3 - Remarques et critiques
31 - qu'attendre du libéralisme?
Les permis d'émissions négociables incarnent
bien le libéralisme. C'est pourquoi on peut poser le problème du
choix entre permis et écotaxe d'une autre manière : qu'attendre
du libéralisme en matière de protection de l'environnement ?
C'est une question d'autant plus importante que la doctrine libérale a
le vent en poupe.
Michelle Kergoat16 soutient que le renforcement de
la propriété privée est bénéfique à
la préservation de l'environnement, pour la simple et bonne raison que
nous faisons plus attention à ce qui nous appartient qu'à un bien
commun. Dans le même ordre d'idée, Bernard Husson signale que les
bûcherons de la forêt de Bandia, au Sénégal,
respectent la rotation des secteurs pour la coupe des arbres17.
Même le conservatoire français du littoral estime que
l'appartenance de ce dernier au domaine public est un statut moins protecteur
que s'il était sa propriété privée18.
Toutefois, je me demande si les céréaliers de la Beauce
respectent leur terre et ont bien le souci de sa pérennité. La
transformation progressive de leurs exploitations en entreprises les a conduits
à considérer leur terre comme un capital que l'on amortit et dont
on peut user comme d'un bien renouvelable. La mondialisation accentue encore
plus cette irresponsabilité des propriétaires : plus la distance
est grande, plus les scrupules sont rares. Ainsi, Candados Prestos, filiale
mexicaine d'une multinationale italienne, avait tellement dégradé
son environnement qu'elle a été contrainte de fermer par le
gouvernement mexicain19.
Michelle Kergoat considère que si des états
forts comme les pays de l'ex-bloc soviétique n'ont pas pu
préserver leur environnement, il est impensable qu'un état
démocratique soit en mesure de le faire. En effet, l'état se
trouve face à des intérêts très divergents, ce qui
entraîne des complications administratives importantes. De plus, il n'est
pas possible de s'appuyer sur un solide droit environnemental : l'ignorance des
impacts des dégradations environnementales et l'incertitude des seuils
rendent l'appréciation difficile, dépendante de
l'évolution des connaissances et des << subjectivités des
individus20 >>, et introduit une grande complexité
(accumulation de correctifs) qui rend le droit facilement contournable.
Ensuite, sous la pression des lobbies, l'Etat se rend lui-même coupable
d'erreurs causant d'importants dégâts environnementaux. Par
exemple, l'état français a longtemps subventionné
l'utilisation d'engrais dans l'agriculture, et a autorisé l'extension de
l'élevage porcin en Bretagne sans se préoccuper des
conséquences sur les nappes phréatiques (pollution par l'azote du
fumier.) Confier la prévention de l'environnement à
l'état, c'est aussi prendre le risque de déviances totalitaires
(<< dictature verte >>) : l'état en profiterait pour
étendre son emprise sur la société civile. Enfin, une
centralisation excessive peut être néfaste, notamment en
matière d'aménagement territorial : par exemple, en vendant, au
nom de l'égalité, de l'électricité à un
16 Libéralisme et protection environnementale,
L'harmattan, 1999
17 Bernard Husson, L 'Impératif de croissance,
Alternatives économiques, hors-série n°17, 3e
trimestre 1993, p.41
18 Véronique Inserguet Brisset, 1999,
Propriété publique et environnement, Paris, Librairie
générale de droit et de jurisprudence, p.194
19 Attac, 2001, Enquête au coeur des multinationales, Mille
et une nuits, p.49
20 Michelle Kergoat, op.cit., p.19
prix unique sur tout le territoire français qui ne
reflète pas le prix réel, EDF rend artificiellement le recours
à des énergies renouvelables peu compétitif, alors qu'il
l'est normalement en milieu rural.
Quelques soient les vertus de la propriété
privée, il n'en reste pas moins qu'elle peut s'apparenter à une
confiscation en cas de rareté : est-il légitime de s'approprier
un puits dans un désert? C'est précisément ce que
pourraient faire les pays riches en instituant un marché mondial des
droits à polluer : ils seraient alors en mesure d'acheter la
quasi-totalité de ces droits, ce qui leur permettrait de continuer
à polluer sans remettre leur croissance en cause, pendant que
l'économie des pays pauvres se trouverait bloquée. C'est d'autant
plus choquant que la croissance dans les pays riches répond à des
besoins superflus tandis que celle des pays pauvres vise à satisfaire
des besoins fondamentaux. Et même si les échanges internationaux
de permis d'émissions étaient limités, comme le propose
l'Union Européenne, il reste l'un des principaux problèmes du
marché de permis : la distribution initiale. Car si on a recours
à la méthode des Etats-Unis, dite du grandfathering, qui
consiste à distribuer gratuitement les permis suivant les
émissions passées, le partage est peu équitable,
même si la compétitivité est normalement conservée,
car même si une entreprise a reçu plus de droit qu'une autre, le
coût marginal de sa production inclut le prix des permis et elle ne peut
donc pas prendre de nouvelles parts de marché. Les pays en voie de
développement seraient les principaux laissés pour compte du
grandfathering et trouvent donc ce principe inacceptable : il suggère
que la répartition soit faite proportionnellement à la
population.
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