2. La stabilisation de la main-d'Nuvre et mise en place des
strategies paternalistes
La politique de stabilisation adoptée par l'U.M.H.K.
avait pour objectif ultime l'amélioration de la productivité. La
mécanisation de processus de production combinée avec le
paternalisme autoritaire devait contribuer a différencier davantage les
conditions de travail et de production de cette grande entreprise
dépendant du capital financier étranger de celle
gérée par le moyen et le petit capital.
C'est en 1928 que l'Union minière du Haut-Katanga
inaugura officiellement sa politique de stabilisation de la main d'>uvre.
Dans le but d'assurer la reproduction de la maind'>uvre, l'U.M.H.K.
créa des conditions d'établissement des cellules familiales. La
reconstitution des ménages fut une des bases les plus solides de la
politique sociale dans les camps des travailleurs. Les femmes des agents
devaient jouer un certain nombre de roles pour le développement de
l'entreprise. Elles étaient des éléments stabilisateurs de
leurs maris, des partenaires économiques de l'Union minière du
Haut-Katanga et des éléments de reproduction de la force de
travail77. En vue de rendre attrayante la vie des camps, d'
<<apprivoiser>> et de soumettre les travailleurs et leurs familles,
l'U.M.H.K. adopta une politique consistant a assurer le logement des familles
dans les cités ouvrières, a leur garantir la ration alimentaire
et les soins médico-sanitaires.
Pour des raisons financières a la première phase
d'industrialisation, souligne Dibwe78, l'Union minière du
Haut-Katanga avait construit pour ses travailleurs africains des maisons en
matériaux non durables, précaires, ayant plus
d'inconvénients que d'avantages. Avec la politique de la stabilisation
de la main d'>uvre, la qualité de ces maisons s'améliorait.
Toutefois, la croissance démographique dans les camps était telle
que la promiscuité était toujours présente. Quant a la
ration alimentaire, a l'avènement de l'industrialisation dans le
Haut-Katanga, le problème de ravitaillement en denrées
alimentaires s'était posé avec acuité. Il était
difficile de se procurer sur place des produits alimentaires79.
Notons cependant que la distribution de la ration alimentaire n'a pas
empéché les femmes des travailleurs de s'adonner aux travaux de
champs. D'ailleurs, a partir des années trente, elles étaient
devenues des partenaires économiques de l'entreprise. Incapable de
fournir régulièrement des légumes frais a ses
travailleurs, l'Union
77 Donatien DIBWE dia M., <<Les fonctions des femmes
africaines dans les camps de travailleurs de 'Union minière du
Haut-Katanga (1925-1960)>>, in Zaire-Afrique, février 1993, pp.
105-118.
78 Donatien DIBWE dia M., Histoire des conditions de vie des
travailleurs de l 'Union Minière du Haut Katanga/Gécamines,
op.cit., p. 25.
79 D'abord, a cause du manque des moyens de communications et
de transports adéquats; ensuite, par le fait de la baisse de la
production agricole ne bénéficiant pas de changements
technologiques ; enfin, les régimes alimentaires différents des
masses de travailleurs d'origines diverses.
minière du Haut-Katanga se tourna vers les femmes de
ces derniers pour suppléer a la ration alimentaire. Ce partenariat
consista en la livraison des aliments verts que ces femmes produisaient dans
leurs champs.
Le tableau n° 2 qui suit montre les résultats de
cette politique de stabilisation de la main-d'>uvre africaine. Si a
l'indépendance on comptait 84 femmes et 293 enfants pour 100
travailleurs, en 1925 par contre, ils ne représentaient respectivement
que 18 et 6. Concernant le taux de recrutement en dehors de la province du
Katanga, le tableau révèle que si entre 1921 et 1925, pour
maintenir 100 hommes au travail, il fallait en recruter 96, la politique de
stabilisation a servi l'U.M.H.K. qui n'en recruta plus 3 hommes sur 100
travailleurs au cours de la période 1946- 50. ~l s'observe aussi un
accroissement de l'effectif des travailleurs ayant une ancienneté de
plus de 15 ans de service.
Tableau n° 2. RESULTATS DE LA POLITIQUE DE STABILISATION DE
LA MAIN-D'EUVRE AFRICAINE DANS L'INDUSTRIE DU CUIVRE AU ZAIRE (192 1-1960)
Période
|
Dépenses de stabilisation
|
Femmes et enfants pour 100 travailleurs (en fin de
période)
|
% desrecrues hors Shaba dans
l'effectif moyen total
|
Etat sanitaire (a)
|
Stabilité (a)
|
Taux de mortalité générale
|
Taux de mortalité
des travailleurs exclusivement
|
Taux de rotation global
|
Catégories de l'ancienneté (en % de
l'ensemble)
|
|
Montants F.B.
