CHAPITRE II. La bonne foi, un outil de moralisation de
l'espace de stipulation
Tout contrat de travail fait naître des obligations. Et
le contenu obligationnel de ce contrat est d'abord fixé par le droit
étatique à la manière dont ce dernier procède pour
d'autres contrats spéciaux. La «densité du maillage
normatif181 » qui enserre le contrat de
travail peut laisser penser qu'il y a peu de place, laissé à la
volonté des parties dans la détermination de leurs
obligations.
Si certaines obligations relèvent du contenu
obligationnel légal, d'autres peuvent être le fait des parties. En
effet, à côté du contenu obligationnel, il y a place pour
« un champ contractuel 182»
qui signifie qu'un espace non négligeable demeure ouvert
à la liberté de stipulation aussi bien pour créer des
obligations accessoires véritablement autonomes que pour fixer les
modalités ou aménager l'exécution des obligations
principales liées à la qualification de contrat. De la sorte, le
contrat de travail peut accueillir des clauses créant des obligations
purement contractuelles à la charge de l'employeur ou du salarié.
Et l'on comprend que ce renouveau du contrat de travail tient également
aux vertus opératoires reconnues à l'élément
contractuel.
Aussi, ces clauses peuvent aménager, moduler les
variables importantes du champ contractuel. Elles viennent ainsi créer
des avantages ou accroître des sujétions pesant sur l'une ou
l'autre partie. Elles s'intègrent au contrat lors de sa conclusion ou en
cours d'exécution et leur interprétation peut affecter « la
puissance du contrat 183».
Qu'il s'agisse de stipulations avantageuses pour l'employeur ou
clauses favorables au salarié, il semble aussi que « le renouveau
du contrat de travail s'accompagne du développement d'une manière
de police jurisprudentielle184 » de ces
clauses, à travers une exigence de bonne foi dans leur innovation ou
leur mise en oeuvre.
L'intérêt de s'interroger sur la manière
dont opère les clauses au regard du dualisme du rapport d'emploi peut
montrer l'aptitude du contrat individuel de travail à élargir ou
sophistiquer les sujétions inhérentes à la
subordination.
181 A. Jeammaud, « les polyvalences du contrat de travail
» p.307
182 A. Jeammaud, « Le contra de travail, une puissance
moyenne » p.306
183 A. Jeammaud, préc.p. 303
184 J. Pelissier, A. Supiot, A. Jeammaud préc. n°
135
Ce contrat dans son rôle d'instrument de gestion,
d'ajustement de la main d'oeuvre suggère à l'employeur de
rechercher une certaine flexibilité à savoir renforcer son
emprise sur la force de travail ou la situation du salarié.
De fait, le contrat est ainsi sollicité dans « le
modelage de la condition personnelle du
travailleur185 ». Pour autant, l'insertion de
clauses afin de singulariser davantage le rapport de travail permet-elle
à l'employeur de se soustraire aux rigidités qu'il reproche au
Code du travail ? Si la singularisation peut effectivement correspondre
à des hypothèses dérogatoires d'un point de vue normatif,
il serait réducteur de l'y enfermer186. Il
semble que l'usage de l'espace de stipulation ne peut avoir pour effet
d'infléchir l'impact des dispositions normatives. La singularisation
serait de la sorte la mise en exergue de la dimension personnelle
particulière de telle relation de travail.
