§II : La bonne foi et la période probatoire du
contrat de travail
S 'il est sans conteste que le contrat de travail
présente de grandes similitudes avec le contrat de droit commun en ce
qui concerne sa conclusion, il s'en distingue néanmoins par l'existence
d'une période d'essai qui est une entorse au principe selon lequel la
convention est normalement conclue à titre définitif par le seul
échange de consentement. Le contrat de travail présente la
particularité de pouvoir prévoir dès l'origine une
période dite probatoire se situant au commencement de l'exécution
du contrat97. Cette période a pour finaliser
de permettre à l'employeur de tester les aptitudes professionnelles du
salarié et à ce dernier de voir si les conditions d'emploi lui
conviennent. Pendant cette période dite d'essai les contractants peuvent
se délier librement sans justifier d'un motif particulier à la
condition de ne pas abuser de cette liberté de rompre. Cette
période est placée sous le double signe de la liberté et
la bonne foi qui saisissent l'essai aussi bien dans son existence, sa
durée, son renouvellement et sa rupture. Ainsi un employeur ne peut se
prévaloir de bonne foi, de l'existence d'une période d'essai qui
n'est pas prévue dans le document attestant le contrat de travail et
s'il n'a pas mis le salarié en mesure d'en prendre connaissance
même si cette période d'essai figurait dans la convention
collective. Si l'évolution jurisprudentielle montre nettement que la
rupture peut intervenir à tout moment de la période d'essai
qu'elle soit le fait de l'employeur ou du salarié, les juges vont
étudier dans le cas de contestation de l'un ou de l'autre les
circonstances dans lesquelles la rupture a été
décidée afin d'apprécier le comportement des parties, de
le sanctionner le cas échéant.
Il a été jugé ainsi que l'employeur n'a
pas conclu le contrat de travail de bonne foi si ayant recruté un
salarié dont les compétences étaient
avérées, le congédie pendant cette période au motif
que l'essai n'est pas concluant98. De même la
bonne foi commande l'impossibilité de mettre en concurrence deux
candidats à une embauche définitive l'essai présentant un
caractère individuel. L'employeur ne peut sans
légèreté blâmable mettre fin à la
période d'essai d'un salarié malade en raison du « dynamisme
et de la qualité des prestations de son remplaçant ». Les
parties au contrat doivent donc agir de bonne foi lorsqu'elles
97 Soc. 19 février 1997, Bull. civ. . V, n°69 ; Soc
27 janvier 1997, Bull. civ. n°33
98 Soc. 18juin 1996, JCP éd., G 98, II 22739
décident de mettre fin à l'essai et par
conséquent au contrat de travail, c'est-à-dire honnêtement
et de manière consciencieuse.
En outre, pour sanctionner le manquement des exigences de la
période probatoire, la cour de cassation recourt plus à la notion
d'abus de droit99 qu'au standard de la bonne foi
luimême pour caractériser le manque de diligence en particulier de
l'employeur ou sa précipitation légère ou encore sa
légèreté blâmable. Toutefois détourner la
période d'essai, de sa finalité, en somme tenter d'éluder
les règles relatives à la rupture du contrat de travail
relève d'un manquement à l'exigence de bonne foi. Par ailleurs il
faut noter que la bonne foi de celui qui prend l'initiative de la rupture est
présumée. Il appartient en effet au demandeur de rapporter la
preuve que l'autre partie n'a pas conclut le contrat de bonne foi
c'est-à-dire pour un motif étranger à sa
finalité100. Ainsi dans le cas de
détournement de la période d'essai la cour de cassation a
décidé que le comportement de l'employeur devait être
sanctionné par l'application de règles applicables en
matière de licenciement. Il faut noter que la preuve de ce
détournement de l'essai de sa finalité est souvent difficile
à rapporter même si en cas de litige l'employeur est tenu de
communiquer au juge tous les éléments de nature à
justifier sa décision. Cette rupture de l'essai n'étant que
l'exercice d'un droit subjectif, on comprend dés lors que l'abus soit
plus visé que la bonne foi. Par ailleurs les clauses d'essai sont
d'interprétation strictes, l'utilité et donc la finalité
principale des clauses d'essai demeure l'évaluation du salarié.
Alors que jusqu'ici la cour de cassation accordait des dommages et
intérêts pour rupture abusive de la période d'essai,
requalifiant parfois la rupture en licenciement. Elle refusait sauf le cas de
discrimination101 de se placer sur le terrain de la
nullité et ce, même pour les femmes
enceintes102.Depuis l'arrêt du 14 juin
2007103 une salariée prouvant que
l'employeur a rompu son essai en raison de sa grossesse peut invoquer la
nullité de cette rupture ce qui lui donne le droit d'exiger sa
réintégration dans l'entreprise et de réclamer le paiement
des salaires entre la date de la rupture et celle de la condamnation. En
définitive si la liberté de rompre sans motif en cours de
période d'essai reste acquise, c'est sous réserve de ne pas
abuser de son droit. En effet un employeur doit se tenir prêt à
donner
99 Soc., 17 mars 1971, Bull civ.V, n°216
100 Soc. ,5 octobre 1993 Bull. civ.V, n°223
101 Soc. 16 février 2005, n° 02-43.402
102 Soc. 8 novembre 1983,n°81-45.785 ;Soc.21 décembre
2006 ,n°05-44.806 ; L122-25-2 Code du travail ne s'applique pas pendant la
période d'essai à la différence de L122-45 voir soc.,16
février 2005 ;n°02-43.402 103 Soc., 14 juin 2007
n°05-45.219
les raisons objectives de sa décision au cas où le
salarié l'accuserait d'avoir abusé de son droit. Désormais
sa vigilance doit être plus forte quand il s'agit d'une femme
enceinte104.
104 Voir Loi n°2006-340 du 23 mars 2006 sur
l'égalité salariale
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