales en 1952, pensions et
assurance maladie en 1956 auxquels s'ajoutent des règlements plus
anciens sur la sécurité, la ration, le logement, le salaire
minimum.
Nous dégageons de cette analyse les
caractéristiques ci-après des processus d'accumulation de l'Etat
colonial. Le système de contrainte publique appliqué par le
pouvoir colonial pour instrumentaliser la société congolaise,
bien que rétrograde, fit accomplir en même temps un énorme
bond historique au Congo. Néanmoins, les contradictions du processus
d'accumulation a l'intérieur du système ont créé
des problèmes structurels a la société colonisée au
point oü les expansions économiques - d'ailleurs induites par les
conditions extérieures - n'ont pas entraIné une
amélioration durable des conditions de vie du salarié urbain et
n'ont pas profité au paysan de campagne. La minorité d'acteurs
dominants a subordonné la majorité, la masse populaire. De cette
subordination, il en résulte la problématique du
développement dans l'entendement de F. Braudel. L'appropriation de
propriété des moyens de production puis, la marchandisation du
travail et de la terre, en plus sous la contrainte, par le système
dominant déstructura le style de vie de la société
colonisée, comme démontré par I. Wallerstein et K. Polanyi
pour les autres civilisations. Par contre, la restructuration de la
société congolaise par le système colonial modela les
rapports sociaux et économiques dans la configuration d'une division du
travail qui aboutit a une crise agraire dans les campagnes et a une crise de
l'urbanisation dans les villes. A la fin des années 1950, on observa une
alliance, bien que fragile, entre la petite bourgeoisie africaine et les masses
rurales et urbaines dans la lutte anti-coloniale. Il faut mentionner cependant
le role important joué par l'Etat colonial pour prendre le relais des
investissements dès que les conditions économiques et politiques
ne furent plus favorables pour l'accumulation du capital étranger, local
ou extérieur. C'est ce qui explique la débâcle des
infrastructures de base dès que l'Etat post-colonial allait s'affaiblir
comme nous le verrons dans la troisième section.
L'analyse des processus de développement du Katanga
sous le régime colonial passe par l'articulation entre les objectifs
globaux du financement de l'occupation du territoire et les stratégies
locales d'exploitation minière. La naissance et l'essor de l'industrie
minière dans cette partie du Congo ont astreint les populations
autochtones a une grande mobilité et au souspeuplement des
régions rurales au profit de foyers industriels. C'est bien là
une structuration de l'espace et de la société dans la
construction du territoire qui fait déjà perdre aux artisans et
aux paysans leur statut d'acteurs sociaux "actifs" et qui les réduit au
statut d'ouvriers, dépendant d'un salariat tributaire de la logique
dominante de l'accumulation et de différenciation.
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