§I I : La portée décisive de la bonne
foi en dehors de la prestation de travail
Fournir matériellement une prestation de travail n'est
pas la seule obligation à laquelle le salarié est tenu. En effet,
il y a place pour d'autres obligations que certains auteurs qualifient de
secondaires118. Il faut noter que la
découverte de ces obligations dans le contrat de travail est due pour
une large part à la chambre sociale de la cour de cassation.
Le contrat de travail s'inscrivant dans une certaine
durée, le lien juridique de subordination ne pouvant développer
pleinement ces effets pendant les périodes dites de
suspension119, le standard de la bonne foi a
inspiré une série de devoirs implicites dégagés par
les tribunaux et destinés à protéger l'entreprise contre
les initiatives et comportements du salarié étrangers à la
prestation de travail. Alors que l'obligation d'exécuter
matériellement la prestation de travail cesse pendant la période
de suspension du contrat, certaines obligations dites continues pèsent
sur le salarié comme partie à un contrat de travail. Pendant la
suspension du contrat de travail, le salarié est fondé à
refuser de fournir sa prestation de travail. Pour autant, il n'est pas libre de
tout agissement. La jurisprudence a ainsi intégré au contrat de
travail une série de devoirs et d'obligations de portée variable.
En effet, leur étendue varie selon la nature de l'emploi, la fonction et
le poste du salarié dans l'entreprise. Si la bonne foi manifeste une
exigence de comportement dans les relations sociales indépendamment de
leur caractère contractuel ou extracontractuel, la cour de cassation
à partir de la bonne foi a dégagé un devoir
général de loyauté du salarié qui transcende la
suspension du contrat.
117 Expression empruntée à M. J. Mestre, «
Bonne foi et équité : même combat », RTDC 1990 p.652
118M. Julien préc. n°134
119 J.-M. Béraud « La suspension du contrat de
travail » éd. Sirey ,1980 ; J. Pélissier, A. Supiot, A.
Jeammaud, préc. n° 347 ; G. Couturier , droit du travail « Les
relations individuelles de travail » PUF ,Tome I ,3é
éd.,1996 n°203 et s.
Ainsi, le salarié doit s'abstenir de toute
activité, tout comportement constituant un acte de
déloyauté à l'égard de l'entreprise pendant cette
période120. Selon la cour de cassation, le
contrat de travail fait naître « une obligation de loyauté
» à laquelle le salarié est tenu envers son employeur. Par
ailleurs il pèse pendant toute la durée du contrat une obligation
de non concurrence sur le salarié. La bonne foi lui interdit notamment
d'avoir des activités concurrentes pendant la durée du contrat de
travail, soit à titre indépendant soit pour le compte d'un
employeur. Dans cette mesure, tout contrat de travail prévoit ne
serait-ce que façon implicite une obligation de non concurrence dite
parfois de fidélité121. Notons que
l'obligation de réserve et celle de discrétion dont seraient
débiteur le salarié doivent leur consistance ou leur
inconsistance à la place du salarié dans la hiérarchie de
l'entreprise. Si ces obligations peuvent être d'une importance
particulière pour certaines fonctions, la chambre sociale semble limiter
leur portée quand il s'agit d'un simple
salarié122. De même, elle adopte une
approche à tout le moins restrictive des devoirs assignés au
salarié au titre de la bonne foi contractuelle durant ces
périodes de soustraction à l'autorité de l'employeur.
Ainsi, il a été jugé que le
salarié dont le contrat de travail se trouve suspendu était
dispensé de toute collaboration avec
l'entreprise123. En revanche, si
l'intérêt et le bon fonctionnement de l'entreprise
requièrent un minimum de collaboration, le salarié doit
obtempérer sauf à manquer à son devoir de
loyauté124. L'employeur peut touj ours faire
grief au salarié de méconnaître la force obligatoire du
contrat. C'est bien de l'appréciation du comportement du salarié
au regard de l'intérêt de l'entreprise que les juges
apprécient l'attitude déloyale ou non du salarié.
De la sorte, dès lors que le salarié est saisi
par l'obligation de loyauté, son comportement ne relève plus de
sa vie personnelle mais de sa vie professionnelle et une sanction peut
être le cas échéant envisagée. Autrement dit, un
fait relevant a priori de la vie personnelle du salarié peut être
qualifié de faute s'il constitue un acte de déloyauté. Il
en est ainsi d'un agent de surveillance qui avait commis un vol dans un centre
commercial client de son employeur en dehors de son temps de
travail125. De même, manque à son
obligation de loyauté le salarié qui va suivre une formation chez
un employeur concurrent alors que son contrat de travail est
suspendu126.
120 Soc. 30 avril 1987 Bull. V n°237 ; Soc. 5 février
2001 Bull. V n°43
121G. Couturier, préc. n°197 et
s.
122 Soc. 11 décembre 1991, Bull. civ. V,n°564
123 Soc. 15 juin 1999 Bull. civ. V, n°279
124 Soc. 6 février 2001 bull. civ. V, n°43 ; Soc. 25
juin 2003 RJS10/03 n°1 119
125 Soc. 20 novembre 1991 Bull. civ. V, n°512 126 Soc. 21
juillet 1994 Bull. civ. V, n°250
En définitive, il faut également préciser
que le devoir de loyauté borne la liberté d'expression. Cette
dernière peut s'exercer dans l'entreprise et en dehors sous
réserve d'abus. La jurisprudence semble toutefois ne pas retenir la
simple critique de l'entreprise de la part du salarié. Cependant, elle
considère que le salarié commet un manquement au devoir de
loyauté lorsqu'il profère des insultes aux dirigeants et
personnel de l'entreprise127. En outre, l'employeur
peut mettre en jeu la responsabilité du salarié si l'intention de
nuire est avérée. A défaut de pouvoir retenir la
qualification de faute lourde128 seule susceptible
d'engager la responsabilité contractuelle du salarié. Il peut le
cas échéant prendre une sanction disciplinaire.
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