23 - comment choisir?
Les détracteurs de la taxe pigouvienne13
soutiennent qu'en l'absence d'autorité mondiale, il est impossible de
généraliser le recours à des instruments fiscaux. C'est
là un argument fallacieux car la mise en place d'un marché de
permis d'émission requiert également l'existence d'institutions
internationales : si ce système a bien fonctionné au Etats-Unis,
c'est parce qu'il y a dans ce pays un pouvoir législatif,
éxécutif et judiciaire réel, assisté pour
l'occasion par un organe de surveillance et de régulation du
marché des permis, l'EPA. Il est donc clair que permis et
écotaxes nécessite tous deux un cadre économique et
politique encore inexistant14 : ce n'est pas sur ce point que doit
se faire le choix.
Il existe en fait une différence fondamentale entre ces
deux outils économiques : comme l'Etat n'a qu'une vague idée du
coût des réductions, il ne peut pas être sûr du
résultat en terme de réduction d'émissions au moment de
fixer la taxe, tandis qu'avec les permis, on sait chiffrer la réduction
mais pas son coût. Face à cette double incertitude, il faut se
référer aux critères de choix établis par
l'économiste Martin Weitzman, à condition toutefois d'avoir une
idée de l'allure des courbes des coûts. Si les coûts des
dommages croissent plus vite que ceux des réductions d'émissions,
il vaut mieux être sûr de contrôler la pollution, donc
utiliser un système de permis. En revanche, si les coûts qui ont
la plus forte croissance sont ceux de la diminution des rejets, il est
préférable d'utiliser l'écotaxe afin de plafonner le
coût de l'effort de dépollution. Il y a bien sûr d'autres
paramètres de décision. Il est par exemple plus aisé
d'utiliser les permis dans le cas d'une pollution industrielle : les Etats-Unis
ont montré que la mise en place d'un tel système ne posait pas de
problème majeur. On voit moins comment, en revanche, on pourrait
établir un marché de permis d'émission à l'usage
des conducteurs automobiles. Il existe bien à Singapour un
système de licence pour acheter une voiture, mais il sert surtout
à limiter les importations automobiles. De même, comment
s'attaquer à la réduction des émissions dues au chauffage
domestique ? L'écotaxe semble alors plus appropriée, mais il est
quand même possible d'imaginer encore dans ce cas un système de
permis : il s'agirait de le mettre en place en amont, à l'usage de ceux
qui font rentrer du carbone dans l'économie : les coûts financiers
retomberaient alors sur leurs clients tout se passerait comme si les
conducteurs ou les ménages payaient une écotaxe.
L'Union Européenne serait plutôt partisane de
l'écotaxe, essentiellement parce qu'elle en espère un double
dividende : d'une part l'écotaxe permettrait de réduire les
émissions de CO2, et d'autre part elle permettrait de diminuer les
charges sociales qui sont à l'origine de pertes économiques. La
diminution du coût du travail permettrait donc de diminuer le
chômage. L'exemple suédois a montré que, si ce
deuxième dividende n'était pas miraculeux, il a bel et bien
existé. Le gouvernement français a cherché à
utiliser la taxe pigouvienne pour financer le passage aux 35 heures. Cependant,
pour ne pas handicaper les industries dont le coût
énergétique est beaucoup plus important que le coût
salarial, le programme présenté par Lionel Jospin en janvier 2000
proposait une exemption de taxe pour les entreprises fortement consommatrice,
à condition qu'elle entre dans un système restreint de permis. Ce
mécanisme hybride a le mérite de permettre la convergence des
coûts marginaux dans le secteur où ils sont élevés,
et de préserver la concurrentialité de l'économie
française. C'est peut-être dans cette combinaison entre taxes et
permis que se trouve la meilleure solution. L'Union Européenne en a
d'ailleurs inventé une variante : chaque pays membre s'est vu
assigné un
objectif de réduction de ses émissions, de telle
sorte que la réduction globale corresponde à l'engagement pris de
réduire d'ici 2010 les émissions de CO2 de 8% par rapport
à 1990, mais avec un coût global le plus faible possible. Ainsi,
la France, dont les émissions par habitant sont déjà
très basses, doit se stabiliser à 0% tandis que l'Allemagne, dont
les coûts marginaux de réduction sont peu élevés
à cause de la restructuration à l'est, doit réduire ses
émissions de 35% par rapport à 1990. A chaque pays d'adopter par
la suite les mesures qu'il préfère : permis, taxes pigouviennes
ou une combinaison des deux. Touj ours est-il que le système de Jospin
est bien mal engagé depuis qu'il a été annulé par
le Conseil Constitutionnel en décembre 2000. Ce système ne
touchait en effet qu'une minorité d'entreprise, par souci de
ménager les secteurs délicats des transports et de l'agriculture.
De plus, il avait provoqué de vives protestations car les entreprises
fortement énergivore avait déjà fortement réduit
leur consommation depuis les chocs pétroliers des années 70.
En ce qui concerne les négociations autour de
l'application du protocole de Kyoto, elles ont tendance à
piétiner, essentiellement à cause de l'intransigeance des
américains et de leurs alliés15, qui ne retiennent du
protocole que la nécessité de flexibilité, et aussi d'un
certain manque d'ouverture de l'Europe. Le protocole est en train d'être
littéralement dénaturé notamment depuis que les
européens ont dû céder sur les « puits de carbone
» : les forêts et les cultures donneront droit à des
abattements importants dans les objectifs de réduction
d'émissions, alors que la communauté scientifique est très
réservée quant à la pertinence de cette mesure, car il est
très difficile d'évaluer la quantité de CO2
réellement absorbée par les forêts. Certains projets de
reforestation sont même considérés comme des aberrations,
plus nuisibles qu'autre chose.
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