SECTION II : La bonne foi, une limite
générale au pouvoir de l'employeur
Il y a un lien indéfectible entre le pouvoir que le
droit reconnaît à l'employeur et le lien juridique de
subordination. Nul ne conteste que la subordination, permet à
l'employeur de diriger le salarié, de faire évoluer sa
tâche et qu'il conserve ainsi une certaine marge de
manoeuvre129. Toutefois, il faut aussi
reconnaître que le salarié ne s'engage pas à proprement
parler à se subordonner. Certes, il consent par le contrat qu'il conclut
à se soumettre à l'employeur dans l'exécution du travail,
mais retrouve en dehors de sa tâche sous réserve du devoir
général de loyauté qui pèse sur lui sa «
liberté ». D'ailleurs, le salarié n'est il pas que le simple
exécutant d'une obligation contractuelle ?
En s'engageant dans cette relation qui opère à
la manière d'un acte condition130, en
acceptant donc la subordination inhérente au contrat de travail, le
salarié met son corps et son esprit au service de l'employeur pendant le
temps de l'exécution de son travail. Le contrat de travail
n'étant pas un contrat intuitus rei, il nécessite l'engagement de
la personne du salarié pour l'exécution de la prestation.
Dès lors, comment assurer tant soit peu une
intégrité morale à ce dernier dans ce rapport par essence
inégalitaire ? Si c'est tout le rapport de travail tant dans sa
dimension institutionnelle que sa dimension contractuelle qui est saisie par le
pouvoir de l'employeur. Ce dernier doit aussi exécuter loyalement ces
obligations contractuelles. La cour de cassation, à travers le standard
de la bonne foi, tente d'imposer à l'employeur le respect de la personne
du salarié (paragraphe 1).
127 Soc. 25 juin 2002 Bull. civ. V, n°21 1
128 Soc. 31 mai 1990, Bull. civ. V, n° 260
129 E. Dockès « La détermination de l'objet
des obligations nées du contrat de travail », Dr. Soc. 1997,
p.141
130 A. Jeammaud préc.
Par ailleurs, étant titulaire d'un pouvoir qui lui
permet de sanctionner les manquements du salarié dans le cadre des
exigences posées par le législateur et le juge, ces sanctions
au-delà du fait qu'elles doivent être justifiées, doivent
répondre à une « certaine éthique » (paragraphe
2).
§I : Le devoir de respecter la personne du
salarié
Le contrat de travail n'est plus conçu comme un simple
contrat de louage de services. Conclu en considération de la personne,
l'existence de particularités propres à chacun des contractants,
même si elles ne trouvent pas à s'exprimer dans le cadre de
l'exécution du contrat, prennent pleinement leur place en dehors des
horaires et du lieu de travail. Dans le rapport d'emploi, c'est
l'exécution correcte du travail convenu qui importe et le regard
porté par l'employeur sur la façon dont le salarié
effectue la tâche qui lui est confiée. De fait, la première
obligation tant logiquement que chronologiquement de l'employeur est de fournir
du travail au salarié. Tout manquement à cette obligation engage
en principe sa responsabilité
contractuelle.131En outre, il doit mettre le
salarié dans des conditions telles, qu'il puisse exécuter
normalement la prestation convenue. Il s'agit là du respect de
l'exigence de bonne foi qui pèse sur le contrat de travail. Ainsi
l'employeur doit se garder de toute décision, mettant le salarié
dans l'impossibilité de faire son travail. De la sorte la chambre
sociale de la cour de cassation a considéré que l'employeur en
« cessant de faire bénéficier à une salarié
d'un avantage lié à sa fonction, l'avait mise dans
l'impossibilité de travailler, ce qui caractérisait un manquement
à l'exécution de bonne foi du contrat de
travail132 »De même il ne peut refuser
une demande de mutation fondée sur des raisons familiales, sans
justifier les raisons objectives qui justifient ce
refus133.En l'espèce la cour de cassation
précise que le refus injustifié « portait atteinte de
façon disproportionnée à la liberté de choix du
domicile de la salarié et était exclusive de la bonne foi
contractuelle ». S'il reste acquis, en principe que les contraintes
familiales du salarié ne créent aucun devoir à
l'employeur, ce dernier, d'après l'arrêt a « un devoir de
réponse circonstanciée » face à une demande touchant
à sa vie privée. . Il semble que la reconnaissance effective
d'une vie privée attribuée au salarié construit
l'opposition entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Alors que la
vie professionnelle concerne le domaine strict de l'exécution du contrat
et les obligations qui s'y rattachent, la vie personnelle quant à elle,
est plus difficile à cerner.