Face à la multiplication, à la sophistication
des clauses, le standard de la bonne foi permet au juge de dresser une limite
qui s'ajoute aux précisions existantes et, d'exercer un contrôle
distinct de celui assuré par les normes formelles de validité. De
même, la bonne foi est mobilisée là où les
dispositions normatives explicites sont absentes pour cantonner dans des
limites raisonnables l'invocation ou la mise en oeuvre de telle ou telle
clause. Il semble que le juge utilise la bonne foi dans sa fonction
heuristique, à travers elle, l'obligation contractuelle peut être
modulée et les abus de son exécution peuvent être
sanctionnés. Le contrôle de la bonne foi apparaît donc,d'une
manière générale,comme un « instrument permettant aux
juges de jouer un rôle correcteur par rapport à la
sécheresse des clauses du contrat,en permettant tantôt d'ajouter
à la lettre du contrat tantôt de venir la tempérer,de
l'assouplir et de l'adapter187 ». Si en vertu
de la force obligatoire du contrat, une partie peut exiger de l'autre
l'exécution de l'obligation, le juge, par son intervention, se servant
de la notion de bonne foi tente de moraliser l'usage de cet espace de
stipulation. Le contrat ouvre, comme le révèle un auteur ouvre un
« espace de stipulation » dans lequel les parties vont
préciser les « modalités de l'agir contractuel
»188. Que les
clauses insérées au contrat de travail enrichissent le contenu
obligationnel ou précisent les composantes du champ contractuel, il
semble que l'initiative de leur insertion dans le contrat de travail est pour
une
185 A. Jeammaud, préc. p. 309
186 A. Jeammaud, préc. Voir aussi S. Frossard, « Les
incertitudes relatives au contrat » in Le singulier en droit du travail
Dalloz 2006 p.32
187 A. Benabent, La bonne foi « Rapport français
», travaux de l'association Henri Capitant, Tome XLIII, 1992, p.300
188A. jeammaud, préc. , « Le
contra de travail, une puissance moyenne » p.313
large part le fait de l'employeur. Il peut s'agir de clauses
liées à l'exécution du contrat de travail ou de sa
rupture.
Aussi, dans cette flopée de clauses, l'exigence de
paramètres objectifs ne devrait pas susciter de grands débats
tant elle devient générale en droit du travail. Les clauses,
n'étant pas appréciées selon les mêmes
critères, il convient de souligner que quelle que soit la stipulation
contractuelle elle ne saurait dépendre de la volonté
unilatérale de l'employeur189.
Par ailleurs est nulle toute clause contractuelle privant le
salarié d'une garantie ou d'un avantage prévu par la loi, ou lui
accordant moins que ne lui assure celle-ci .De même certaines clauses
sont spécialement affectées par une disposition légale ou
conventionnelle, qui compromet leur validité, la soumet à
condition, limite leur portée ou leur usage. La stipulation de clauses
d'exclusivité, de variabilité de rémunération,
d'objectifs, de dédit formation entre autres clauses est admise par la
cour de cassation. Notons cependant que la clause
d'essai190, la clause de non concurrence (section
I) la clause de mobilité (section II) demeurent les plus
fréquentes et retiendront seules notre attention.
SECTION I : De la clause de non concurrence
Tout contrat de travail prévoit dans une certaine
mesure, une obligation minimale et implicite de non concurrence , la bonne foi
interdit au salarié d'avoir pendant la durée du contrat de
travail, des activités concurrentes de celles de son employeur, soit
à titre indépendant, soit pour le compte d'un autre
employeur191 . On comprend dès lors que le
principe fondamental de la liberté de travail et de la libre concurrence
ne fassent pas complètement échec à l'insertion d'une
clause de non-concurrence dans le contrat de travail. Cette clause a pour objet
d'éviter la concurrence ou la déloyauté du salarié
envers l'entreprise192.
Sauf à porter gravement atteinte à la
liberté du travail, c'est à dire les clauses qui par leur
durée et la généralité de leur champ d'application
géographique et professionnel, revenait à interdire « de
façon absolue » à un salarié d'exercer une
activité « conforme à sa formation et ses connaissances
», l'introduction de clause de non concurrence dans le contrat de travail
est en principe licite depuis l'arrêt
Bedaux193.Alors que certains
auteurs194 estimaient que
189 Art. 1174 du Code civil
190 Voir, la bonne foi et la période probatoire du contrat
de travail, p. 32
191 G. Couturier préc. n°197
192 Soc. 21 juillet 1994 Bull. civ. V, n°250 ; Soc 21 mai
1996 RJS 7/96, n°782 193 Soc. 8 mai 1967 Bull. civ. IV n°373
toute clause de non concurrence porte atteinte à la
liberté de travail, suggérant l'admission de cette clause
qu'à titre exceptionnel et donc une « illicéité de
principe » de la clause. La cour de Cassation n'a pas été
sensible à ces critiques. De fait les clauses de non-concurrence furent
très largement admises en jurisprudence malgré les vives
protestations doctrinales qu'elles pouvaient susciter.