|
% du cout MOA
|
Femmes
|
Enfants
|
|
%o
|
%o
|
%
|
0-3 ans
|
3-9 ans
|
9-15 ans
|
15 ans et plus
|
1921-25
|
6
|
4
|
18
|
6
|
96
|
60
|
53,5
|
150
|
-
|
-
|
-
|
-
|
1926-30
|
187
|
26
|
41
|
27
|
63
|
31,4
|
17,9
|
80
|
-
|
-
|
-
|
-
|
1931-35
|
6
|
3
|
56
|
44
|
7
|
16,2
|
6,4
|
21
|
-
|
-
|
-
|
-
|
1936-40
|
16
|
7
|
58
|
59
|
11
|
12,3
|
4,8
|
12
|
46
|
40
|
9
|
5
|
1941-45
|
66
|
9
|
70
|
94
|
10
|
10,8
|
4,3
|
9
|
14
|
55
|
22
|
9
|
1946-50
|
289
|
21
|
79
|
143
|
3
|
9,4
|
4,2
|
9
|
24
|
31
|
30
|
15
|
1951-55
|
720
|
22
|
82
|
190
|
7
|
7,1
|
2,8
|
9
|
29
|
28
|
22
|
21
|
1956-60
|
715
|
13
|
84
|
293
|
6
|
5,6
|
2,8
|
7
|
16
|
32
|
17
|
35
|
(a) = les données statistiques se réfèrent a
la dernière année de la période. Source :
NYEMBO Shabani, op. cit., p. 206.
La situation du Katanga industriel telle que
présentée dans les lignes qui précèdent, vient de
nous élucider sur les éléments suivants pour une analyse
des processus de développement. L'expansion économique que
connaIt le Congo dans la décennie 1920 consécutive a
l'accroissement de la demande des matières premières dont le
congo-belge est producteur potentiel
propulse les investissements dans le secteur minier du
Katanga. L'articulation du système international avec les logiques
d'acteurs dominants du système colonial permet de comprendre comment le
secteur agraire est subordonné durant cette période aux
impératifs du secteur minier80. L'acteur principal de cette
expansion est le capital financier renforcé et revitalisé depuis
le processus du désengagement de l'Etat colonial de la gestion directe
de la production.
La réorganisation de l'administration coloniale se
poursuivit jusque dans les années trente. Par rapport a l'Etat
indépendant, l'Etat colonial se constitue en un corps diversifié
et hiérarchisé et étend progressivement son emprise sur le
pays. A cet effet, il prit des mesures pour la mobilisation de la main-d'ceuvre
dans les régions rurales et pour son encadrement et sa reproduction dans
les cités ouvrières81. En méme temps qu'il fait
exécuter a l'avantage du capital financier une législation pour
la sauvegarde des ressources de la force de travail, il le contraint de la
méme manière pour l'amélioration de l'environnement des
travailleurs. Ce milieu de vie se constitue dès lors en espace de
reproduction de la main-d'ceuvre.
La reconfiguration du mode de collaboration entre l'Etat
colonial et le capital étranger dominant est perceptible par cette
nouvelle politique publique. Par ailleurs, il s'observe aussi une mutation dans
le mode d'intégration symbolique dans la vie des travailleurs dans les
villes. La population faisait l'apprentissage d'un mode culturel nouveau
basé sur des normes et de comportements destinés a lui faire
accéder a un certain état de "civilisation", a travers une
doctrine de politique coloniale reposant sur la trilogie Administration
coloniale - capital financier - église catholique. C'est dans cette
philosophie qu'il faut comprendre les récits de L. Mouttoule quand il
écrit par exemple que le rendement d'un ouvrier dépendait de
quatre personnages: le chef d'exploitation naturellement, mais aussi le chef de
camp qui assure la discipline, le médecin qui soigne et nourrit le
corps, et le missionnaire qui soigne les âmes et apporte une bonne
moralité82. Si le médecin et le chef d'exploitation
représentent principalement l'entreprise, le chef de camp sert, en plus
de l'U.M.H.K., l'administration coloniale dans le contrôle de la
population dans les camps.
80 A cela, il faut aussi considérer
l'insécurité économique créée en
métropole par la conjoncture internationale a savoir la
révolution russe, l'instabilité de la chine qui détourne
les investissements belges de leurs orientations privilégiées
d'outre-mer. Un fait important, est l'alignement de la monnaie coloniale sur le
franc belge après 1919 qui créa des conditions favorables pour
les exportations congolaises. Voir a ce sujet, Jean-Philippe PEEMANS, Le
Congo-ZaIre au gré du XXème siècle. Etat, Economie,
Société. 1880-1990, Coll. <<ZaIre-Histoire et
société >>, L'Harmattan, Paris/Montréal, 1997, pp.
30-31.
81 En 1922, l'administration codifia un système des
sanctions destinées a maintenir la main-d'ceuvre sur les chantiers et a
la contraindre au travail. En 1930, l'administration officialisa le
système de ration (ordonnance du 18 juin 1930). Chaque
société devait étudier son système en fonction de
ses besoins. L'U.M.H.K. remplacat les grosses rations riches en farineux qui
attiraient les recrutés par des rations moindres mais contenant de la
viande.
82Léopold MOUTTOULLE, Contribution a
l'étude du déterminisme fonctionnel, 1934, p. 10, cité par
Michel MERLIER, op. cit., p. 139.
Cette structure informelle de mode d'exercice de pouvoir a
été déterminante dans la réalisation des objectifs
des groupes financiers eu égard a la position économique
dominante qu'ils avaient acquise et des avantages qu'ils
bénéficiaient de par leur collaboration avec l'administration
coloniale.
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