131 G. Couturier, préc. n°195
132 Soc. 10 mai 2006, n° 05-42.2 10
133 Soc. 24 janvier 2007, n° 05-40.639
Plus extensive que la notion de vie privée, englobant
également la vie publique du salarié, le concept de vie
personnelle à la différence de celle de vie privée peut
trouver sa place dans l'entreprise134 et dès
lors être pris en compte par l'employeur. Nul ne conteste aujourd'hui que
le rapport de travail soit fortement marqué par le respect des
libertés individuelles. Que l'on se situe en amont ou en aval de la vie
du contrat de travail, le législateur, le juge et la doctrine
s'accordent sur le fait qu'une conciliation entre le pouvoir patronal et les
libertés du salarié est nécessaire pour un certain
équilibre contractuel dans le rapport de travail
135.S'il existe des dispositions opératoires
pour cette conciliation, l'obligation d'exécuter de bonne foi le contrat
de travail, présente un caractère continu.
Au demeurant, la frontière entre la vie personnelle et
la vie professionnelle étant difficile à tracer, c'est au regard
des exigences de la bonne foi que le juge tente de concilier
l'intérêt de l'entreprise et la protection du salarié.
L'ingérence de l'employeur dans la vie personnelle du salarié
doit pouvoir trouver une justification inhérente à l'entreprise
et aux nécessités de celle-ci. Et la distinction entre vie
professionnelle et vie extraprofessionnelle est alors délimitée
par ce que l'employeur et le salarié sont en droit d'exiger du contrat.
« Il faut donc admettre qu'il existe dans la vie professionnelle
elle-même un aspect privé qui participe de la protection de la vie
privée : la subordination juridique subie dans la relation de travail ne
sèvre pas le salarié de vie privée dans
l'entreprise.136 ».Ainsi, on comprend
qu'à travers le standard de la bonne foi contractuelle que le juge tente
d'imposer à l'employeur un comportement respectueux da la personne du
salarié. De la sorte « si l'employeur a le droit de contrôler
et surveiller l'activité des salariés pendant le temps de
travail, tout enregistrement quels qu'en soient les motifs, d'images ou de
paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite
137». Il en
résulte qu'admettre l'existence de ce contrôle patronal ne permet
pas de justifier une entrave à la vie personnelle du salarié.
« La loyauté ne valide pas la dissimulation qui a pour but de
trahir le salarié ou de permettre la révélation
d'éléments qu'il taisait volontairement ou
involontairement138 ». Dans le même
sens, la chambre sociale de la cour de cassation a précisé que
« la loyauté qui doit présider aux relations de travail
interdit le recours à l'employeur à des artifices et
stratagèmes pour placer le salarié dans une situation qui puisse
ultérieurement lui être imputée à
faute139 ». Quand bien même les faits se
sont déroulés dans l'entreprise, il semble qu'un degré
d'intimité soit accordé au salarié. La vie
134 Ph. Waquet, « Vie personnelle et vie professionnelle du
salarié », CSPB, 1994, n°64
135 J. Pelissier, A. Supiot, A. Jeammaud, préc.
n°877
136 N. Pourias-Rexand préc. p286
137 Soc. 20 novembre 1991, Bull. civ. V, n° 519
138 N. Pourias-Rexand préc. p.304
139 Soc. 16 janvier 1991 Bull. civ. V, n° 15
privée du salarié semble
bénéficier d'une protection particulière accrue. La
chambre sociale de la cour de cassation dans l'arrêt
Nikon140, alors même que des données
relatives à la vie privée du salarié n'étaient pas
en cause, affirme clairement que le principe du respect de celleci puisse
justifier, à travers le secret de correspondances, l'interdiction faite
à l'employeur de prendre connaissance de messages personnels émis
par le salarié ou reçus par lui par courrier électronique.
Il s'agit de garantir tant soit peu l'autonomie du salarié dans son
rapport de subordination avec l'employeur et donc de donner une certaine
immunité au contenu des correspondances. Au final, il semble qu'avec
l'arrêt du 18 mai 2007, la cour régulatrice soit revenue à
une conception plus rigoureuse de la vie privée car elle ne permet pas
à l'employeur, de quelque manière de tirer une conséquence
d'un fait relevant de la vie privée du salarié peu importe ses
éventuelles répercussions dans l'entreprise. La chambre mixte
précise que « l'employeur ne pouvait pas, sans
méconnaître le respect dû à la vie privée du
salarié, se fonder sur le contenu d'une correspondance privée
pour sanctionner son destinataire141 ». Il en
résulte qu'un trouble objectif dans le fonctionnement de l'entreprise ne
doit plus permettre en lui-même, d'après cet arrêt de
prononcer une sanction disciplinaire à l'encontre de celui par lequel il
est survenu. En conséquence, le trouble peut certes toujours justifier
la rupture du contrat mais en dehors du terrain disciplinaire.
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