§II : L'Impératif de bonne foi et
l'opération de recrutement
Entre un chef d'entreprise qui cherche un collaborateur et une
personne qui postule à un emploi, les intérêts sont
à priori antagoniques. Alors que le premier a le pouvoir d'opérer
un libre choix de la personne qui convient le mieux au besoin et
intérêt de l'entreprise, le deuxième, pour mettre toutes
les chances de son côté, peut être tenté de ne pas
révéler certains faits qui seraient de nature à ne pas
favoriser sa candidature.
Le recrutement est une opération qui s'avère
tellement complexe de par la dose de subjectivité qui s'en dégage
que le législateur a entendu, par le biais de « l'idée et la
technique de la bonne foi », imposer une certaine éthique aussi
bien du côté de l'employeur (A) que du candidat à un emploi
(B).
A. Du côté de l'employeur ou du recruteur
La finalité de l'opération de recrutement est de
permettre au chef d'entreprise de rechercher des personnes susceptibles de
tenir les emplois disponibles dans l'entreprise et à sélectionner
celles qui semblent les plus aptes. Par cette opération, il faut
entendre tout recrutement opéré par un intermédiaire
choisi par un employeur afin de l'assister dans le choix d'une personne
extérieure pour un poste à pourvoir ainsi que tout recrutement
opéré directement par l'employeur74.
Cette liberté, érigée en principe ayant valeur
constitutionnelle75 ne saurait s'affranchir du
respect de certaines règles. La liberté contractuelle de
l'employeur est somme toute relative.
73 Soc. 17 octobre 1973, JCP 1974, II ,17698
74 G. Lyon-Caen, Rapport « Les libertés publiques et
l'emploi », Doc. Fr., Paris 1992 75 Cons. Const. 20juillet 1988, Dr.
Soc.1988, p.755
En effet, face à la sophistication des techniques de
recrutement, d'évaluation et de contrôle de l'activité des
salariés, le législateur et le juge ont tenté de
circonscrire le cadre d'exercice de cette liberté de l'employeur. Si la
liberté de choisir le salarié ne peut être contestée
à l'employeur, l'intuitus personae qui caractérise le contrat de
travail renforçant cette prérogative. Ce dernier doit s'appuyer
sur des éléments objectifs pour arrêter son choix. Ainsi,
avant la loi du 31 décembre 1992 relative aux recrutements et aux
libertés individuelles, en dehors de quelques dispositions
éparses76 qui venaient assurer au candidat
à un emploi une certaine protection, l'employeur disposait d'une grande
liberté sur les méthodes de recrutement qu'il pouvait mettre en
oeuvre.
Suite au rapport Lyon Caen77,
l'éthique qui s'imposait à l'employeur a été
amplifiée notamment par l'introduction de nouvelles dispositions dans le
Code du travail78. L'employeur, soucieux de
l'intérêt de son entreprise doit sélectionner les candidats
de bonne foi. De fait, le législateur, en donnant une portée
réelle à l'obligation d'information qui pèse sur
l'employeur, a entendu apporter de la transparence face à des pratiques
pour le moins contestables. Par ailleurs, l'accès d'un candidat à
un emploi ne peut être entravé par des considérations
autres que celles tirées des aptitudes, de sa capacité à
occuper le poste et des caractéristiques spécifiques du poste
à pourvoir. Cette limitation du champ d'investigation de l'employeur est
d'autant plus forte que l'article L.120-279 du Code
du travail, article à formulation générale, pose une
règle de proportionnalité qui est soutendue par l'idée de
bonne foi. Au demeurant, même si la bonne foi de l'employeur qui cherche
un collaborateur n'est pas visée expressément par un texte, la
loi offre un paramétrage tout aussi pertinent et opérationnel
dans l'objectif de protéger le salarié susceptible d'être
confronté à l'usage de méthodes d'investigations sans
rapport avec les informations nécessaires à un employeur
potentiel pour procéder à un recrutement. Ainsi, dans la phase de
recrutement, même si la technique de la bonne foi n'est pas
mobilisée du côté de l'employeur, les limites qui lui sont
imposées sont précisément définies au regard d'une
finalité clairement énoncée par l'article
précité. Par ailleurs, il semble qu'avec la recodification du
Code du travail, la localisation de l'article L1 121-1 « risque de
suggérer une inadmissible limitation de son domaine
76 Art. 9 du Code civil, Loi informatique et libertés du 6
juin 1978 ,D. n°85-1203 du 15 novembre1985 portant publication de la
convention du conseil de l'Europe du 28 janvier 1981
77 G. Lyon-Caen, « Les libertés publiques et l'emploi
», rapport pour le ministre du travail, de l'emploi et de la formation
professionnelle, doc. Fr. 1992
78 Notamment art L121-7 et L121-8 L122-45 du Code du travail
79 Art.L120-2 ou L1 121-1 nouveau « Nul ne peut apporter
aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de
restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la
tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché
».
d'application80 ».Au surplus,
on peut penser que le juge continuera à donner à cette
règle toute sa portée normative.
En revanche, l'employeur n'est pas oublié et la
protection de ses intérêts est assurée par l'exigence
imposée au candidat à un emploi. En effet, celui-ci doit
répondre de bonne foi aux questions qui lui sont posées lorsque
ces dernières correspondent aux impératifs de recrutement.
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