§I I : La bonne foi dans l'exercice du pouvoir de
sanctionner
Pour justifier le prononcé d'une sanction encore
faut-il qu'on puisse imputer au salarié une faute. Il peut s'agir
notamment d'une mauvaise exécution de la tâche qui lui est
confiée, du retard au travail, de la détérioration du
matériel, d'actes de violence .Dés lors que la faute existe, il
n'y a pas lieu donc d'exiger une justification du pouvoir de sanctionner. Sous
réserve de la précision que la loi
142prévoit expressément plusieurs
motifs qui ne sauraient fonder une décision ou une distinction entre les
salariés. Le juge vérifie que la décision de l'employeur
ne se fonde pas sur des motifs prohibés par la loi. Hormis ces cas,
l'employeur ne fait qu'user de son pouvoir d'individualisation quand il
opère une distinction entre les salariés. Partant, l'employeur
peut-il être saisi par la bonne foi dans l'exercice de son pouvoir de
sanctionner ? En d'autres termes est- ce que le juge peut recourir au standard
de la bonne foi pour censurer le prononcé d'une sanction ? Si la bonne
foi est une de ces notions volontairement indéfinies
140 Soc. 2 octobre 2001 Bull. civ. V, n° 291
141 Cass. Ch. mixte 18 mai 2007, n°05-40.803
142 Art.L122-45 ; L122-46 et L122-49 du Code du travail
dont le caractère vague est la garantie de leur
utilité aux yeux du législateur,143
il semblait que le fondement du pouvoir disciplinaire exclut logiquement tout
contrôle de proportionnalité à la faute. Et la chambre
sociale dans un arrêt du 22 février 1979 rappelle que les «
fautes les plus légères peuvent être sanctionnées et
il n'appartient pas au juge d'imposer à l'employeur une quelconque
modération dans l'exercice de son pouvoir144
». De la sorte, toutes les fois que les juges du fond s'avisaient de
relever l'existence d'un détournement de pouvoir, dans le cadre d'une
action contestant la proportionnalité de la sanction à la faute,
la cour de cassation cassait systématiquement la décision en
rappelant que la disproportion ne constituait pas un détournement de
pouvoir.145Ainsi en dehors de l'absence de faute ou
du caractère discriminatoire de la sanction, « la jurisprudence de
l'absence de détournement de pouvoir
»146prévalait.
Cette situation, délicate pour les salariés a
conduit le législateur dans sa réforme de 1984 à procurer
ces derniers, des garanties contre les abus de cette prérogative, d'une
part en soumettant la décision de prononcer une sanction à un
ensemble de règles de fond et de procédure, d'autre part en
ouvrant la voie à un contrôle judiciaire approfondi de la sanction
prononcé.147Avec la loi du 4 août
1982, un détachement s'opère entre le pouvoir d'individualisation
et le pouvoir disciplinaire. Le détournement de pouvoir qui était
jusqu'en 1982 synonyme de discrimination, devient une juste limite au pouvoir
d'individualisation de l'employeur.
Dans l'arrêt du 13 mai
1996148 la cour de cassation prend le soin de
distinguer discrimination et détournement de pouvoir. Au demeurant si
les juges peuvent prendre en considération les différences de
traitement infligées à des salariés pour des faits
identiques pour rechercher un éventuel détournement de pouvoir ou
une discrimination, le pouvoir d'individualiser la sanction reste acquise pour
l'employeur.149Toutefois quand il est question de
l'exercice d'une liberté fondamentale en l'espèce le droit de
grève, la chambre criminelle a pu considéré que chacun des
participants à un mouvement collectif aurait dû encourir la
même sanction.150
143 Ph. Stoffel-Munck, préc. n° 350 p.296
144 Soc. 22 février 1979 Bull. V, n° 165
145 Soc. 3 mai 1979 Bull. V, n° 382
146 J. Pelissier, A. Supiot, A. Jeammaud préc. sous
n° 890
147 Art L122-43 du Code du travail
148 Soc. 13 février 1996 Dr. Soc. 1996,p. 532
149 Soc.14 mai 1998 Dr.soc.1998, p. 709 note A. Jeammaud
150 Cass. Crim 7 février 1989. Dr soc.1989, p.509
Cette même chambre a également reconnu aux juges
du fond le pouvoir de rechercher si l'employeur a pu prononcé une mise
à pied de bonne foi et au juste motif d'une faute
grave151.
Au final il faut souligner que les règles de fond et
procédurales qui enserrent l'exercice du pouvoir de sanctionner de
même que le contrôle de justification opéré par le
juge, constituent des garanties suffisantes pour que la bonne foi n'intervienne
qu'à la marge .Il incombe en tout état de cause à
l'employeur de faire preuve de loyauté l'exercice dans l'exercice de ce
pouvoir et ce d'autant plus que la qualification de la faute
disciplinaire152 n'est pas aisée et que les
juges du fond contrôlent désormais la proportionnalité de
la sanction à la faute commise.
151 Cass. Crim ,4 janvier 1991,Bull.crim. n° 10
152 Art. L122-40 du Code du travail, Voir aussi J. Pelissier, A.
Supiot, A. Jeammaud préc. n° 89 1et 893
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