La théorie du patrimoine à l'épreuve de la fiducie( Télécharger le fichier original )par Thomas Naudin Université de Caen - Master 2 Recherche en Droit Privé 2007 |
B. - La fragilité du cloisonnement patrimonial124. - La loi sur la fiducie permet tant le transfert d'éléments d'actif que d'éléments de passif. Ainsi des créanciers du constituant vont pouvoir voir leur gage modifié par la transmission de leur dette du patrimoine du fiduciant à celui de la fiducie. De même, la gestion des éléments d'actifs détenus au sein du patrimoine fiduciaire va pouvoir faire naître des dettes. Cet ensemble constitue le passif fiduciaire. Ces créanciers sont titulaires d'un droit de gage général assis sur l'actif fiduciaire. C'est la conséquence de l'application des articles 2284 et 2285 du Code civil à la situation particulière engendrée par la fiducie. Leur droit sur cet actif est a priori exclusif, comme nous l'avons envisagé précédemment. Néanmoins, afin d'assurer que leurs droits soient respectés, la loi pose le principe d'un patrimoine subsidiaire répondant du passif fiduciaire136(*). Cette persistance de principe de liens patrimoniaux malgré le cloisonnement opéré par le patrimoine d'affectation (1) abouti à une quasi-impossibilité pratique de rendre le patrimoine fiduciaire totalement hermétique (2). 1. - La persistance de liens patrimoniaux125. - La loi fixe un principe selon lequel « en cas d'insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire »137(*). Les créanciers de la fiducie sont ainsi titulaires d'un droit de gage subsidiaire (a) qui n'est pas sans conséquence pour les créanciers du fiduciant (ou éventuellement du fiduciaire), qui peuvent avoir un intérêt à remettre en cause certains actes aggravant le passif fiduciaire (b). a. - Le principe d'un droit de gage subsidiaire126. - L'application des articles 2284 et 2285 du Code civil ainsi que la reconnaissance d'un patrimoine fiduciaire distinct de celui du fiduciant et du fiduciaire aboutie à reconnaître au profit des créanciers de la fiducie la titularité d'un droit de gage général assis sur les seuls éléments d'actif du patrimoine fiduciaire. Ils ont, conformément au premier alinéa de l'article 2025 du Code civil, une exclusivité sur ces éléments, et ne sont mis en concurrence avec les créanciers personnels du constituant que de manière résiduelle. Eux seuls peuvent en principe saisir les biens de la fiducie, ce droit de gage venant, comme il est de son essence, offrir un moyen de pression au créancier sur son débiteur. 127. - Néanmoins des problèmes vont pouvoir se poser en cas d'insuffisance de l'actif fiduciaire. Ce dernier a vocation à représenter le gage des créanciers de la fiducie. Son insuffisance pourrait avoir deux conséquences, l'une en amont, l'autre en aval. En amont tout d'abord, la fiducie ayant un actif limité au regard des engagements souscrits ou qu'elle devrait souscrire souffrirait d'un manque de crédit, ce que certains auteurs stigmatisent dans le cadre d'autres institutions juridiques, notamment les SARL à capital très faible (1 € étant le minimum légal) et a fortiori les EURL138(*). La conséquence en serait une efficacité réduite par la constitution systématique de sûretés - comme c'est le cas dans le cadre des SARL, où le gérant associé majoritaire est souvent amené à se porter caution des dettes de la société auprès des principaux bailleurs de fonds - qui en freinerait l'intérêt. En aval, le risque serait pour les créanciers de la fiducie de voir leur gage se réduire comme une peau de chagrin, quand bien même l'engagement qu'ils auraient souscrit serait parfaitement proportionné à l'actif fiduciaire. Il est en effet, d'une manière générale, difficile pour un créancier de s'assurer que le passif de son débiteur n'outrepasse pas son actif. La situation est analogue dans le cadre d'une fiducie. 128. - Le législateur était visiblement conscient de ces risques, et a donc choisi d'adopter le principe d'un droit de gage subsidiaire reconnu au profit des créanciers de la fiducie. Ce mécanisme représente pour ces derniers une garantie qui leur est reconnue de lege, et qui ne saurait être écartée sans qu'ils y consentent139(*). La nature de ce droit présente néanmoins certaines difficultés. Le vocabulaire employé par le législateur fait explicitement référence aux articles 2284 et 2285 du Code civil en évoquant « le gage commun » que constitue le patrimoine du constituant. Ainsi, le mécanisme retenu semble être différent par exemple de ce qui ressort de la loi Dailly dans laquelle le cessionnaire est « garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement »140(*). Dans la loi sur la fiducie, il n'est en revanche pas question de garantie. 129. - Il ressort de l'article 2025 alinéa 2 du Code civil que tout acte engageant la fiducie va engager non seulement l'actif fiduciaire mais également et de plein droit l'actif du fiduciant ou du fiduciaire, voire cumulativement les deux, selon les stipulations du contrat. Le droit de créance naissant de l'engagement du fiduciaire agissant ès qualités engendre un droit de gage double voire triple. Néanmoins l'engagement des biens du fiduciant ou du fiduciaire n'est que subsidiaire : ce n'est qu'en cas « d'insuffisance du patrimoine fiduciaire » qu'ils pourront être appréhendés par les créanciers de la fiducie. La loi est encore une fois lacunaire sur ce point, en ne précisant ni le moment, ni les conditions d'appréciation de cette insuffisance d'actif. Il n'est pas précisé si elle suppose par exemple de vaines poursuites préalables à l'encontre de la fiducie. En l'absence de disposition légale dans ce sens, il est probable que la réponse soit négative. Notre opinion est que le créancier formant une demande portant sur les biens du fiduciant ou du fiduciaire et fondée sur l'insuffisance d'actif de la fiducie devrait établir celle-ci afin de voir son action jugée recevable. La défaillance du débiteur principal ne suffit a priori pas. 130. - Le titulaire du patrimoine subsidiaire peut être regardé comme un codébiteur subsidiaire, dont l'obligation patrimoniale serait conditionnée à l'insolvabilité du débiteur principal. Il est à mi-chemin entre le codébiteur solidaire et la caution. D'une certaine façon, son obligation semble se rapprocher davantage de l'obligation à la dette des associés de sociétés de personnes141(*). La loi elle-même semble s'y référer en évoquant « l'obligation au passif fiduciaire »142(*). Quoi qu'il en soit, l'existence de ce droit de gage subsidiaire constitue une remise en cause relative de l'affectation patrimoniale réalisée, en ce qu'elle rend perméable le cloisonnement opéré entre les différents patrimoines. Néanmoins, la solution ne nous paraît pas critiquable dans le sens où elle vise à éviter les abus et à faire de la fiducie un instrument fiable et efficace. * 136 Art. 2025 al. 2 et 3 du Code civil. * 137 Art. 2025 al. 2 du Code civil. * 138 V. not. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 17e éd. * 139 Art. 2025 al. 3 du Code civil, v. infra, n° 135 et s. * 140 Art. L. 313-24 du Code monétaire et financier. * 141 V. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, préc. * 142 Art. 2025 al. 3 du Code civil. |
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