Toutefois, depuis 1992195, la
chambre sociale a adopté une nouvelle approche de la question. Elle
précise que « la clause de non concurrence n'est licite qu'autant
qu'elle protège les intérêts légitimes de
l'entreprise ». En effet, dans l'arrêt Godissart du 14 mai 1992,
où la relation contractuelle et la prestation de travail ne pouvaient
guère laisser de doute quant à l'absence de concurrence du
salarié. La cour de cassation remet en cause la valeur et l'existence de
la clause de non concurrence. Le salarié exerçait la profession
de laveur de vitres et la clause de non concurrence lui interdisait d'exploiter
directement ou indirectement une entreprise identique ou similaire à
celle pour laquelle il travaillait pendant quatre ans et ce tant dans son
département que dans les départements limitrophes et dans tous
les autres départements où son employeur créerait et
exploiterait une agence. La nouveauté qui caractérisait cet
arrêt est la mise en exergue de l'intérêt de l'entreprise
afin de justifier l'existence d'une clause de non concurrence. Ainsi, on ne
peut imposer au salarié plus que ce qui s'avère utile pour la
bonne exécution du contrat et pour l'intérêt de
l'entreprise.
Si cet arrêt ne fait pas référence
à la notion de bonne foi dans l'exécution du contrat, il faut
cependant revenir sur la démarche implicite du juge. Si la
liberté contractuelle justifie la possibilité d'inscrire cette
clause au contrat, elle ne peut être invoquée que de bonne foi. Il
faut donc pouvoir constater un acte de déloyauté du
salarié ou un risque potentiel d'atteinte aux intérêts
légitimes de l'entreprise pour caractériser un manquement
à l'obligation de non-concurrence. En tout état de cause les
juges ne se bornent pas à relever l'accomplissement par le
salarié d'une activité quelconque pour caractériser la
faute reprochée par l'employeur196.
Par ailleurs, dans le droit commun des contrats notamment des
contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque partie doit avoir une cause
qui est la contre partie fournie par le contractant. La clause de non
concurrence n'étant pas subordonnée à l'octroi au
salarié d'une contre partie pécuniaire si celle- ci
n'était pas prévue par une convention
collective197 cette absence de contre partie
pécuniaire a fait dire à certains auteurs que la cour
194 J. Pélissier « Droit civil et contrat individuel
de travail » Dr. Soc. 1988 p.389, voir aussi C. Pizzio - Delaporte, «
la clause de non concurrence : Jurisprudence récente », Dr. soc.
1996, p.145
195 Soc. 14 mai 1992 Bull. civ. V, n°309
196 Soc.14 mai 1998 Dr. Soc. 1998, p 715, Note A. Jeammaud
197 Soc. 11 octobre 1990, Bull, V,n° 459 , soc. 11 juillet
2001, n°99-43.6 27
de cassation consacrait « la licéité d'une
obligation sans cause 198».
Aujourd'hui, il semble qu'au titre de la justice qui doit
régner dans le contrat la cour a infléchi sa position
opérant de la sorte un revirement. En effet, depuis les arrêts du
10 juillet 2002199 « Une clause de non
concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection
des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans
le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités
de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de
verser au salarié une contre partie financière, ces conditions
étant cumulatives ».
L'attrait de cette jurisprudence constante est de mettre
notamment en évidence la volonté du juge d'équilibrer le
rapport contractuel. Cette recherche d'équilibre étant du reste
conforté par l'article L120-2 du Code du travail. Il semble que cet
article combiné à l'article L120-4 du même Code serait de
nature à rendre pleinement opérationnel la notion de bonne
foi200. Ce contrôle de
nécessité et de proportionnalité, qui donne de grands
pouvoirs d'appréciation aux juges est d'une portée
générale, l'article L120-2 s'applique à toute clause qui
entend apporter une restriction aux droits et libertés fondamentaux du
salarié.
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