SECTION II : Des clauses relatives au lieu de travail
Si l'indisponibilité201 de
la qualification de contrat de travail rend moins discutable son existence, le
contenu des éléments contractuels l'est beaucoup moins. La
détermination de ce qui est un élément contractuel est en
effet essentiel pour circonscrire les droits de l'employeur et du
salarié. Selon une jurisprudence202
constante de la chambre sociale de la cour de cassation, la qualification
professionnelle, la durée du contrat, la rémunération et
le lieu de travail constituent la « socle contractuelle » du contrat
de travail. Toute modification par l'employeur de ces éléments
requiert l'assentiment du salarié. Le contrat de travail offre en
principe au salarié une raison de résister à certaines
évolutions du rapport d'emploi que l'employeur souhaite voir advenir. Il
s'agit des données dont la modification constitueraient celles du
contrat lui-même et non un simple changement des conditions de travail
qui lui, relève du pouvoir de direction de l'employeur. Si la chambre
sociale de la cour de cassation a pu, préciser que « la mention du
lieu de travail dans le contrat de travail a valeur d'information à
moins qu'il ne soit stipulé pas une clause claire et précise que
le salarié
198 J. Pélissier préc.
199 Soc. 10 juillet 2002, Bull., V, n° 239
200 M. Plet, « Bonne foi et contrat de travail », Dr.
Ouv. 2005, p.102
201 Soc. 22 décembre 2000, Dr. Soc 2001, p.228
202 Soc. 10 juillet 1996, RJS 8-9/96, n° 900, Bull. V,
n° 278
exécutera son travail exclusivement sans ce
lieu203 ».C'est dans une certaine mesure pour
limiter les contraintes que l'écrit contractuel peut faire peser sur
l'employeur, les mentions en cause seraient-elles dues à son
initiative204.
Réserve faite de la distinction entre clause
informative et clause contractuelle205, il semble que cette
solution, contestable, ne change en rien le fait que le lieu de travail
constitue un élément du contrat. Notons que ce lieu n'est pas
celui mentionné par les parties mais le « secteur
géographique » de l'exercice de l'activité. Or il s'agit
d'une notion dont la configuration n'est pas déterminée par la
cour. On comprend dés lors l'intérêt de stipulations
contractuelles qui prévoient et organisent le déplacement du lieu
de travail. Ainsi la clause de mobilité valable en
principe206 fait entrer le lieu de travail dans le
domaine du pouvoir unilatéral de direction de l'employeur elle
opère d'une façon assez originale une disqualification en
changement de ce qui serait à défaut de clause, une
modification.
En outre il ressort d'une jurisprudence bien établie de
la chambre sociale de la cour de cassation que la mutation du salarié en
application d'une clause de mobilité de son contrat de travail
relève du pouvoir de direction de l'employeur et constitue à cet
effet un changement des conditions de travail qui s'impose au
salariè207. Toutefois l'exercice du pouvoir
de direction étant soumis à l'exigence générale de
bonne foi et ne pouvant par ailleurs contrevenir aux dispositions de l'article
L120-2 du Code du travail,la validité de la clause n'exclut pas un
contrôle de son usage par l'employeur. Selon la cour de cassation la
clause doit être proportionnée au regard de l'intérêt
de l'entreprise. Ainsi dans l'arrêt
Spileers208 rendu au visa de l'article 8 de la
CEDH, la cour de cassation énonce clairement que l'employeur ne peut en
vertu d'une clause de mobilité porter atteinte au libre choix du
domicile par le salarié,que la clause « n'est valable qu'à
la condition d'être indispensable à la protection des
intérêts légitimes de' l'entreprise et proportionnée
,compte tenu de l'emploi occupé et du travail demandé,au but
recherché ».
Au demeurant, si la chambre sociale affiche son attachement au
respect,par de telles clauses,des droits fondamentaux de la personne du
salarié,la clause de mobilité écarte toute localisation du
lieu de travail du salarié et pose le principe d'une affectation
possible en différents lieux. Ainsi elle a pu décidé
« qu'une mutation géographique ne constitue pas en elle même
une att einte à la liberté fondamentale du salarié quant
au libre choix de son
203 Soc. 3 juin 2003 RJS. 8-9/03 n° 980, soc. 21 janvier
2004 RJS.3/04 n°301
204 A. Jeammaud, préc. , « Le contra de travail, une
puissance moyenne » p.318
205 J. Pélissier, « La détermination des
éléments du contrat de travail », Dr. ouv. 2005, p. 92 et s.
206Soc. 14 octobre 1982, b Bull. civ. V n°554
207 Soc. 30 juin 1997 Bull. civ. V, n° 289, soc 3 mai 2006
n°04-41.880
208Soc. 12 janvier 1999, n° 96-40.755
domicile que si elle peut priver de cause réelle et
sérieuse le licenciement du salarié qui la refuse lorsque
l'employeur la met en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi
contractuelle, elle ne justifie pas la nullité du licenciement
209» .Il faut
souligner par ailleurs que la mise en oeuvre de la clause de mobilité
est facilitée par la présomption de bonne foi dont
bénéficie l'employeur210.C'est donc
au salarié de démontrer que la décision de mutation a
été dictée par des raisons étrangères
à l'intérêt de l'entreprise ou qu'elle a été
mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle.
Dans un arrêt du 4 juin 2002 la cour de cassation précise que
« l'engagement de la responsabilité contractuelle de l'employeur
envers le salarié n'impose pas que l'employeur ait agi dans le but de
nuire au salarié,il suffit qu'il ait manqué à l'
obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de
travail211 »Il semble que cet arrêt
allége sensiblement la nature et le « degré
d'intensité »de la preuve que le salarié doit rapporter
.Ainsi il a été jugé qu'un employeur commet une faute en
n'avertissant la salarié qu'un mois à l'avance alors la
décision de mettre en oeuvre la clause de mobilité a
été décidé depuis
longtemps212.Aussi l'application d'une clause de
mobilité ne saurait entraîner d'autre modification du contrat de
travail .L'employeur ne peut revenir sur le télétravail convenu
avec le salarié sans modifier son contrat, ce en dépit d'une
clause de mobilité213.Il ne peut pas
également imposer au salarié une mutation qui entraîne une
réduction de sa
rémunération214.
La prohibition de principe de toute modification de la
portée de la clause semble être acquise .Dans un arrêt
récent confirmé, la cour de cassation met en exergue le
caractère nécessairement précis de la zone
géographique d'application de la clause de mobilité .Au visa de
l'article 1134 du Code civil, l'arrêt du 7 juin
2006215 met en relief l'impossibilité pour
un des contractants de modifier unilatéralement et ultérieurement
à la conclusion du contrat un des éléments de celui-ci. Il
n'apporte toutefois pas plus de précision sur l'étendue juridique
d'une clause de mobilité. Au demeurant, l'appréciation du secteur
géographique devant se faire de façon
objective216 on peut penser que la notion de zone
géographique d'application suivra le même chemin. Et il
appartiendra au juge du fond dans son appréciation in concréto de
préciser leur portée à l'aune de l'exigence de bonne foi
et de l'article L120-2 du Code du travail.
209 Soc. 28 mars 2006, n° 04-41.016
210 Soc 23 février 2005, n° 04-45.463
211 Soc. 4 juin 2002, Bull. V, n° 188
212 Soc. 4 avril 2006, n°04-43506 213 Soc. 31 mai 2006,
n°04-43.592 214Soc. 3 mai 2006, n°04-46.141 215 Soc. 7
juin 2006, n°04-45.846 216Soc. 25 janvier 2006, n°
04-41.763
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